Une économie précontrainte, une réforme du marché du travail encore imprécise
Mais le problème principal, celui sur lequel tous les gouvernements sont attendus depuis plus de vingt ans, c’est le chômage. Il n’en est que peu question dans les deux discours inauguraux.
Depuis lors, les premières annonces relatives à l‘Ordonnance travail qui viennent d’être rendues publiques pourraient éclairer notre lanterne. L’ ordonnance s’inscrit dans la ligne des lois Macron et El Khomri, celle d’une politique de l’offre visant à accroître la flexibilité du travail et éventuellement à en limiter le coût. Il semble que ce soit la seule réforme qui importe vraiment aux mentors qui ont soutenu Macron dans sa campagne et celle qu’avant toute autre, attend Bruxelles. Elle contient certes une bonne mesure : le plafonnement des indemnités que les conseils de prudhommes pourront verser en cas de licenciements abusif ( que n’y a-t-on pensé plus tôt) . Mais sur des points essentiels, comme le devenir les 35 heures, on reste encore dans l’incertitude. Pas de quoi fouetter un chat !
Le bon accueil fait à cette annonce pose une question : les réformes ne sont-elles pas affaire, elles aussi, de communication. Echappent-elles vraiment à la logique de la « société de spectacle » ? Une bonne réforme ne serait pas une réforme qui va au fond des choses mais une réforme menée par quelqu’un qui maitrise assez les réseaux et les techniques de communication pour faire croire qu’elle est bonne. Y compris vis-à-vis d’interlocuteurs plus crédules qu’on ne croit comme le Medef ou la commission de Bruxelles.
Emmanuel Macron l’a dit et redit : il ne met pas en doute l’Europe et l’euro. Bien au contraire, il se propose de « tout faire pour réconcilier les Français avec l’Union européenne » : vaste programme ! Il manœuvre donc en matière économique dans le cadre précontraint de ses deux prédécesseurs, Sarkozy et Hollande, c ’est à dire avec une monnaie lourdement surévaluée - par rapport aux coûts français - qui rend les prix français peu compétitifs et qui fait que la généreuse création monétaire de la Banque centrale européenne (dite quantitative easing) profite peu à la France. Le résultat : un chômage en augmentation, un déficit grandissant de la balance commerciale, un peu partout des fermetures d’usines ou la disparition de de fermes. Autant dire que le quinquennat Macron sera la continuation du quinquennat Hollande. Comme le dit Emmanuel Todd : « Réformer, flexibiliser, accepter la gestion allemande de la monnaie… une direction qui amène inévitablement à un ou deux points de chômage supplémentaires en fin de quinquennat. Pour Macron, poursuivre dans cette voie, c’est accepter de disparaître politiquement à 40 ans. Une hollandisation éclair. » Malgré le ballon d’oxygène provisoire de la reprise mondiale, c’est cela, n’en doutons pas, qui attend le nouveau président.
Beaucoup d’experts, et des plus sérieux, pensent que la seule solution est la sortie de l’euro – de la France… ou de l’Allemagne. Faute de l’envisager, Macron est condamné à continuer la politique à la petite semaine de Hollande, à laquelle il a été très étroitement associé : contrôler – mal - les déficits publics, principalement par des hausses d’impôts touchant les classes moyennes, se désoler de la mollesse du taux de croissance, toujours en-deçà des prévisions, assister passivement au lent décrochage de l’économie française en ressassant qu’elle se relèvera demain.
L’autre solution pourrait être une action déterminée sur les coûts, par l’instauration de la TVA sociale par exemple, mais on n’en prend pas le chemin puisque le nouveau gouvernement préfère financer les déficits publics par la CSG, non remboursable aux exportateurs, que par la TVA qui, elle, l’est. Il reste ce que préconisent tous les think tanks ultralibéraux : une dérégulation drastique du marché du travail avec baisse des salaires, assortie de celle des dépenses publiques, en particulier sociales, soit la politique de l’offre telle qu’elle est imposée par le Commission européenne aux pays méditerranéens ; Macron voudrait aller dans ce sens mais de manière beaucoup trop molle pour que cela ait de l’effet. Malgré une large majorité qui lui donne apparemment les mains libres, il n’est pas sûr qu’il ait assez de légitimité pour passer en force sur ce chapitre. Aucune coupe sérieuse n’est ainsi envisagée dans les dépenses publiques (hors celles que nous avons indiquées). Et même si une politique énergique de cette sorte était engagée, le résultat n’en serait nullement assuré, les mesures d’austérité ayant eu presque partout un effet récessif.
En marche à beau apparaître comme le parti des « start-up », supposé moderne et ouvert aux idées nouvelles, les logiques macroéconomiques finissent toujours par prévaloir.
Politiquement correct : vers une démocratie illibérale ?
Les Ordonnances réformant le Code du travail plafonnent les indemnités de licenciement, ce qui est raisonnable, sauf en cas de violations des libertés , parmi lesquelles les discriminations. Lesquelles ? On le devine : les femmes, les homosexuels, les non-Blancs, les musulmans etc. La conséquence immédiate sera que, en cas de licenciement collectif, les premiers touchés seront ceux qu’Anne Lauvergeon appelait les « mâles blancs ». Au motif de lutter contre la discrimination, on instaure la discrimination.
L’effet de cette disposition pourrait ainsi être d’aggraver la division du peuple en communautés et catégories. Loin d’alléger l’atmosphère au nom d’une saine égalité républicaine, elle approfondira les clivages communautaires - et naturellement les rancœurs qui vont avec, dont on devine les conséquences électorales.
Ainsi, cette réforme prétendue libérale, sur ce sujet au moins, n’est donc pas si libérale qu’on dit. Elle ne fera que développer les frustrations d’une partie de la population. Macron a été porteur, non seulement d’un parfum de libéralisme mais d’un projet de « politiquement correct » renforcé : ouverture à l’immigration, intégrisme écologique, antiracisme, discrimination positive à tous les étages etc., ce qui lui a valu la sympathie de la presse et le vote de beaucoup de musulmans. Il se montre ainsi le bon élève de la fondation Terra Nova qui prévoyait la formation d’un nouveau bloc de gauche s’appuyant sur les minorités, raciales, religieuses et sexuelles, comme le parti démocrate américain dans sa version Obama-Clinton. Macron qui se plait à dénoncer les « démocraties illibérales » laisse craindre, lui aussi, un recul des libertés.
Est-ce au chapitre du communautarisme qu’il faut inscrire le projet d’ouvrir la PMA aux femmes seules ou lesbiennes ? En partie au moins.
On peut même craindre le pire : la nouvelle assemblée est, parait-il, largement renouvelée et plus diverse. Nous pensons qu’une des raisons pour lesquelles les politiques menées depuis vingt ans suscitent l’ire des français, c’est l’incompétence des décideurs. Que faut-il attendre de la nouvelle présidente de la commission de lois, issue d’En marche qui demande à son entrée en fonctions « quand seront votés les décrets ? ».
En fait rien ne laisse espérer un commencement de solution aux problèmes qui ont provoqué le grand ras-le-bol des Français et qui les a amenés à s’imaginer qu’avec un homme jeune et des équipes nouvelles, un air de modernisme qui semblait de bon aloi, les choses iraient mieux. Il est tragique de penser que nos concitoyens , dont un tiers a voté pour le Font national, ce qu’on semble perdre de vue, et qui attendaient une meilleure prise en compte de leurs préoccupations, vont très vite se trouver confrontés à une équipe incompétente qui semble, sur son nuage, inconsciente de la gravité de problèmes qui se posent à eux. Avec un gouvernement qui, loin d’apporter une solution originale à leurs problèmes, est entièrement conditionné par les idéologies qui en sont la source, et, de ce fait, ne propose sur à peu près tous les sujets, que la continuation et l’aggravation des politiques menées depuis trente ans et qui les ont tant exaspérés.
La société du spectacle
Ainsi pourrait trouver son illustration, la formule de Guy Debord : « Le société du spectacle dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière » .En d’autres termes, le spectacle politique a besoin de réformes permanentes mais ces réformes ne peuvent, dans les domaines particuliers où elles s’appliquent, qu’empirer l’état des choses.
Ce que Guy Debord appelait la société du spectacle (ne dirions-nous pas de communication ?) apparaissait à cet auteur marxiste comme le stade suprême du capitalisme, le moment où, cessant de gérer les choses, il ne gère plus que les représentations. N’est-ce pas ce à quoi nous assistons ?
La campagne de Macron qui ne voulait pas, au début, entendre parler de programme, jusqu’à ce qu’il en produise un, bien léger, sur la fin, appuyée par les méthodes les plus modernes de communication politique (à côté desquelles les réunions de ses concurrents paraissaient bien ringardes), fut-elle autre chose qu’un grand spectacle au sens debordien ? Que penser par exemple de ce mot d’ordre : « Pensons printemps, mes amis, pensons printemps ! ».
L’idéologie
Mais il se pourrait que pour comprendre, dans toute son ampleur l’illusion actuelle, il faille aller plus loin que Debord et faire appel à la notion d’idéologie.
L’idéologie peut être d’abord définie, comme l’ont fait Hannah Arendt ou Jean Baechler, comme une politique menée à partir d’une analyse simplifiée du réel (exemples : « la propriété, c’est le vol », il faut donc la supprimer : « les nations, c’est la guerre », il faut donc les abolir ; « l’histoire est tout entière déterminée par les races » ; « la prise en compte des sexes, c’est l’inégalité »). L’idéologie est aussi généralement l’imitation fallacieuse d’une démarche scientifique : ainsi la méthode globale de l’apprentissage de la lecture ou la théorie du genre.
Quoique le temps des grandes idéologies comme le marxisme-léninisme semble dépassé, des idéologies sectorielles ont proliféré dans presque tous les domaines de l’action publique : économie, culture, éducation, justice, environnement ; les désigner seulement comme libérales serait réducteur car elles sont loin d’être cohérentes entre elles .
Il reste que, globale comme le communisme ou sectorielle comme la méthode globale, l’idéologie se reconnait à ce qu’elle est peu opératoire : elle a produit dans un cas un système économique stérile, dans l’autre la montée de l’illettrisme. Fondée sur la simplification, l’idéologie ne peut épouser la complexité du réel pour aboutir à des solutions opérationnelles. Non seulement, elle est inefficace mais elle a des effets pervers car elle heurte une réalité à laquelle elle n’est pas adaptée. L’idéologie porte avec elle ce que Hayek appelait la « loi des effets contraires aux buts poursuivis ». C’est une des raisons du rejet populaire qu’elle rencontre très vite.
L’idéologie rejoint la société du spectacle en cela que l’une et l’autre se fondent sur une simplification des choses, une vision schématique du réel ayant plus de chances d’atteindre les masses, d’alimenter le spectacle politique qu’une approche complexe ou nuancée. A ce spectacle, il faut des bons et des méchants : la simplification conduit bien souvent au manichéisme et à une intolérance d’autant plus véhémente que l’idéologue sait au fond de lui qu’il a tort ou qu’il se heurte à la résistance des peuples, disqualifiée comme « populisme ».
Le second grand caractère d’idéologie est qu’elle porte un projet fondé sur l’idée du progrès (à l’image du progrès scientifique qui, lui, est réel) et donc d’un sens de l’histoire, d’un espoir eschatologique, corollaire d’une péremption radicale du passé : ce n’est pas non plus contradictoire avec la pensée de Guy Debord pour qui « la société du spectacle repose sur la destruction de l’histoire ». L’idée d’une marche à sens unique de l’histoire fonde celle de modernité : est moderne celui qui est dans le bon sens, est réactionnaire celui qui va contre, une démarche qui abolit tout débat puisque la question n’est plus « où est le bien commun ? » mais « qu’est-ce qui est moderne et qu’est ce qui est antimoderne ? » Elle n‘a de réponse que terroriste.
On comprendra qu’il ne soit, au moins en France, guère possible de remporter une élection sans avoir l’air moderne, sans se poser dans le sens de l’histoire. Fillon, après d’autres, a expérimenté ce qu’un certain air vieillot dans un discours de vérité pouvait avoir de disqualifiant. Cela, non seulement parce que dans une société toute imprégnée de l’idée du progrès, la modernité est une valeur positive mais aussi parce que l’univers médiatique dont le pouvoir prescripteur est considérable, est particulièrement sensible à la modernité avec tout ce qu’elle comporte d’illusion. Toute idéologie visant l’unanimité, on peut dire que la presse se fait d’autant plus monolithique qu’elle est idéologique sans que soit nécessaire aucun ministère de la Vérité.
Ce qui, à un moment donné, détermine ce qui est moderne (en dehors de la démarche scientifique et technique au sens strict), c’est l’idéologie : elle est la force de frappe qui impose une idée, un programme, un homme comme plus moderne que ses adversaires. Pour avoir l’air moderne, il faut être idéologue, ou « politiquement correct », autre nom de la modernité idéologique.
Cette modernité idéologique, il faut le préciser, n’a rien à voir avec la vraie modernité : Macron, pur produit du Sciences po du tout début du XXIe siècle (ultralibéralisme, non-discrimination, mondialisme, anglomanie etc.) a en réalité dix ou quinze ans de retard : il veut par exemple relancer le processus européen auquel personne ne croit plus. Il est néo-libéral comme d’autres étaient néo-gothiques. Mais étant idéologue, jeune et beau comme un ange saint-sulpicien , il a forcément l’air plus moderne que ses adversaires. Cela au risque de mettre la France en porte à faux par rapport au vrai mouvement de l’histoire : un peu comme le programme commun de 1981 avait mis notre pays en décalage avec un monde qui virait déjà au libéralisme intégral.
Or l’idéologie, on ne saurait trop y insister, est inapte à résoudre les problèmes de la France, comme des autres pays,
D’abord parce que c’est elle qui les a généralement créés : nous avons évoqué les dysfonctionnements de l’éducation nationale ; on pourrait évoquer aussi bien ceux de la justice ou encore les tensions internes croissantes qu’une politique idéologique de l’immigration, inspirée par le mondialisme, a créés. Y a-t-il un seul problème de la société française qui ne résulte des politiques menées depuis 20,30 ou 40 ans, généralement idéologiques, et non d’une évolution endogène de la société ? Ce n’est pas sûr.
Ensuite parce que, ayant créé ces problèmes, l’idéologie ne saurait, conformément à la prophétie de Debord, que les aggraver. Il est significatif que les 4/5 des programmes des candidats proviennent des bureaux des différents ministères, chacun porteur d’une idéologie particulière. Ces ministères, prisonniers d’une certaine culture, ne proposeront rien d’autre que de pousser les choses un peu plus loin dans le sens de leur idéologie propre. Comment demander à ceux qui sont la cause du problème d’y porter remède ?
En bref, il faut avoir l’air moderne pour être élu. Pour avoir l’air moderne, il faut être idéologue. Les idéologies sont la principale raison des dysfonctionnements de la société. Celui qui s’en inspire et qui est donc le plus apte à être élu, est ainsi, par définition, le moins apte à résoudre les problèmes aux origines du mécontentement populaire. Tel est le paradoxe d’une démocratie de spectacle dans un univers de plus en plus idéologisé. Nos compatriotes ne tarderont pas à s’en apercevoir.
Roland HUREAUX
« L’utopie (autre nom de l’idéologie) se caractérise par la volonté d’organiser les activités sociales jusque dans le détail à partir d’un principe unique » (Jean Baechler, Qu’est-ce que l’idéologie ? Idées-Gallimard, 1976, page 95)