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Roland HUREAUX

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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 18:53

Publié dans Atlantico

L'affaire Volkswagen, cette immense fraude aux normes antipollution, ne devrait pas seulement atteindre la réputation de la firme créée en 1936 et même de l'industrie allemande, elle devrait remettre enfin en cause l'image exagérément positive que véhiculent les Français de leur partenaire d'outre-Rhin.

Ils ne se sont encore jamais remis des complexes qu'ont fait naitre la malheureuse défaite de juin 40 ( due pour l'essentiel à l'incompétence de son état-major et non au peuple français). De Gaulle avait bien réussi un temps à les en débarrasser mais, pour faire moderne, les Français ont voulu tourner le dos à son héritage , ce qui a eu pour effet de les faire retomber dans l'ornière de leur complexe d'infériorité.

Imiter les Allemands n'est pas la solution

C'est une vérité établie chez nous que tout ce que font les Allemands est mieux et qu'il faut les imiter à toute force: monnaie forte, mégaländer, système scolaire ( qui n'a que vingt ans d 'avance sur nous dans la déliquescence !) etc. Ce qu'ils font ou ce qu'on croit qu'ils font : on a eu beau répéter que 10 Länder sur 15 sont plus petits que la moyenne des régions françaises , rien n'y fait, nous regroupons nos régions pour suivre le prétendu modèle allemand.

Il fallait déjà beaucoup de bonne volonté pour considérer comme un simple accident, le crash du vol 9525 de la Germanwings Barcelone-Düsseldorf du 24 mars 2015 dont l'enquête a montré de quelle incroyable suite d'erreurs humaines il était la conséquence.

Comprendra-t-on cette fois que l'affaire Volskswagen n'est que la pointe émergée de l'iceberg, que les Français ( dont on sait à Bruxelles qu'ils sont , en particulier en matière agricole, les moins tricheurs des Européens ! ) n'ont pas à rougir face à un partenaire auquel on prête beaucoup plus de vertus qu'il n'en a.

Pour s'en tenir à l'histoire récente, les réformes Schröder, admirées de ce côté-ci du Rhin ont été une manière de fausser le jeu de l'euro dès le démarrage. Il ne se relèvera sans soute jamais du déséquilibre massif introduit alors par le gouvernement allemand dans le système de la monnaie unique et dans l'économie européenne, par le biais de ce qu'on appelle aujourd'hui une "dévaluation interne" sans qu'aucun partenaire n'ose protester. Pas davantage qu'ils ne protestent face au recours massifs aux sous-traitances en Europe de l'Est qui faussent le jeu de la concurrence, particulièrement désastreuses pour notre élevage. Dans l'immédiat, l'effet de ces réformes a été un appauvrissement massif du tiers de la population allemande . Sans doute n'étaient-elles pas contraires à la lettre des traités mais elles sont à l'opposé de l'esprit de coopération qui aurait du prévaloir en Europe. Nous parlons de Schröder : qui se souvient qu'à peine battu aux élections, l'intéressé s'est lancé sans vergogne dans les grandes affaires avec la Russie : quel ancien premier ministre français s'est jamais permis cela ?

Les préjugés français sur la supériorité allemande sont tellement ancrés que des faits majeurs ont été passés sous silence : quand les fonctionnaires se mirent en grève une semaine, silence total alors que notre mini-mouvement social sur la réforme des retraites de la rentrée 2010 ou les récents incidents d'Air France ont fait la une dans le monde entier ; quand le programme Airbus a pris un important retard, personne n'a osé dire que la partie allemande en était entièrement responsable . Les universités allemandes sont encore moins bien placées que les nôtres dans les classements internationaux. Cette occultation des faiblesses allemandes provient en partie de la servilité mais elle résulte aussi de la tendance d'une grande partie de la presse au déni de tout ce qui sort des idées reçues, d'où résulte d'ailleurs son incapacité à les remettre en cause.

Remettre en cause les idées reçues

De la chancelière Merkel, on commence à dire qu'elle n'a fait aucune réforme en dix ans . Les Allemands sont plus lucides que les Français sur cette femme, habile manœuvrière plus apte à gagner les élections qu'à développer une véritable vision . On a cherché les raisons cachées de sa palinodie sur la question des réfugiés qui n'est dépassée dans le ridicule que par les dithyrambes de certains Français qui ont cru qu'elle allait ouvrir toutes grandes les portes de l'Europe aux immigrés du monde entier. Rien d'autre, semble-t-il que l'évolution des sondages au jour le jour. Sa versatilité sur la crise grecque fut à l'avenant: un jour - même si elle laissa Schäuble monter au créneau - elle ne voulait plus entendre parler de la Grèce . Le lendemain elle se ralliait à un accord . Que s'était-il passé entretemps ? Qui le dira ? La voix de l'Amérique ?

Des faiblesses de l'Allemagne d'aujourd'hui, la plus grande est naturellement la démographie. Que la fécondité, qui n'arrive pas à décoller au-dessus de 1, 4 ( soit deux enfants pour trois adultes de la génération précédente ) , immigrés compris, n'est pas nouveau: les pays de l'Europe du Sud ne font pas mieux, mais seule l'Allemagne a fait des efforts financiers importants pour la famille . En vain apparemment. Signe dune crise morale sans précédent d'un pays qui semble s'être résigné au "grand remplacement", dit autrement à sa mort programmée. Depuis 2000, pour la première fois depuis 1870, il nait plus de bébés en France qu'en Allemagne, et la tendance ne semble pas en passe de se renverser.

Les Européens que nous sommes ne doivent naturellement pas se réjouir du sombre futur de ce pays : même si rien ne justifie qu'il tienne la première place en Europe, il reste porteur d'une grande civilisation qui est notre patrimoine commun. Rappelons nous aussi son caractère "bipolaire" : de l'inflation galopante à l'intégrisme monétaire, du militarisme à l'antimilitarisme, de l'industrialisme à l'écologie ; aujourd'hui ouvert et tolérant ; demain ?

Qu'on ait allégué le déficit démographique pour justifier la politique d'ouverture de l'Allemagne aux migrants , pourquoi pas ? Mais cette raison n'aurait plus été valable huit jours après ? La chancelière a ainsi donné un faux espoir à des centaines de milliers d'hommes. Quelle vision de la part de la femme que l'on dit la plus puissante de l' Europe !

"Une tricherie d'une telle ampleur ne nous aurait pas étonné de la part de Grecs , mais de la part d' Allemands, elle est inconcevable" a dit récemment un chroniqueur de gauche bien connu[1] qui ne se rendait d'ailleurs pas compte du racisme de ce genre de propos , lesquels ont surtout le mérite de montrer combien les préjugés de nos compatriotes sont difficiles à déraciner.

Il le faut pourtant. La France doit saisir l'occasion de l'affaire Volkswagen et de celle des migrants pour reprendre conscience de ce qu'elle est. Dans une Europe en décadence avancée, elle doit cesser de chercher , comme le fait Hollande, un grand frère, de ce côté ou de l'autre de l'Atlantique qui lui dicte sa conduite. C'est d'elle et d'elle seule que dépend son destin - et avec lui celui de l'Europe tout entière.

Roland HUREAUX

[1] Gérard Carreyrou

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23 août 2015 7 23 /08 /août /2015 11:16

L'INCOMPREHENSIBLE POLITIQUE ETRANGERE DE LA FRANCE

Paru dans Figaro Vox du 18 août 2015

Laurent Fabius ne gardera pas un grand souvenir de sa visite à Téhéran de la fin juillet.

Elle avait été précédée d'un déchaînement d'attaques personnelles sur le thème du sang contaminé. Il voulait se faire accompagner d'une délégation d'hommes d'affaires . Mais Iraniens ont fait savoir qu'il n'y aurait que des discussions politiques , très froides au demeurant : de contrats, pas question. Le ministre des affaires étrangères français s'attendait-il à autre chose après avoir tout tenté pour faire échouer les négociations entre Washington et Téhéran ?

Il fut un temps où la France se démarquait suffisamment de la position des Etats-Unis pour jouer , le jour venu, un rôle d'intermédiaire , ce en quoi Fabius a échoué piteusement en juin dernier entre Israéliens et Palestiniens.

Il fut un temps, sous Mitterrand notamment, où la France suivait les Etats-Unis mais en gardant un profil assez bas pour sauver la mise.

Avec Hollande, la France suit les Etats-Unis mais en tentant de faire de la surenchère : cela fut le cas avec l'Iran ; c'est toujours le cas avec la Syrie.

C'est là le moyen le plus sûr de rester au bord de la route le jour où la notre grand allié décide de changer de cap. C'est ce qui risque de nous arriver en Iran malgré la sympathie que notre pays inspire aux Iraniens.

Le décollage économique de l 'Iran, imminent une fois les sanctions levées, pourrait se faire sans la France. II est peu probable par exemple que Peugeot récupère jamais le marché de 600 000 véhicules qu'il avait dans ce pays.

C'est ce qui nous pend au nez aussi avec la Syrie.

"Traiter ses ennemis comme s'ils devaient être un jour nos amis; traiter ses amis comme s'ils devaient être un jour nos ennemis" . Vieux proverbe arabe ou pas, c'est en tous les cas depuis belle lurette le b a ba de la diplomatie . Il est clair que ce b a ba , Fabius l'ignorait quand il est allé dire à la tribune des Nations-Unies en 2012 que le président Assad "ne méritait pas de vivre". Un peu plus tôt, Juppé avait prétendu que le même Assad ne tiendrait pas plus de quelques jours. Trois ans et demi après, il est toujours là.

Ce n'est pas faute que la France ait engagé des moyens lourds pour le renverser. Fourniture massive d'armes et de matériels aux opposants , assistance technique de plusieurs dizaines de militaires français ( dont plusieurs sont morts ). A la fin du mandat de Sarkozy, un accord entre la France et le gouvernement de la Syrie nous avait permis de récupérer une trentaine de prisonniers faits par l'armée syrienne. A son arrivée, Hollande a relancé la guerre.

Aide de la France aux djihadistes

Inutile de dire que nos armes et notre appui logistique sont allés exclusivement aux djihadistes, en particulier au Front Al Nosra , nouveau nom d'Al Qaida , dont les différences avec Daesh sont bien minces. Les mêmes qui enlèvent ou massacrent les chrétiens - et d'autres. La soi-disant Armée syrienne libre qui , disait-on , était l'objet de notre sollicitude demeure un fantôme - et un alibi pour aider les islamistes.

Pourtant le plus probable est que ce régime pris en grippe par notre diplomatie avec un rare acharnement tiendra. Il parait certes aujourd'hui sur la défensive mais s'appuie sur un dispositif solide autour de Damas et de la frontière libanaise . La Russie ne le lâchera pas . La population est mobilisée , notamment les femmes dont bien peu , même chez les sunnites, souhaitent tomber ente les mains des "barbus" . Ceux qui soutiennent les forces rebelles, Israël en tête , ne veulent pas vraiment qu'aucune des deux , Daesh ou Al Nosra, remplace le régime de Damas, se contentant de le maintenir en état de faiblesse.

La nouvelle politique américaine

Les accords entre Washington et Téhéran prévoient le maintien d'Assad jusqu'à la fin de son mandat et le relâchement progressif de la pression des islamistes, qui pourraient être recyclés contre la Russie.

La France qui avait de solides positons en Syrie, son ancien mandat, où on n'a pas oublié que Jaque Chirac fut le seul chef d'Etat occidental à assister aux obsèques d'Assad père (eut-il raison d'y aller? C'est une autre question ) , sera-t-elle cette fois encore prise de court par le revirement américain, déjà perceptible ? Ce serait confirmer l'amateurisme dans la quelle est sombrée notre diplomatie : Mitterrand qui fut le mentor tant de Fabius que de Hollande doit s'en retourner dans sa tombe.

Les arguments moraux ne sont plus pris au sérieux. Meurtres d'enfants à Homs, utilisation de gaz, lâchage de bidons d'essence sur les populations : au moins ces accusations là , portées à l'encontre du régime syrien, se sont avérées fausses , ce qui n'en fait pas pour autant un régime tendre.

Un premier geste serait d'accorder une reconnaissance officielle au Lycée Charles de Gaulle de Damas que les parents d'élèves syriens ont continué de faire fonctionner en autogestion quand la France l'a fermé en 2011, témoignage émouvant d' un attachement aujourd'hui rare à la culture française.

Le second serait de lever l'embargo sur les produits pharmaceutiques particulièrement odieux quand on sait les dégâts que cette guerre absurde continue de faire dans la population civile.

Mais pour renouer le fil d'une relation interrompue, peut-être Hollande devra-t-il trouver un autre ambassadeur que Laurent Fabius ?

Roland HUREAUX

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1 août 2015 6 01 /08 /août /2015 20:25

NON, ANGELA MERKEL N'EST PAS LE GRAND VAINQUEUR DE L'ACCORD AVEC LA

Beaucoup de Français , toujours prêts à nourrir leurs complexes face aux Allemands, même quand il n'y a pas lieu, voient ces jours ci l'accord trouvé avec Tsipras au sujet de la Grèce comme le triomphe de la domination allemande , Angela Merkel étant ainsi consacrée comme l'arbitre incontournable des destinées de l'Europe.

Nous pensons qu' une telle approche est illusoire et que , quant au fond, les Allemands n'ont guère à se glorifier de la manière dont les choses se sont passées.

D'abord parce qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils voulaient : au moins Wolfgang Schäuble, le ministre des finances, en phase avec la grande majorité de l'opinion allemande, voulait que la Grèce sorte de la zone euro. Le gouvernement français était, on le sait, plus compréhensif vis à vis de la Grèce. Ce qui explique la différence d' attitude entre l'Allemagne et la France, l'une paraissant dure et l'autre flexible, c'est que le opinions publiques y sont dans un état d'esprit très différent. Les Français , au fond, se moquent de ce que va devenir la Grèce et , si on les pousse, ils auraient plutôt de la mansuétude ( pas tous , l'antihéllénisme se développe aussi chez nous), croyant, comme tout le monde et comme, semble-t-il, le gouvenrment grec lui-même, que le salut est pour la Grèce de rester dans l'euro.

Les Allemands sont , dans leur majorité, attachés au maintien de la monnaie unique parce que leur classe dirigeante est , sur ce sujet, sous hypnose, comme toues les classes dirigeantes de l'Europe continentale , ne concevant qu'il y ait une vie possible hors de l'euro. En outre, depuis que les réformes de Schröder y ont abaissé les coûts, l'euro profite à certains intérêts allemands, en particulier à tous ceux qui exportent en Europe. Or, comme l'a dit Angela Merkel, le départ de la Grèce sonnerait le glas de l'euro dans son ensemble.

Mais en même temps les Allemands sont remontés à fond contre les Grecs, ils ne veulent plus en entendre parler et leur départ aurait fait leur joie. Ils savent qu'ils ne recouvreront pas les créances lourdes dues par ce pays et ne veulent donc pas s'engager davantage .

La chancelière Angela Merkel devrait arbitrer entre ces considérations contradictoires , et cela en fonction d'une vision à long terme. Il n'est pas certain qu'elle l'ait vraiment fait ; ce qui importe d'abord à cette politicienne roublarde est ce qui lui permettra le mieux d'être réélue. Si elle a opté pour l'accord, rien ne dit que cela ait été de son plein gré.

Il reste que les Allemands qui voulaient se débarrasser des Grecs n'ont pas eu gain de cause.

On peut dire ensuite que les contraintes très lourdes qui ont été imposées à la Grèce et que , dès lors que Tsipras avait imprudemment laissé voir qu'il tenait à rester dans l'euro, a du accepter, ne sont pour l'essentiel, que l'expression que de la rationalité économique. Ce n'est pas la dureté allemande, c'est la dureté des faits. Si l'on veut que la Grèce équilibre ses comptes extérieurs, il lui faut réduire ses coûts intérieurs et donc consentir à faire encore des sacrifices. Dès lors que les uns et les autres renoncent à l'option de la dévaluation et donc de la sorte de l'euro, il n'y a pas d'autre solution. Ceux qui , tel François Hollande, veulent garder la Grèce dans l'euro mais avec des exigences adoucies sont dans la contradiction. Savoir si les sacrifices exigés suffiront et n 'enfonceront pas au contraire un peu plus la Grèce, est une autre question. C'est le problème des grands malades : le médicament, à dose trop faible est inopérant ; à dose suffisante, il les tue.

Malgré l'importance des concessions faites par la Grèce, l'Allemagne aurait pu rompre les négociations. Elle ne l'a pas fait . Et si elle ne l 'a pas fait , c'est que , très probablement Obama est intervenu pour cela auprès de Merkel pour contrer Schaüble. Les Etats-Unis souhaitent le maintien du statu quo pour au moins trois raisons : parce que l'explosion de l'euro pourrait être le détonateur d'une nouvelle crise financière internationale analogue à celle de 2008, parce que l'euro leur permet , comme l'explique François Asselineau, de maintenir les économies européennes sous tutelle, parce qu'il serait dangereux pour l'OTAN de laisser la Grèce, dont la position géopolitique est capitale , errer sans attache dans une zone de haute turbulence , au risque qu'elle devienne une tête de pont de Moscou. Il est probable que , parallèlement aux pressions faites sur le gouvernement allemand, des pressions analogues aient été exercées sur Tsipras. Avec quels arguments ? On ne sait . Loin d'être la maitresse du jeu, l'Allemagne s'est ainsi laissé imposer une décision que la majorité des Allemands rejetait.

Et pour quel bénéfice ? En réalité aucun. Quand on dit que la Grèce , du fait de cet accord, se trouve écrasée par des conditions draconiennes, on ne se trompe pas. Mais qui pense une seconde que la Grèce va appliquer l'accord et en particulier rembourser les énormes dettes qui pèsent encore sur elle ? A l'évidence, elle ne le fera, pas par tricherie ou malhonnêteté mais tout simplement parce qu'elle ne le peut pas et ne le pourra pas plus dans l'avenir . Elle ne le pourra pas tant qu'elle restera dans l'euro.

En définitive, Angela Merkel, dont les exigences étaient moins les siennes que celles de la réalité, et dont l'opinion ne voulait pas d'un nouvel accord, s'est vu imposer par Washington un accord qui certes, parait sauver l'euro - pour combien de temps ? - mais qui ne lui rapportera pas un kopeck parce qu'il ne sera jamais appliqué.

Ajoutons que rien ne dit que l'euro sera durablement sauvé par cet accord inapplicable.

Roland HUREAUX

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26 juillet 2015 7 26 /07 /juillet /2015 22:39

Publié dans Le Figaro du 23 juillet 2015

Le malaise des éleveurs français n'est pas nouveau , mais il a atteint cet été une phase critique.

Qu'il coïncide avec la crise grecque est sans doute fortuit ; les deux questions n'en ont pas moins un rapport étroit . Toutes les deux témoignent des distorsions croissantes que suscitent , entre les Etats ou entre certaines productions, la fonctionnement actuel de l'euro.

On le sait dans le cas de la Grèce : que les prix intérieurs grecs - et surtout les coûts - aient augmenté au cours des quinze dernières années plus que dans tous les autres pays empêche l'économie grecque d'être compétitive , sauf à dévaluer, ce qui supposerait pour elle une sortie de l'euro.

Entre les éleveurs français et leurs concurrents européens, principalement allemands, une différence analogue entre les dérives des coûts rend les producteurs français moins compétitifs, malgré les efforts considérables qu'ils ont faits pour tenir le choc.

L'Allemagne, grande puissance agricole

L'Allemagne a bénéficié , non seulement d' une moindre hausse des prix intérieurs valable pour toute son économie , mais encore d'avantages comparatifs que l'agriculture française n'a pas ou n'a plus : le SMIC agricole n'existe pas[1] , ce qui permet d'employer à bas prix des garçons de ferme venus de l'Est. La fin du communisme dans l'ex-RDA a permis de remettre en valeur d'anciens kolkhozes dépeuplés et dévastés , ce qui a suscité la création, spécialement en matière bovine de grandes exploitations modernes qui inondent le marché européen , en particulier celui du lait, et font baisse les prix.

Parallèlement les secteurs les plus archaïques de l'agriculture allemande ( qui , en Bavière, avait terminé don remembrement beaucoup plus tard que nous) s e sont modernisés.

Certains segments de la production agricole ( comme les fleurs hollandaises et allemandes) sont sous-traités en Pologne , un pays hors de la zone euro et que personne n'est pressé d'y faire rentrer car il sert de poumon à l'économie allemande.

Le coup de collier du gouvenrment Schröder, faisant baisser de manière forcenée tous les coûts allemands dès l'entrée dans l'euro, a déséquilibré la zone euro à l' avantage de l'économie allemande et au détriment de celles des pays latins mais particulièrement de certains secteurs comme l'élevage français.

Le résultat est paradoxal: l'euro a fait de l'Allemagne qui n'avait jusque là guère brillé dans ce domaine, une grande puissance agricole. En 1957, lors de la création du Marché commun, le contrat non écrit était que l'Allemagne exporterait ses produits industriels et que la France exporterait ses produits agricoles. La balance agricole fut longtemps excédentaire pour la France et déficitaire pour l'Allemagne. Aujourd'hui, la balance agricole est excédentaire pour l'Allemagne : du jamais vu.

Les éleveurs sont également sensibles à la politique des grandes surfaces et aux profits des intermédiaires, une question soulevée depuis longtemps qui ressurgit aux époques de crise.

Plus nouvelles car elles ont elles aussi coïncidé avec la mise en place de l'euro sont les contraintes bureaucratiques folles qui se sont multipliées au cours des derrières années pour des raisons sanitaires , environnementales et fiscales. Les règlements européens ont privilégié une approche punitive , humiliante pour les agriculteurs, à ce qu'aurait pu être une incitation positive par les labels de qualité . A l'issue d'une dure journée de travail aux champs, chaque agriculteur doit désormais faire une seconde journée de "paperasses" .

Cette situation touche particulièrement l'élevage bovin ( viande et lait) et porcin . En matière céréalière, la France conserve , grâce aux plaines du Basin parisien, un avantage fort sur un marché plus tributaire de la bourse de Chicago que des aléas continentaux. Pour les fruits et légumes et le vin courant , l'euro est au contraire avantageux pour la production française car il freine la concurrence des pays méditeraneénes.

Autre parallèle avec la Grèce : de même que la Grèce a été incitée à s'endetter dans les premiers temps de l'euro, les jeunes agriculteurs français continuent d'être tributaires d'un système mis en place il y a cinquante ans, qui , au motif d'encourager l'investissement, encourage leur endettement en début de vie active.

Prendre le taureau par les cornes

Le drame que traverse l'élevage français est d'une extrême gravité. La contrainte sur les prix de vente exercée ou en tous les cas aggravée par l'euro est telle que ceux-ci n'ont pratiquement pas augmenté depuis trente ans. Pendant ce temps, les charges ( charges sociales, assurances, prix des inputs) ont explosé. Une situation d'autant plus décourageante que la plupart des exploitants ont fait de considérables efforts de modernisation au cours de cette période. Les subventions, arrachées par Chirac il y a quarante ans pour les zones de montagne ne suffisent plus : on a beaucoup parlé des suicides de France Télécom. A-t-on parlé autant de ceux des éleveurs du Massif central ?

Sauf à envisager un éclatement prochain de l'euro qui aurait l'effet mécanique de faire remonter les prix de la viande et du lait du fait de la réévaluation de la monnaie allemande, il faut prendre, si l'on ose dire, le taureau par les cornes à l'échelle européenne: comparer les charges réelles entre les différents concurrents, presque toutes plus lourdes en France, les rééquilibrer et, s'il y a lieu, compenser les différences, alléger les contraintes administratives . Il faut surtout qu'un gouvernement ayant compris l'importance de l'enjeu , non seulement agricole mais civilisationnel, sache affirmer qu'une France sans élevage ( et un élevage de plein air , non industriel) ne serait plus la France, que la France a plus que jamais besoin de ses éleveurs.

Roland HUREAUX

[1] Alors que les lois sociales en agriculture ont été appliquées en France de manière de plus en plus stricte.

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14 juillet 2015 2 14 /07 /juillet /2015 17:10

EURO : FIN DE PARTIE REMISE

Publié dans Causeur

"Cette fois l'euro est sauvé, la crise grecque est terminée ". Un concert de satisfaction a salué, tant dans les sphères du pouvoir que dans la sphère médiatique, l'accord qui a été trouvé le 13 juillet à Bruxelles entre le gouvernement Tsipras et les instances européennes - et à travers elles, les grands pays, Allemagne en tête .

Etonnante illusion : comme si la diplomatie pouvait venir à bout du réel. N'est ce pas Philippe Muray qui a dit un jour : "Le réel est reporté à une date ultérieure " ?

Il n'y a en effet aucune chance que cet accord résolve quoi que ce soit.

Passons sur le revirement étonnant d'Alexis Tsipras qui organise un référendum où le "non" au plan de rigueur de l'Europe est plébiscité avec plus de 62 % de voix et qui, immédiatement après, propose un plan presque aussi rigoureux.

Aide contre sacrifices

Ce plan a trois volets : les dettes de la Grèce doivent être étalées ; jusqu'où ? On ne sait pas encore, cela ne sera décidé qu'en octobre . La Grèce recevra de nouvelles facilités à hauteur de 53 milliards d'euros (remboursables), plus le déblocage de 25 milliards de crédits du plan Juncker (non remboursables). Elle doit en contrepartie faire voter sans délai un certain nombre de réformes : augmentation de la TVA, recul de l'âge de la retraite , lutte renforcée contre la fraude fiscale etc.

Le volet réforme correspond-t-il à une vraie logique économique ? Appliquées immédiatement, ces mesures plomberont un peu plus l'activité , comme toutes celles que l'on inflige à la Grèce depuis quatre ans. Ne vaudrait-il pas mieux que ce pays consacre les ressources nouvelles à l'investissement et ne soit tenu de revenir à l'équilibre qu' au moment où la croissance , grâce à ces investissements, repartira. Quel pays a jamais restauré ses grands équilibres dans la récession ?

Moins que de considérations techniques, cette exigence de réformes ne s'inspire-t-elle pas plutôt du vieux moralisme protestant : aider les pauvres , soit mais seulement s'ils font des efforts pour s'en sortir; quels efforts ? peu importe pourvu qu'ils en bavent !

Quoi qu'il en soit, pour redevenir solvable et donc rembourser un peu de ce qu'elle doit, la Grèce doit avoir des comptes extérieurs non seulement en équilibre mais excédentaires. Pour cela elle doit exporter.

Pourquoi n'exporte-t-elle pas aujourd'hui , et même achète-t-elle des produits comme les olives? Parce que ses coûts sont trop élevés. Pourquoi sont-ils trop élevés ? Parce qu'ils ont dérivé plus que dans les autres pays de la zone euro depuis quinze ans. Et quoi que prétendent certains experts, cela est irréversible.

Aucun espoir sans sortie de l'euro

La Grèce a-t-elle un espoir de devenir excédentaire en restant dans l'euro ? Aucun.

Seule une dévaluation et donc une sortie de l'euro qui diminuerait ses prix internationaux d'environ un tiers lui permettrait de reprendre pied sur les marchés.

C'est dire que l'accord qui a été trouvé , à supposer que tous les Etats l'approuvent, sera remis en cause dans quelques mois quand on s'apercevra que l'économie grecque ( à ne pas confondre avec le budget de l'Etat grec) demeure déficitaire et qu'en conséquence, elle ne rembourse toujours rien.

On le lui a assez dit : cette sortie-dévaluation sera dure au peuple grec, du fait de l'augmentation des produits importés, mais elle lui permettra au bout de quelques mois de redémarrer. Sans sortie de l'euro, il y aura aussi des sacrifices mais pas d' espoir.

Nous pouvons supposer que les experts qui se sont réunis à Bruxelles savent tout cela. Ceux du FMI l'ont dit, presque en ces termes. Les uns et les autres ont quand même signé.

Les Allemands qui ont déjà beaucoup prêté à la Grèce et savent qu'ils ne récupéreront rien de leurs créances, réformes ou pas, ne voulaient pas s'engager d'avantage . Ils ont signé quand-même . Bien plus que l'attitude plus flexible de François Hollande, c'est une pression aussi ferme que discrète des Etats-Unis qui a contraint Angela Merkel à accepter un accord, envers et contre une opinion allemande remontée contre les Grecs.

Quant à Tsipras, a t-il dû lui aussi céder aux mêmes pressions ( de quelle manière est-il tenu ?) ou joue-il double jeu pour grappiller encore quelques avantages avant une rupture définitive - qui verrait sans doute le retour de Yannis Varoufakis. Le prochains jours nous le diront.

Le médiateur discret

On ne comprend rien à l'histoire de cette crise si on ne prend pas en compte , derrière la scène, le médiateur discret de Washington qui, pour des raisons géopolitiques autant qu'économiques, ne souhaite ni la rupture de la Grèce, ni l'éclatement de l'euro.

Cette donnée relativise tous ce qu'on a pu dire sur les tensions du "couple franco-allemand" ( ça fait cinquante ans que le Allemands nous font savoir qu'ils n'aiment pas cette expression de "couple" mais la presse continue inlassablement de l'utiliser ! ) . Au dictionnaire des idées reçues : Merkel la dure contre Hollande le mou. Merkel , chancelière de fer, qui tient entre ses mains le destin de l'Europe et qui a imposé son diktat à la Grèce. Il est certes important de savoir que les choses sont vues de cette manière ( et une fois de plus notre piteux Hollande a le mauvais rôle !). Mais la réalité est toute autre. Ce que l'Allemagne voulait imposer n'est rien d'autre qu'un principe de cohérence conforme aux traités qui ont fondé l'euro. Ce que Tsipras a concédé, c'est ce qu'il ne tiendra de toutes les façons pas parce qu'il ne peut pas le tenir . Merkel a été contrainte à l'accord par Obama contre son opinion publique. La "victoire de l'Allemagne" est doublement illusoire : elle ne défendait pas d'abord ses intérêts mais la logique de l'euro; cette logique, elle ne l'a imposée que sur le papier .

Mais pourquoi donc tant d'obstination de la part de l'Europe de Bruxelles, de la France et de l'Allemagne ( et sans doute de l'Amérique) à trouver une solution à ce qui dès le départ était la quadrature du cercle ? Pourquoi tant de hargne vis à vis des Grecs et de tous ceux qui ont plus ou moins pris leur défense , au point d'anesthésier tout débat économique sérieux ?

Le Monde a vendu la mèche en titrant en grand: "L'Europe évite l'implosion en gardant la Grèce dans l'euro" . Nous avons bien lu : l'Europe et pas seulement l'euro. Bien que la Grèce ne représente que 2 % du PIB de la zone euro, son maintien dans cette zone conditionne la survie de l'euro. Mais par delà l'euro , c'est toute la construction européenne qui semble devoir être remise en cause si la Grèce sortait et si, du fait de la Grèce, la zone euro éclatait. Là encore le paradoxe est grand : comment de si petites causes peuvent-elles avoir de si grands effets ? Ce simple constat montre , s'il en était besoin, la fragilité de l'édifice européen. Cette fragilité réapparaitra qu'on le veuille ou non, jusqu'à la chute de ce qui s'avère de plus en plus n'être qu'un château de cartes.

Devant une telle perspective, les Européens, ont dit " de grâce, encore une minute, Monsieur le bourreau" . Une minute ou quelques mois mais pas beaucoup plus.

Roland HUREAUX

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14 juillet 2015 2 14 /07 /juillet /2015 17:06

TSIPRAS, IGLESIAS, MELENCHON, LE PEN, KRUGMAN, STIGLITZ, SEN, LES CHARLATANS DE L'EUROPE

Publié dans Causeur

"Tsipras, Iglésias, Mélenchon, Le Pen...Les charlatans de l'Europe" titre Le Point de cette semaine. Avec un sous-titre, "l'internationale des imposteurs" : charlatans, imposteurs, rien que ça !

Puisque cette liste politiquement pluraliste désigne des gens critiques de l'euro ou qui menacent sa survie, l'hebdomadaire aurait pu continuer : Paul Krugman, Joseph Stiglitz, Thomas Sargent, Christopher Pissarides, James Mirrlees, Amartya Sen, Milton Friedman, sept prix Nobel d'économie ayant émis des doutes sur l'euro. Il aurait pu ajouter aussi Margaret Thatcher, Hans-Olaf Henkel , ancien président du patronat allemand, Vaclav Klaus, ancien président de la République tchèque, Jean-Pierre Chevènement, Emmanuel Todd : voilà bien des charlatans et des imposteurs. Ils se multiplient autant que les contre-révolutionnaires au temps de Staline.

Ce qui est remarquable dans le titre évoqué, ce n'est pas que l'hebdomadaire en cause soit partisan de l'euro . Il en a parfaitement le droit et il n'est pas le seul : tous les dirigeants au pouvoir en Europe occidentale et tous les organes de presse importants sont dans ce cas: on notera au passage combien est dépassé le clivage pouvoir-contre-pouvoir puisqu' on ne trouve plus guère de divergences entre hommes de pouvoir et hommes de médias sur ce sujet.

Le Point n'est pas seul : toute la presse du "courant principal" s'est au cours des derniers jours déchaînée contre Alexis Tsipras avec une rage rare .

Une attitude d'autant plus étonnante que le fond du problème est parfaitement technique: savoir si une monnaie unique , commune à plusieurs pays, est une bonne ou une mauvaise chose , analyser quels en sont les avantages, les inconvénients et les risques, savoir si l'entreprise peut être durable pourraient faire l'objet d'un débat objectif sans passion et naturellement sans injures.

Les extrémistes sont au centre

Comme l'hebdomadaire en cause a la réputation d' être plutôt centriste , et que les personnalités qui se sont le plus déchaînées l'ont également, que par ailleurs, nous n'avons pas connaissance de propos aussi véhéments des adversaires de l'euro à l'égard de ses partisans, on en tirera que les vrais extrémistes d'aujourd'hui sont les centristes.

C'est même parmi eux que l'on a entendu les propos les plus forts à l'encontre de la démocratie . Martin Schulz, président social-démocrate du Parlement européen appelle ouvertement à un changement de gouvenrment à Athènes alors que les élections ont eu lieu il y a six mois à peine. Les mêmes cercles avaient d'ailleurs salué comme une avancée de la démocratie en Ukraine le 18 février 2013 , à la suite des manifestations de la place Maidan où s'illustraient des milices néo-nazies, l'éviction du président Ianoukovitch dont personne ne contestait la régularité de l'élection et qui était en cours de mandat. Les propos d'Alain Minc proposant que le pouvoir soit pris à Athènes par un gouvernement de technocrates venus de Bruxelles ne sont pas différents. Juncker, président de la commission européenne, n'avait-t-il pas dit qu'"il ne saurait y avoir de choix démocratique contre les traités européens" ?

On ne ferait que rappeler des évidences en relevant dans ces comportements les symptômes de ce qu'il faut bien appeler un régime idéologique, étendu à toute l'Europe : véhémence à l'égard des opposants - qui ne sont pas encore des vipères lubriques mais ça pourrait venir - , refus d'un dialogue serein, remise en cause des principes les plus sacrés, la démocratie en l'occurrence , dès lors qu'il s 'agit de sauver le système, monolithisme des cercles dirigeants et des grands médias, désormais confondus dans la défense de l'euro. Il existe d'autres convergences : la plus patente est que les idéologies ont toujours l'effet inverse de celui qui était recherché : l'euro devait apporter la prospérité , des comportements plus homogènes et l'amitié entre les peuples d'Europe ; il apporte partout - et pas seulement en Grèce - , la récession; il éloigne des peuples ( pour des raisons économiques faciles à comprendre dès lors qu'on a affaire à un véritable spécialiste et non à un idéologue ), surtout il crée la désunion là où elle n'avait pas lieu d'être : entre Grecs et Allemands qui ne se seront jamais détestés autant depuis qu'il y a l'euro et surtout entre Français et Allemands pour qui cette histoire absurde érode dangereusement, de crise en crise, une relation privilégiée de plus de cinquante ans.

Pourquoi Tsipras a cédé

Est-ce cette immense machine d'intimidation à caractère idéologique qui a conduit Alexis Tsipras , lequel incarnait il y a quelques jours la résistance au système, à s'être tout de suite après son référendum victorieux du 5 juillet, couché devant l'establishment international au point de donner le sentiment à beaucoup de Grecs d'une humiliation nationale de grande ampleur. Certains, encore sous le choc, parlent même d'un "coup d'état financier" à Athènes .

Il était certes bien difficile à un jeune homme de 40 ans , à la tête d'un pays économiquement insignifiant , de résister seul à la formidable coalition de grands pays comme les Etats-Unis, l'Allemagne, la France et à toute la machinerie de Bruxelles, soutenus par l'immense majorité des médias occidentaux le trainant jour après jour dans la boue.

Il n'est pas sûr cependant que l'intimidation ait seule joué : il se peut que de la part de Washington des moyens de pression que nous ignorons aient été utilisés, comme ils le sont régulièrement pour faire fléchir Angela Merkel . Quoique pour des raisons inverses Tsipras et Merkel avaient l'opinion derrière eux pour refuser l'accord, ils n'en ont pas moins cédé. Pour les Etats-Unis, le maintien du statu quo est triplement nécessaire : parce que l'explosion de l'euro pourrait être le détonateur d'une nouvelle crise financière internationale, parce que l'euro leur permet de maintenir les économies européennes en tutelle, parce qu'ils serait dangereux pour eux de laisser la Grèce, dont la position géopolitique est capitale , errer sans attache dans une zone de haute turbulence , au risque de devenir même une tête de pont de Moscou.

De ce côté ci de l'Atlantique, l'enjeu est différent mais tout aussi considérable : c'est toute la crédibilité de la classe politique continentale qui est en cause. Elle s'est engagée à fond depuis vingt ans dans l'aventure de l'euro. S'il s'effondrait, elle se trouverait aussi désemparée et aussi anachronique qu'un professeur de marxisme léninisme après la chute du rideau de fer.

Face à des enjeux aussi énormes, la force des choses a donné à Alexis Tsipras un pouvoir de subversion que beaucoup , à commencer par Nicolas Sarkozy, jugent démesuré. Ne soyons pas étonné que , par des canaux divers , il ait subi ces temps ci des pressions tout aussi démesurées .

Il se peut enfin qu'il ait été d'autant plus vulnérable à ces pressions qu'il vient de la gauche. Expliquons nous. Quoique en dise l'hebdomadaire cité plus haut, Tsipras, Iglésias ( de Podémos) et Mélenchon n'ont cessé de dire qu'ils souhaitaient le maintien de l'euro - même si leurs autres positions sont contradictoires avec ce souhait. L'euro, dirait Hayek, est une entreprise constructiviste , un projet qui prétend faire avancer l'humanité en tordant les lois , sinon de la nature, du moins de l'histoire et de la sociologie. Le constructivisme , d'autres diront l'utopie, est l'essence des idéologies de gauche et d'extrême gauche. Elles se trouvent naturellement en conjonction avec un projet comme l'euro. Autrement dit, Tsipras, marxiste de formation, était intellectuellement peu armé pour résister à la pression internationale.

Mais nous ne savons pas tout : celui qui percera les cheminements qui on amené le gouvernement grec à plier en saura beaucoup sur la manière dont va notre monde.

Roland HUREAUX

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13 juillet 2015 1 13 /07 /juillet /2015 14:42

COMMENT LA GAUCHE A FAVORISE LA CONCENTRATION PARISIENNE

Depuis quelques années , un débat récurrent oppose une partie des maires de la région parisienne, spécialement ceux de droite, à l'administration. On leur reproche de ne pas remplir le quota de 20 % ( porté récemment à 25 % ) de logements sociaux imposé par la loi SRU (2000) aux communes de plus de 3500 habitants, alors même qu'ils n'auraient pas de disponibilité foncière pour cela.

Il est rare que ce débat soit élargi, comme il devrait l'être, à la question de l'aménagement du territoire français dans son ensemble

C'est au lendemain de la guerre de 1939-1945 que fut lancée une grande politique d'aménagement du territoire destinée à résorber le déséquilibre démographique entre "Paris et le désert français" et entre villes et campagnes. Incarnée par la DATAR à partir de 1963, cette politique a remporté des succès certains: essor des métropoles régionales mais aussi des villes moyennes, essor de l'Ouest, de la région toulousaine, du Massif central. A partir de 1980, la croissance de la région parisienne commença à être contenue.

La fin de l'aménagement du territoire

Mais cette politique évidente se trouva disqualifiée dans les années 1990, sous l'inspiration de quelques idéologues issus du parti socialiste. L'aménagement du territoire qualifié par eux "de papa" devint ringard. Trop sensible à la province et à la ruralité, il fut même suspect de "vichysme" ( ce dont personne ne s'était avisé pendent les quarante années qui avaient suivi la guerre !). Il fallait au contraire, pour faire face à une supposée concurrence européenne voire mondiale des territoires, doper la croissance de la région parisienne et de cinq ou six grande métropoles régionales ( qui devaient être les capitales de quatre ou cinq länder à la française ). Entre ces pôles, des autoroutes, des TGV, des parcs naturels et une agriculture extensive à l'américaine. D'autant que la Ville, et en réalité, les banlieues et même certaines banlieues, désormais magnifiées, étaient tenues pour le lieu de la modernité par excellence, du brassage, du cosmopolitisme, de la construction de nouveaux modèles familiaux, sociaux voire politiques, et surtout de la déconstruction des anciens. C'est ainsi que les freins à la croissance de la région parisienne et les principales incitations à l'installation dans le monde rural furent démantelées, la politique des villes moyennes et petites laissée à l'abandon. Parallèlement, les petites communes , vouées à disparaitre ( "la fin des villages " de Jean-Pierre Le Goff ) faisaient l'objet d'une première grande loi sur l'intercommunalité (1992) visant leur fusion ; la politique agricole commune était révisée dans le sens voulu par les Etats-Unis (1992), fatal à la paysannerie française. Au même moment, était créé l'espace Schengen qui devait , à partir du traité d'Amsterdam (1996), relancer l'immigration non européenne dont la principale destination est en France la région parisienne.

La suppression de la DATAR et le déménagement de ce qui la remplace en Seine Saint-Denis, la nouvelle carte régionale ( qui laisse sans métropole tout l'espace compris entre Rhône, Garonne et Loire) , décidés par l'actuel gouvernement, constituent l'aboutissement de ce processus.

Que Paris et sa région doivent être organisés comme une grande métropole internationale est incontestable , mais seul un raisonnement sommaire pouvait amener à confondre le rayonnement qualitatif avec le poids démographique. A ce compte, Dacca (17 millions) pèserait plus que Londres (11 millions) !

L'effet de ce retournement de politique ne se fit pas attendre : reprise de la croissance démographique (l'Ile-de-France a vu sa population passer de 10 à 12 millions entre 1990 et 2015) , afflux de population pauvres, tension sur les prix de l'immobilier, pénurie, hausse de la demande de logement social qui, au début des années quatre-vingt, semblait satisfaite.

En parallèle, combien de petites villes en crise, combien de villages où les délocalisations ont détruit le tissu industriel essaimé au cours des années 1945-1980 et multiplié les logements vides vacants ?

Il est certes légitime que, pour satisfaire la demande parisienne, on relance la construction de logements sociaux et que des dispositifs adaptés, respectueux des libertés municipales, plus incitatifs que contraignants assurent un certaine équilibre sociologique entre les communes.

Mais le problème du logement en région parisienne ne sera pas résolu sans une remise en cause complète de la contre-politique d'aménagement du territoire favorable à la concentration, inspirée par les idéologues socialistes, qui prévaut depuis 25 ans, de même qu'un vrai contrôle de l'immigration doit relâcher la pression sur nos grandes agglomérations.

Roland HUREAUX

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13 juillet 2015 1 13 /07 /juillet /2015 14:39

POURQUOI LA GRECE LES REND FOUS ?

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Les commentaires tant des hommes politiques français que de la grande presse à la perspective du référendum grec et de ses suites ont , depuis quelque jours , perdu toute mesure.

Tous annoncent le pire à ce pays en cas de retrait de l'euro : "la Grèce danse au bord du ravin"( François Bayrou). "Si c'est le non qui l'emporte, on rentrera dans une forme d'inconnu." (François Hollande). Tsipras "joue avec le feu" ( Alain Juppé). Les manchettes multiplient les alarmes emphatiques : la Grèce au bord du gouffre, la Grèce au bord du précipice.

La procédure du référendum est vilipendée : il est "illégal" (Mme Lagarde) ; il est un "leurre", une "mascarade" , un « dangereux coup de poker», un« piètre chantage », voire un aveu de « faiblesse politique » de la part d’Alexis Tsipras . « Ce n’est pas ainsi que l’Europe doit fonctionner » .

Par parenthèse , que l' Europe ne doive pas fonctionner en consultant les peuples, on le savait déjà depuis que Juncker nous avait avertis : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens.»

Le grand responsable pointé du doigt, c'est bien sûr Alexis Tsipras et son gouvernement : "Qui a quitté la réunion des ministres des finances, si ce n'est le ministre des finances grec ? Qui a refusé toutes les propositions qui lui ont été faites ? Voilà le premier résultat d'une politique irresponsable." (Nicolas Sarkozy)

« L’appel au peuple de Tsipras n’est qu’un "coup" politique camouflé sous le masque de la démocratie directe » destiné à masquer « le vide abyssal du projet politique de Tsipras ». « Le référendum convoqué par Alexis Tsipras dévoie la démocratie ». On dénonce « l’incompétence, l’irresponsabilité, voire la malhonnêteté de Syriza ».

Or , proclament les matamores de la défense de l'euro: « face à des maîtres chanteurs, seule la fermeté paye ». Puisque le recours au peuple est un coup d'état, certains suggèrent dans une démarche véritablement orwellienne, de défendre la démocratie en instaurant une dictature : « il faudra alors penser à une tutelle, une vraie tutelle des seize autres de la zone euro. […] Et quand on dit les seize, on pense bien sûr à la France et à l’Allemagne. » : « iI faudra que de l’extérieur, de Paris, de Berlin, viennent les instruments, viennent les hommes, viennent les méthodes pour remettre la Grèce dans le bon sens.»

Une catastrophe pour la Grèce ?

Avant de voir ce que signifie cette panique , on rappellera quelques vérités élémentaires : le retrait de la Grèce de l'euro permettra une dévaluation et donc une meilleurs compétitivité. Au vu des expériences analogues , ce retrait s'avérerait certainement positif pour la Grèce. Dans les tous premiers moins certes, le niveau de vie populaire serait encore amputé du fait de la hausse des prix importés, mais les coûts de production aussi , ce qui rend possible un redémarrage de l'économie. L'austérité sans dévaluation est sans espoir; l'austérité qui découle de la dévaluation s'accompagne d' espoir.

Dans un rapport que l'Union européenne a essayé en vain de tenir secret, le FMI s'avise que la déflation imposée par l'Europe à la Grèce a fait beaucoup plus de mal que prévu à la Grèce. Il était temps ! Comment ne pas douter en effet de l'efficacité d'une politique qui a déjà entraîné une baisse du PIB de 35 % ? A supposer que cette politique ait finalement des effets positifs, ce qui reste à prouver, combien de temps aura été perdu ? Les "trente glorieuses" où l'Europe au sortir de la guerre, s'est si magnifiquement reconstruite se sont accompagnées, de déficit, d'endettement, d'inflation. Toute croissance se fait à la va comme je te pousse. Si le dogmatisme utopique qui règne aujourd'hui dans la zone euro, avait été appliqué après la guerre, l'Europe ne se serait tout simplement jamais reconstruite !

De nouveaux crédits, des abandons de créance et en contrepartie , de nouvelles "réformes" : est ce là une démarche économique rationnelle ? Jusqu'à quel point ne s'agit-il pas plutôt d'une démarche punitive, pénitentielle: on aide les pauvres soit ,mais en contrepartie, il faut qu'ils souffrent !

Et où serait la vraie catastrophe pour la Grèce ? Si elle ne sort pas de la zone euro, quelque plan qu'on lui applique, la cause profonde du mal demeurera : la manque de compétitivité; il ne ferait même que s'aggraver et la crise que nous connaissons se produira à nouveau dans deux ou trois mois.

Pourquoi tant de fureur ?

Alors pourquoi cette fureur, pourquoi ces prophéties apocalyptiques contraires à la plus élémentaire rationalité économique ? Comment ne pas soupçonner dans cette affaire, l'effet non de la raison mais de l'idéologie ? Partout où l'idéologie règne, l'anathème se substitue au débat , la rage, la vindicte accablent les opposants ou ceux qui font obstacle à l'application du dogme. "C'est même à cela qu'on la reconnaît" aurait dit Michel Audiard !

Si la monnaie unique constituait seulement un club , destiné à l'utilité mutuelle de ses membres , une coopération que nous appellerons naturelle, le fait qu' un membre veuille se retirer ne serait pas un drame. Or il est clair que nous nous trouvons dans une autre logique: un projet prométhéen destiné à dépasser la condition humaine, jusque là dominée , au moins en Europe par ces fléaux supposés que sont l'éclatement monétaire et les pluralités nationales . Un projet qui préfigure peut-être une monnaie mondiale . Ce projet est si sublime qu'il ne saurait être qu'irréversible ; le retrait d'un seul pays le remet donc entièrement en cause. "L'exclusion d'un pays membre peut avoir des conséquences d'une gravité que personne ne peut vraiment appréhender", dit un éditorialiste.

Nous avons là la réponse à une autre question fondamentale ! A quoi va conduire le défaut ou le retrait de la Grèce ?

Dès lors que l'euro est une construction de type idéologique, analogue au communisme d'autrefois, il est soumis au principe, largement invoqué par les partisans du oui au traité constitutionnel : le véhicule européen a une marche avant mais pas de marche arrière; comme la bicyclette, la construction européenne, si elle n'avance pas , chute. On peut aussi dire qu'elle suit le principe du château de cartes : une seule carte ôtée et l'édifice s'effondre, ce qui ne serait pas le cas d'une construction fondée et non sur une chimère mais sur les réalités, comme par exemple une entreprise dont un actionnaire peut toujours se retirer sans remettre en cause son existence .

Perdre le contrôle d'un seul pays fut fatal à l'URSS; il en est de même pour l'Union européenne et de son étage supérieur, la zone euro. C'est parce qu'ils sentent très bien tout cela que les commentateurs, presque tous partisans de l'euro , perdent leur sang froid : ils savent que la sortie d'un seul membre qui ne représente pourtant que 2 % du PIB européen remettrait en cause l'ensemble de l'édifice.

Alexis Tsipras lui-même le reconnait : "L'absence d'accord sur la Grèce signifierait "le début de la fin" pour la zone euro" , surtout si les autres pays en difficulté découvrent six mois après, que, comme c'est à peu près certain, la Grèce, contrairement aux pronostics apocalyptiques , se porte mieux.

L'éclatement de l'euro entrainerait-il dans sa chute l'ensemble de la construction européenne ? Sûrement pas s'agissant des coopérations classiques conçues en dehors de Bruxelles, comme la coopération aéronautique ou spatiale . Mais pour ce qui dépend de la machine de Bruxelles , il est clair que ceux-là même qui lui sont le plus attachés craignent le pire . Et il se pourrait, pour les raisons que nous avons dites, qu' ils aient raison.

Panique à bord

A partir de là, nous comprenons l'absence de mesure des commentateurs : si l'euro éclate et si l'Europe de Bruxelles s'effondre, c'est toute leur crédibilité qui se trouve anéantie. D'un seul coup la classe politique actuelle se trouvera périmée . Périmée comme un billet de cinquante euros si l'euro n'a plus cours ! L'euro n'est pas un élément de politique économique parmi d'autres. Il est, depuis trente ans, le paradigme indépassable, l'horizon obligé de toutes les politiques continentales. L'ensemble de la classe politique, au moins pour ce qui est des partis de gouvernement, a vécu entièrement dans cet horizon, sans jamais chercher à imaginer que cette entreprise pourrait ne plus fonctionner. Comme les animaux programmés pour vivre dans une certain milieu , nos gouvernants se trouveront complètement déphasés si ce milieu change . Ils le savent : devront sans doute laisser la place à d'autres.

Le problème pour eux serait encore simple s'il ne s'agissait , comme ils feignent de le croire, que de Tsipras. Mais tout le monde sait que derrière les foucades du premier ministre grec, se trouvent le lois inexorables de l'économie , derrière le cas particulier grec, la force des choses.

Roland HUREAUX

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13 juillet 2015 1 13 /07 /juillet /2015 14:00

HEUREUSEMENT POUR LES GRECS, ILS N'ONT AUCUNE SOLUTION

Les Grecs ont donné par le référendum du 5 juillet 2014 une belle leçon de liberté appelée à passer dans l'histoire.

Il est pourtant clair que le problème qui se posait à eux avant se pose toujours après.

Mais ce problème n'est pas , contrairement à ce que disent la plupart des commentateurs, celui de la dette . Tout simplement parce que , quelles que soient les dispositions qui seront prises , cette dette ne sera pas remboursée. Comment faire payer quelqu'un dont les poches sont vides ? Avec tous les moyens de pressions du monde, qui le pourrait ? D'ailleurs ce n'est pas la dette elle-même qui était l'objet du désaccord, mais plutôt les réformes que les créanciers européens exigent en échange d'une remise partielle , dont rien ne prouve d'ailleurs qu'elles amélioreraient d'aucune manière la capacité de remboursement de la Grèce .

Si la Grèce ne paye pas, qui payera ? Les contribuables, dit-on. Est-ce si sûr ? La Grèce doit 300 milliards d'euros, la France 2 100 milliards et les Etats-Unis 18 000 milliards. Qui remboursera jamais la dette américaine ? La banque centrale européenne, en violation de ses statuts, a décidé d'acheter des titres de dette publique, c'est à dire à faire marcher la planche à billets. Pourquoi pas au bénéfice de la Grèce ? De toutes les façons, la Grèce ne payera pas.

La remise de la dette grecque n'ira pas de soi . L'Allemagne n'en veut pas. L'Espagne , le Portugal et l'Irlande non plus : ils ont fait, eux, croient-ils, sans rechigner, les efforts que la Grèce refuse. Au Conseil d'administration du FMI, des pays du tiers monde diront que jamais cette institution n'a prêté autant qu'aux Grecs et que jamais elle n'a consenti de tels abandons de créances.

Mais admettons que la dette grecque soit remise en tout ou en grande partie. A supposer même que, par un surcroit de mansuétude, les créanciers, prêtent en plus ce qu'il faut aujourd'hui à la Grèce pour réamorcer la pompe budgétaire et financière, rien ne serait résolu. Dans trois mois, dans six mois, elle serait nouveau en cessation de paiements. La Grèce qui n'a pas été en mesure de rembourser ce qu'on lui a prêté dans le passé ne pourra pas davantage rembourser ce qu'on lui prêterait demain. Et son économie restera en panne.

Car le problème, l'unique problème de la Grèce est celui de sa compétitivité. La compétitivité , ce n'est pas l'état technique, la qualité de la main d'œuvre , la gouvernance publique, car même les pays où rien de cela ne va trouvent un niveau de change de leur monnaie qui leur permet de vendre encore certains de leurs produits. Grâce aux différentiels monétaires, le commerce mondial n'est pas , heureusement, réservé aux Etats parfaits, ni même aux Etats le plus avancés. Les autres pays commercent aussi à condition de vendre à bon marché et donc d'avoir une monnaie elle aussi bon marché, ce que n'a pas aujourd'hui la Grèce.

La valeur d'une monnaie , c'est le prix moyen auquel un pays vend ses produits. S'il a une monnaie forte, il vend cher; s'il a une monnaie dévaluée il vend bon marché . Or l'euro est une monnaie forte . Une monnaie forte pour un pays faible, voilà le problème , le seul problème de la Grèce vis à vis de ses partenaires .

Les Grecs sont même obligés d'acheter les olives, dit-on. Mais ce n'est nullement par fainéantise , c'est le niveau de leur monnaie qui rend les olives grecques plus chères que les olives importées.

La variable oubliée

L' état technique du pays n'a pas fondamentalement changé depuis quinze ans. Mais le niveau des prix dépend aussi de l'inflation des coûts , d'abord des salaires . Or la dérive des coûts en Grèce a été plus grande que chez tous ses partenaires, notamment l'Allemagne.

Les créateurs de la monnaie unique ont tenu cette variable, le différentiel d'inflation entre le pays , pour négligeable . Ils pensaient qu'avec un petit effort, tout le pays pouvaient être ramenés sur la même ligne. Ce fut là leur grande erreur.

La propension relative à l' inflation d'un pays, qui est le principal critère par rapport auquel la Grèce a péché, ne se détermine pas a priori, elle n'est pas non plus une affaire de vertu , elle est la variable d'ajustement nécessaire pour maintenir la cohésion sociale . La cohésion d'un pays est chose très profonde dont les conditions ne se changent pas en un jour. Pour certains pays, la cohésion peut être maintenue avec une inflation faible, pour d'autres , il faut une inflation plus forte : c'est le cas de la Grèce et à un moindre degré des autres pays méditerranéens ; ils ne sont pas plus paresseux que les autres mais ont peut-être le sang plus chaud !

Avoir oublié cette variable est un péché contre l'esprit de la part de ceux qui ont conçu l'euro et qui aujourd'hui s'acharnent à le maintenir en vie, un péché d'autant plus impardonnable qu'il s'agit généralement de gens imbus de leur supériorité intellectuelle. Bien à tort puisque ils raisonnent faux. Dans n'importe quelle discipline, il suffit d'oublier une variable pour avoir tout faux. C'est le cas.

Faute de connaître cette variable , ces gens se sont enfermés dans un moralisme stupide se contentant de noter les différents pays en fonction de leur plus ou moins grande vertu monétaire. Et dans la plupart des discours entendus ces jours ci contre la Grèce, revient cette idée morale .

Pas plus que les Grecs ne sont des fainéants , ils ne sont des forbans ne voulant pas rembourser ce qu'ils doivent, car pour rembourser, il leur faut des excédents, et ils n'en ont pas parce qu'il ont une monnaie trop forte pour eux, que donc ils ne sont plus compétitifs en rien et ne peuvent rien vendre.

Morale pour morale, les défauts des Grecs, qui sont certains , sont moins graves que l'incroyable incompétence économique que laissent transparaitre ces jours ci à tout but de champ , les hommes politiques et les médias européens quand ils abordent ce sujet.

Les derniers remèdes que l'on propose pour éviter à la Grèce de sortir de l'euro sont largement illusoires . Le principal est la déflation ou dévaluation interne: au lieu de changer le cours de sa monnaie, le pays baisse tous les prix et salaires pour les rendre compétitifs. C'est déjà ce qui est imposé à la Grèce depuis cinq ans : on voit l'inefficacité de cette méthode ; elle entraine le pays dans une spirale dépressive sans fin , alors qu'une inflation modérée créerait au contraire une euphorie favorable à la croissance. Elle rencontre aussi une limite sociale que le référendum grec exprime. On prétend que cette méthode a réussi à l'Espagne et au Portugal : mais eux aussi ont plongé dans la dépression et les peuples de ces pays n'ont pas encore dit leur dernier mot.

Variante de cette méthode déflationniste, il faudrait , dit-on, un "véritable gouvernement économique de la zone euro". Mais mesure-t-on ce que cela implique ? Rien de moins qu'une gestion beaucoup plus brutale des problèmes "régionaux" , telle celle des Etats-Unis laissant en 1928 des milliers d'agriculteurs ruinés quitter l'Oklahoma pour la Californie ( évènement qui fit l'objet du célèbre roman de John Steinbeck, Les raisins de la colère ). On ne gouverne pas de loin avec des pincettes ! A moins que l'on n'accompagne cette gestion brutale de transferts massifs des Etats riches vers les Etats pauvres, comme en France du Bassin parisien vers le Massif central ou l'Outre-mer , mais l'Allemagne a assez dit qu'elle ne voulait en aucun cas de cette solidarité qui d'ailleurs se traduirait par une discutable plongée de régions entières dans l'assistance.

Pour conclure : non, il n'est aucune autre solution au problème de la Grèce que la sortie de l'euro.

Seul le rétablissement rapide de la compétitivité-prix par une monnaie dévaluée - c'est à dire ramenée à un taux réaliste - permettra une relance rapide de l'économie grecque . Dans moins d 'un an , la Grèce sera capable de redevenir excédentaire et même de rembourser un peu de sa dette !

Imaginons une agence de voyages qui vend 800 € un séjour en Grèce qui lui en coûte 600 et a donc 200 € de bénéfice. Si la Grèce sort de l'euro et si le séjour est toujours vendu 800 € - et peut-être moins - il coûtera à l'agence 400 € et lui en rapportera 400 . Son bénéfice doublant, elle aura tout intérêt à multiplier les visiteurs .

Le pire pour les Grecs serait aujourd'hui un nième compromis visant à "sauver" la Grèce - ou plutôt à la maintenir dans l'euro. Aucun problème n'étant réglé, la substance économique de ce pays continuerait à dépérir. Jusqu'où ?

Impossible économiquement , le maintien de la Grèce dans l'euro n'en constitue pas moins un risque systémique pour l'euro lui-même et peut-être , au-delà, pour l'ensemble de la construction européenne. C'est toute la crédibilité des dirigeants politiques et économiques de Europe qui se joue là. La puissance des intérêts , en Europe et ailleurs, attachés au système actuel laisse supposer qu'ils ne laisseront pas partir la Grèce facilement. C'est l'absurdité du projet de monnaie unique qui a entrainé l'Europe dans cet impossible dilemme, dont la Grèce n'est qu'un révélateur. Au départ de l'euro , il y a la volonté , typiquement idéologique de forcer la nature des choses. Peut-on la forcer encore ? Face à ce dilemme on comprend l'exaspération des partisans de l'euro lesquels ont du mal à accepter que sa survie soit liée au sort d'un pays qui ne représente que 2 % de l'économie de la zone. Ignorant ce qu'est un mécanisme idéologique, ils le prennent mal : Alain Minc propose , pour éviter l'effondrement de tout l'édifice, d'envoyer une canonnière, d'imposer à la Grèce un gouvernement étranger qui vende les biens du clergé pour payer la dette, comme on l'avait fait 1789 . Ira-t-on jusque là ? Heureusement que Tsipras a rencontré deux fois Poutine au cours des derniers mois ! Il y plutôt à parier que l'on sauve la face en maintenant une situation ambigüe où la Grèce resterait théoriquement dans l'euro pour les transactions externes et lancerait une monnaie parallèle à usage interne.

En tous cas, la pire des choses qui pourrait arriver à la Grèce serait que l'on trouve une solution à son problème de maintien dans l'euro. Heureusement, c'est impossible.

Roland HUREAUX

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30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 16:46

LA GRECE AU BORD DU SALUT

Publié dans Atlantico

Tout le monde attend qu' une catastrophe de première magnitude frappe la Grèce à l'annonce de son défaut ou de sa sortie de l'euro. Cette opération pourrait lui apporter au contraire le salut.

Sans doute le choc sera rude . La sortie de l'euro signifiera pour elle une dévaluation d'environ 50 % et donc un doublement des prix des produits importés , soit la plupart de produits de première nécessité.

Il est inutile de chercher à savoir si ce réajustement constitue un bien ou un mal car, pour douloureux qu'il soit , il est inévitable. Il devait se produire un jour ou l'autre et attendre le rendrait encore plus cruel. Il ne s'agit au demeurant que d'une opération de clarification, d'un retour à la vérité des prix, d' un retour sur terre. La Grèce cessera de vivre au -dessus de ses moyens, c'est tout.

Certes l'opération sera douloureuse pour un pays qui a déjà perdu 35 % du PIB. Mais elle a sa contrepartie: les coûts de production grecs, à commencer par ceux des hôtels de tourisme, seront diminués de 50 %. Le temps pour que les agents encore en mesure de produire tirent pleinement parti de cet avantage comparatif considérable, estime-t-on au vu des nombreuses expériences analogues qui se sont produites au cours du XXe siècle, est de six mois. Et alors les choses repartent très vite, généralement au-delà des espérances.

Retour de l'espoir

On dira que tant qu' à accepter des sacrifices , la Grèce pourrait accepter aussi bien ceux que lui impose la troïka et qui reviennent au même , et ainsi rester dans l'euro. Ce disant, on prône la dévaluation intérieure, ou déflation par baisse des prix domestiques, ce que l'Europe essaye d'imposer à la Grèce depuis plusieurs années. Or la différance est double . D'abord parce que la déflation , partout où elle a été expérimentée, tue la croissance et même provoque la récession , ce qui n'est pas le cas de la dévaluation. Ensuite parce qu'une dévaluation interne représente des sacrifices sans espoir, alors que la dévaluation externe, même si les sacrifices sont au départ plus grands, s'accompagne de l' espoir, parfaitement fondé, que les choses aillent mieux très vite.

Face à ce schéma qui s'apprend en première année de sciences éco (mais apparemment beaucoup de nos décideurs ne sont pas allés si loin), il se trouve toujours des sceptiques pour dire : oui, mais ça c'est la théorie , dans le cas de la Grèce, ce schéma ne marchera pas, pour telle ou telle raison : les Grecs sont trop paresseux, leur appareil productif est trop dégradé et ne repartira pas, les déséquilibres intérieurs resteront.

Et bien non : sauf en cas d'inflation galopante de type latino-américain où la hausse des prix annule en quelques heures l'avantage comparatif retrouvé - mais nous ne sommas pas dans ce cas - , les dévaluations sont toujours efficaces pour rétablir la compétitivité et donc la balance du commerce et la croissance. Même si l'appareil productif est très dégradé, il révélera quelque niches que l'on ne soupçonne pas, soit pour l'exportation , soit pour la substitution d'importation et , la pompe réamorcée, le reste suivra.

Il est des lois économiques dont à juste tire il faut se méfier car leur application est tributaire des circonstances. Mais ce n'est pas le cas de celle là: la sensibilisé de la balance du commerce et donc de l'activité au taux de change est toujours effective, sans exception. Et comme les investisseurs qui ne s'embarrassent pas de théories brumeuses, eux, le savent, ils reviendront très vite.

Il vaut mieux que l'opération soit accompagnée de politiques structurelles, mais même si ce n'est pas le cas, la loi économique s'appliquerait. Peut-être plus vite encore en Grèce car les agences de tourisme, partenaires essentiels de l'économie grecque , savent déjà qu'elles feront beaucoup plus de bénéfices avec un retour à la drachme.

Le débat n'est pas nouveau: on a annoncé des catastrophes avant presque toutes les dévaluations : en France (1958, 1969), en Grande-Bretagne (1967, 2008), en Afrique avec celle du Franc CFA (1994) ou ailleurs. Non seulement elles n'ont jamais eu lieu, mais les bienfaits se sont fait ressentir très vite après.

Il y a évidemment une inconnue : la communauté occidentale pourrait , d'une manière ou d'une autre, boycotter la Grèce et freiner son relèvement. Mais c'est peu probable . D'autant que les contacts pris par Tsipras avec la Russie lui donnent une solution alternative , sinon pour une aide financière, du moins pour l'achat de produits de première nécessité.

Quant à la dette, elle reste due même en cas de sortie de l'euro. Mais comme Athènes ne la réglait déjà pas, la nouvelle situation ne changera rien.

Si la cohésion de la zone euro ne devrait pas être affectée immédiatement, elle pourrait l'être au bout de quelque mois quand les autres pays en difficulté verront que la Grèce redémarre.

Roland HUREAUX

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