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Roland HUREAUX

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23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 06:54

(Publié dans Marianne 2 ) 

On savait que la crise   pouvait affoler les marchés.  On ne se doutait pas qu’elle affolerait à ce point  certaines autorités de la République.

Si l’on en croit un entretien qu’il a  donné au Parisien libéré (1), Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers s’est senti investi, avant  même que Christine Lagarde le lui demande, de traquer les rumeurs qui pourraient exciter la spéculation contre l’euro.

 « Nous avons demandé le concours des services de police et de renseignement pour avoir accès rapidement  à  tous les mails, les conversations téléphoniques,  les correspondances  sur internet qui démontreraient l’origine de ces rumeurs ». Quelles rumeurs ? « Les rumeurs infondées sur la dette et sur l’euro (qui)   mettent en danger la sécurité des Etats  européens. »  

Si  j’ai bien compris, il me  faudra faire attention à ce que je dis.  Imaginons que j’aille au   bistrot du coin et que, devant mon petit noir,  je dise à la cantonade que le plan confectionné par l’Union européenne pour sauver  l’euro ne tiendra pas plus de quelques mois , ou encore qu’il  y a peu de chances que le peuple grec  accepte  jamais les mesures  de rigueur qu’on veut lui imposer . Si   les gendarmes  sont  appuyés  au même comptoir,  ils pourraient bien  m’interpeller sur le champ, me demander mes papiers   et  me prier  de les suivre à la brigade.

Quels délits  pourra-t-on m’  imputer ?  Propagation de fausses nouvelles, je suppose (article L. 465-2 alinéa 2  du code monétaire et financier).  

Le problème en l’espèce, c’est que les dites nouvelles, loin d’être fausses, pourraient bien être   vraies.  Monsieur Jouyet  parle lui-même d’un « endettement public colossal » :  doit-il se pourchasser lui-même ?

Il  est  habituel,  dans une crise de ce genre,  de dénoncer les spéculateurs.  Au temps de Robespierre, on leur coupait la tête.  Il arrive qu’ils  disent  des choses  fausses , soit qu’ils se trompent de bonne foi, et ils sont alors de bien  mauvais spéculateurs ( un mot qui veut dire « ceux qui voient loin » ) , soit qu’ils veuillent  tromper le public pour  faire des bénéfices à ses dépens et,  dans ce cas, ils sont très coupables. Mais s’ils disent des choses  vraies ? Ca leur arrive aussi. Va- t-on les poursuivre parce que ces vérités  risquent d’affoler les marchés ?

Cet épisode montre  quel point la remis e en cause de l’euro,  du fait de la crise grecque,   peut  créer du trouble dans les esprits. Jean-Pierre Jouyet fait partie de cette caste d’inspecteurs des finances  ou assimilés,  positionnés au centre gauche, soit chrétiens sociaux, soit socialistes rocardiens ralliés au marché,   ayant eu longtemps  pour  dénominateur commun  une croyance aveugle en l’Europe et en l’euro,  un sujet  sur lesquels ils ne pouvaient « ni se tromper ni nous tromper ».   Ils se  retrouvent aux Semaines sociales ou bien dans le club des   Gracques – personnages de l’Antiquité  avec  lesquels on ne voit  d’ailleurs pas le rapport  puisque  Tiberius et Caïus Gracchus, c’était les pauvres contre les riches et que la mécanique euro-libérale,  c’est à peu près l’inverse !  Ce sont en tous les cas  des  gens  très intelligents puisqu’ils avaient   prévu unanimement le succès de  l’euro, n’hésitant pas à contredire  le collège des Prix Nobel  d ’ économie, qui,  de manière tout  aussi unanime,  avait prédit son échec ! 

L’univers de ces personnes  est, on le comprend,  gravement ébranlé. Même si les chefs d’Etat et de gouvernement semblent,  à coup de centaines de milliards,  avoir trouvé une solution provisoire  à la crise grecque, le  problème de fond   demeure : le différentiel d’inflation au sein de la zone euro qui interdit définitivement aux Grecs de jamais  rembourser ce qu’on leur prête.

« Ne jamais rembourser ! »   Il  me faut encore  faire attention ce que je dis !    Heureusement,   j’ai la  caution de M. Thorstein Polleit,   chef économiste de la Barclays –Allemagne qui vient  de dire à peu près  la même chose (2).

Et oui : Gracques ou pas Gracques, il faut se faire à cette idée : il se peut que nous assistions à la  fin d’un monde.  On comprend qu’il faille mobiliser les gendarmes.

  Roland HUREAUX

 

 

1.         7  mai 2010

2.         Le Monde, 11 mai 2010

 

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23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 06:52

La manière dont l’Europe de Bruxelles et les gouvernements des grands pays qui la composent, à commencer par le gouvernement allemand, s’apprêtent à  mettre en tutelle le peuple grec  est profondément révoltante.

Cette mise en tutelle a pour but de sauver la monnaie unique,  l’euro,  et, au-delà,   toute la machine européenne. 

En imposant le traité de Lisbonne sans qu’aucun peuple (à l’exception du peuple irlandais contraint de voter deux fois)  ait été  consulté,  et alors même que certains pays, comme la France,   avaient déjà  refusé  un traité analogue, l’Europe de Bruxelles a montré  le peu de cas qu’elle faisait de la démocratie.

Le sort que l’on réserve  aujourd’hui au peuple grec – en attendant les  peuples  espagnol ou portugais – offense gravement  sa  dignité. Les sacrifices qu’on exige de lui sont terribles  pour  ses  salariés et  ses retraités,  déjà éprouvés par la crise.  Ils vont  aggraver encore  le chômage et la récession.  Ils sont  en définitive  inutiles  car le problème, c’est l’euro lui-même et non le supposé laxisme des Grecs.  La  seule solution au problème grec est la  sortie  de l’euro. 

Le peuple grec, par des grèves, par des manifestations de rue,  montre qu’il refuse  le plan de rigueur qu’un pouvoir  étranger veut lui imposer.

Nous, citoyens de France et d’autres pays de l’Union européenne tenons à  exprimer  notre estime, notre solidarité  et notre soutien au peuple grec, et à l’encourager dans   sa résistance.

Cette démocratie que la machine de Bruxelles voudrait nous confisquer,  nous n’oublions pas que c’est  la  Grèce qui nous l’a apprise.

Nous n’oublions pas que la Grèce fut le berceau de ce qui a  fait  la grandeur de la civilisation européenne : ce  que  la  Grèce a apporté à l’Europe, l’Europe l’a ensuite apporté au monde.

La Grèce  a su  jadis, à  Marathon, aux Thermopyles, à  Salamine, à Platées, défendre sa liberté et celle de l’Europe. Au travers  de sa résistance, elle défend une fois encore  notre   liberté contre une machine idéologique  et bureaucratique qui n’a que mépris  pour les peuples d’Europe.  

Hommes et femmes de Grèce, tenez bon ! Votre combat est aussi le notre. Vous êtes notre avant-garde.  Vous avez notre confiance.  Nous somme avec vous.

Un Collectif de citoyens de France et d’Europe

 

Premiers signataires :

Roland HUREAUX

Nicolas STOQUER

  

 

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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 15:08

 

Par-delà  la question des abus sexuels du  clergé,  un basculement  géopolitique ? 

 

C’est un singulier honneur que font les medias occidentaux à  l’Eglise catholique  en la tenant  pour seule responsable des dérives liées aux abus  sexuels  d’enfants ( une  expression  que nous préférons à celle de « pédophilie », ce dont il s’agit étant à l’ évidence de l’ordre de l’eros et non de la philia)  , comme si  les autres confessions, l’école publique,  la famille elle-même,  pourtant aussi touchées, si ce n’est  plus,   par  ces abus répugnants étaient tenues pour irresponsables  ou insignifiantes. 

Car ce genre d’  abus  touche  d’abord les   institutions éducatives. Ceux qui ont décidé de consacrer leur vie à  s’enrichir   plutôt qu’à éduquer les enfants, qui préfèrent  les salles de  marché  aux  salles de classe, traders plutôt que prêtres ou instituteurs,  sont, eux,   à  l’abri des tentations.  Il reste, Dieu merci, dans  notre monde,  des professions honorables !

Mais  l’emballement  médiatique en cours  a  servi d’écran de fumée  à ce qui se produisait à ce moment là et qui pourrait bien ressembler à  un séisme  géopolitique  de grande ampleur.  

 

Par-delà l’écume

 

La vague anti-romaine qui a déferlé au  cours des dernières semaines sur le pape  Benoît XVI ,  et qui  touche   l’institution ecclésiastique dans son ensemble, semble  partie  de New York,  épicentre de ce milieu WASP ( white anglo-saxon protestant) où l’on nourrit depuis  le  XVIIe siècle une solide animosité  à l’égard de  l’Eglise romaine,  la plupart des  médias français ayant adopté en l’occurrence une  position, désormais habituelle,  de suivisme.   

Qui  n’a remarqué,  à l’inverse,  dans les tourmentes de ces derniers mois,  l’appui  sans faille de  la Russie à la papauté ?   Les faveurs dont  son prédécesseur  polonais n’avaient  jamais  bénéficié,  n’ont pas été marchandées au pape allemand.   Aussi bien dans les affaires de la levée de l’excommunication des évêques  lefévristes, que celles  de  la  prévention du sida en Afrique,  puis  des abus sexuels de prêtres, tant le patriarcat de Moscou  que  le gouvernement de la Fédération de Russie  ont apporté un soutien  total  à la papauté.  L’étonnant  « pèlerinage » du chef de l’Etat russe à Notre-Dame de Paris  s’inscrit dans la même ligne.

Qui l’eut cru ? La Pravda,  elle-même ,  jadis  organe du parti communiste,  a défendu  Benoît XVI :  les temps ont bien  changé depuis que les réseaux soviétiques   « produisaient »  la pièce Le Vicaire, dans le but de discréditer la mémoire de  Pie XII…

On dira que tout cela est de la politique. Mais les grands événements de  l’histoire religieuse n’ont-ils pas été  tous de la politique, de la conversion de Constantin  et  de Clovis, au schisme de 1054 entre Rome et Constantinople, du ralliement des princes allemands à Luther   au Concordat de 1801 ?

On se méfiera, non sans raison,  de cette tentative d’enfoncer un  coin  dans le camp atlantique.  Mais ceux qui, au sein de ce  camp, s’attachent avec  persévérance  à marginaliser l’Eglise catholique,   avaient-ils  besoin de ce renfort ?  

Cette marginalisation  ne date pas d’aujourd’hui.  Dès lors que l’Europe commence   à basculer, au XVIIIe siècle d’abord, puis, de manière définitive,   à partir de 1815,   vers une prééminence  culturelle anglo-américaine , que, de manière souvent inconsciente,  les Européens  ont intégré que  la modernité sous toutes ses  formes venait   du Nord-est  et plus du Sud,   les pays  de tradition catholique se sont  trouvés  décentrés.  Ils sont devenus, pour le monde anglo-saxon  protestant et libéral,  les cousins de province.  Dans l’imaginaire occidental,  à commencer par celui des  élites françaises, ils ne sont plus le centre mais la banlieue et,  si  le catholicisme venait à  s’effondrer,  ils ne seraient plus que le bidonville, sorte de terrain vague spirituel aux marges d’une   Amérique  ayant conservé, elle,   ses valeurs religieuses et patriotiques.

La  marginalisation n’est pas seulement géographique, elle est aussi historique :  dans le même imaginaire,   l’histoire  moderne  se réduit à une cascade d’ émancipations,   qui commence avec la réforme protestante, se poursuit avec les Lumières ( françaises  mais déjà  très anglophiles) et s’accomplit dans l’univers libéral-libertaire , la tradition catholique n’apparaissant  dans  un tel schéma,  que comme une   survivance.

A l’évidence les signaux forts que Moscou a envoyés à Rome ne resteront pas sans effet.   Les réponses du Vatican sont certes  moins visibles que les avances du Kremlin mais  qui ignore que le rapprochement avec les lefévristes,  fondé  sur la  restauration de la  liturgie,   a pour arrière-plan  la volonté de se rapprocher de l’orthodoxie   ?  Si,  comme nous le pensons,   la différence avec  celle-ci  est plus politique que théologique,  un grand pas aura  été accompli ces derniers jours dans cette direction.

La crise que travers l’Eglise catholique pourrait  ainsi   préluder à une remise en cause de la  grande césure qui,  selon Samuel  Huntington,  oppose la civilisation « occidentale »,  à la fois protestante et catholique d’un côté ,   à la civilisation « orthodoxe »  de l’autre , et qui avait  , jusqu’ici , structuré notre conception du monde.

 

                          Roland HUREAUX

 

 

 

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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 15:06

 

Il a  été largement fait état  des raisons pour lesquelles l’accord intervenu entre les chefs d’Etat européens,  et principalement ceux de la France et de l’  Allemagne,   pouvait difficilement être tenu pour un succès.

Le recours partiel au FMI est une démarche humiliante pour l’ Europe,  première puissance économique du monde,   qui apporte la preuve qu’elle n’arrive pas à régler elle-même ses problèmes.

L’Allemagne a  confirmé son refus d’une solidarité étendue au sein de la zone euro. Cette attitude ne reflète pas seulement la doctrine de ses dirigeants mais l’attitude d’une opinion publique particulièrement remontée à l’encontre des pays du Sud qualifiés peu aimablement de  « PIGS » ( Portugal,  Italie, Grèce, Espagne).  Curieusement,   l’euro ,   en soulignant la divergence de gouvernance et de culture  économiques , jadis neutralisée  par les changements de parité, alimente les  rancoeurs entre  les pays de la zone.  Moins assuré qu’on le croit à l’extérieur, le gouvernement d’Angela Merkel  est obligé d’en tenir compte.

Des problèmes apparaissent dans d’autres pays comme le Portugal, lequel, une semaine après une grève massive des fonctionnaires, a vu sa notation dégradée.

Enfin, comment ignorer qu’il y a loin des engagements de rigueur du gouvernement grec à leur  réalisation ?  Les mêmes causes qui ont entraîné la dérive des finances publiques de ce pays (guère plus graves en soi  que celles de beaucoup de pays de la zone euro ou de l’Angleterre) vont rendre difficile leur redressement. Quand un coureur de marathon a pris un large retard par rapport au peloton de tête, il est vain d’attendre que le   volontarisme lui  permettra  de  revenir  en fin de course.  Comment espérer d’ailleurs que les Grecs consentent un effort que notre  gouvernement   n’ose même pas  demander aux Français , alors que , plus faibles, les Grecs   voient ces efforts grevés par    les marchés d’un intérêt plus lourd sur leurs  emprunts  ?

 

La vraie question n’est pas le déficit budgétaire

 

Mais  la vraie question, et c’est là que le problème grec se complique, n’est pas le  déficit des finances publics ; il est le déficit des  comptes extérieurs du pays.

Ce déficit a une cause : la dérive, non point des dépenses de l’Etat ,  mais des prix et des salaires  grecs au cours des dernières années, qui dépasse de 40 % celle qu’a connue  l’Allemagne, de  10 à 20% celle des autres pays.

La situation est si grave que l’économie grecque n’est plus compétitive sur aucun produit :  même les olives importées sont moins chères à Athènes  !  

La question des finances publiques pourrait  à la rigueur  se résoudre avec  une baisse d’environ 5 % des salaires et des retraites (complétée par une hausse des impôts). Mais pour   que le pays dans son ensemble soit  à nouveau compétitif, ce n’est pas 5 %  de baisse  qu’il faudrait  mais   30 ou 40 % .

Une baisse autoritaire des prix et des salaires, c’est ce qu’on appelle la déflation.  Le gouvernement  Laval  tenta de l’imposer sans succès à la France en 1934.  L’Allemagne se l’est, dans une  moindre proportion,   imposée à elle-même  depuis 2000. Il en résulte  un déficit de tous les autres pays de la zone euro  à son égard.  Si tous ces pays l’imitaient et décidaient de se lancer eux aussi dans une déflation massive,    l’Europe sombrerait dans une récession beaucoup plus grave encore que celle qu’elle connaît.

On ne voit pas comment le gouvernement grec pourrait envisager d’imposer une telle cure d’austérité à sa population. La compétitivité de l’économie grecque va donc encore reculer, sa production encore  diminuer, sa masse imposable de rétrécir et le déficit  des finances publiques s’aggraver.

Il n’y aura à la fin, quoi que racontent les autorités européennes ou les experts qui confondent l’idéologie et les réalités économiques,  d’autre solution que la sortie de l’euro. Une solution qui , certes, sera aussi très douloureuse pour les Grecs,  mais posera , à partir de  parités plus réalistes, pour l’économie grecque et d’autres après elle, les bases d’un vrai redressement.

 

Roland HUREAUX

 

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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 15:04

 

La  baisse sans précédent du  taux de participation aux élections régionales de 2010, surtout au premier tour,   n’exprime pas seulement le recul    du civisme ou le dégoût des urnes.  Il  résulte aussi, pensons-nous, de l’insuffisance de l’offre politique.

Bien qu’une bonne dizaine de listes  se soient  proposées au suffrage  dans chacune des régions,   un  des principaux courants politiques française, voire le principal,  n’était pas présent dans la compétition  et cela seul   suffit  peut-être à  expliquer l’abstention.

Le grand absent est le courant   que l’on qualifiera de conservateur mais qu’on pourrait aussi bien  appeler la droite modérée ou la   droite « calme », voire  les modérés  tout court avec tout  ce que ce mot  signifie de pondération, de mesure, de prudence, mais aussi de tenue et,  pourquoi ne pas le dire ?  de « force tranquille ».   

Pourquoi ce courant est-il important ?

Parce que sous différentes formes ,  légitimisme, orléanisme, bonapartisme,  républicanisme  modéré (« La république sera conservatrice ou ne sera pas » – Gambetta) ,  radicalisme   apaisé,    « indépendants et paysans »  et  même  gaullisme , en particulier dans  la version  pompidolienne,  ce courant   gouverne le plus souvent la France depuis deux siècles.

Ensuite parce qu’on ne fait pas la révolution tous les jours.  La plupart des   révolutionnaires   s’ assagissent  et l’esprit conservateur  finit par imprégner tous les partis de gouvernement, même issus de la gauche.   La vocation immémoriale du gouvernement n’est-elle pas de maintenir les institutions ?  « Je maintiendrai » n’est pas seulement   la devise du royaume des  Pays-Bas, elle est  la  première mission de tous les pouvoirs.  Etre « calme »  est un attribut   antique  de la souveraineté : ne parle-t- on pas de « calme  olympien » ?

Or le courant conservateur, osons le dire,   était  absent des dernières élections !   La gauche a proposé une offre très  diversifiée,  celle de la droite s’est  résumée  pour l’essentiel  à l’UMP et au Front national  -  deux formes de  droite dont aucune n’incarne aujourd’hui la modération : d’un côté la  droite    excitée, ultra-réformatrice,  qu’incarne Sarkozy  et  de l’autre cette autre forme de droite excitée qu’est l’extrême-droite.

En d’autres temps, la modération  eut pu être représentée  par   le Modem  mais celui-ci  a tant donné l’impression  de rejoindre la gauche que les  modérés   ne se sont plus reconnus  en lui.  D’autant que  la mouvance centriste est largement  identifiée à    la construction européenne,  laquelle   s’est transformée au fil des ans en une machine  à produire sans cesse des réformes  qui     déstabilisent  des  institutions fondamentales,  pas seulement   les  services publics. 

Faute de trouver une option qui  lui corresponde,  une partie du bloc modéré,  lequel représente sans doute bien plus que   les  15 % d’abstentionnistes du premier tour, est restée  chez elle.

 

Peu de réformes, mais des bonnes

 

On objectera que si la droite officielle, celle qui  gouverne  aujourd’hui ,  faisait droit à    cette tendance conservatrice, la France s’enfoncerait dans la sclérose , se laisserait distancer dans l’ « impitoyable »  compétition internationale  à laquelle notre pays  est  confrontée.

Cela n’est pas certain du  tout.  Les  réformes vraiment nécessaires pour accroître  la compétitivité internationale de la France  sont en nombre limité : un  encouragement intelligent  à la création d’entreprise et à la recherche,  un meilleur financement bancaire des  PME ( qui passe par une réforme des banques) et aussi  la « TVA sociale », seul  substitut à  une sortie de l’euro.  Cette adaptation n’implique nullement   de s’attaquer  à   la constitution,  à la  commune, au département,  au  baccalauréat,  aux grandes écoles,   à  la gendarmerie,  aux  grands corps  de  l’Etat,  au  juge d’instruction, au dimanche soit à  la plupart des  repères fondamentaux des   Français. Pas même non plus  au statut  de la fonction publique à condition qu’on sache contrôler les effectifs de fonctionnaires :   quinze ans de « modernisation de l’Etat »   n’ont rien fait pour empêcher  la grave dérive des finances publiques, au contraire.   La sécurité est  certes  un objectif difficile mais elle  ne passe sûrement pas par le réforme de la carte judiciaire,  ni  l’amélioration de l’enseignement par le « lycée à la carte ».  

Les  vrais conservateurs  savent qu’une bicyclette   ne marche bien que si la partie mobile s’appuie sur un cadre fixe.  Plus le cadre fixe est stable, plus il est possible de pédaler vite.   

Pour améliorer la marche du pays, peu de réformes bien ciblées et  allant au fond des choses suffisent.  Elles ne doivent  pas tout chambouler, seulement améliorer à la marge une société où tout  n’est pas aussi mauvais  et inefficace  qu’on le  dit,  conforter et non saper les   institutions.

Le rythme des réformes de la première partie du quinquennat et surtout leur caractère brouillon voire  inutile ont donné le tournis  aux  conservateurs, nombreux dans ce pays,  d’autant  que le but de ce réformisme à l’accéléré semblait  être   moins  l’amélioration des  choses qu’une forme de communication sur le thème « nous avons un gouvernement  volontaire » ,  voire de   fuite en avant.   

Cette opinion  modérée qui ne se reconnaît   ni dans la gauche, ni dans l’extrême droite  ne s’est pas reconnue non plus,  cette fois, dans le parti du président :   elle s’est   retirée  sur l’Aventin.  Il est probable qu’elle y restera   si, par-delà le réajustement ministériel,   les méthodes de gouvernement,     contraires non seulement aux traditions de la droite mais à la volonté de la majorité des Français et en définitive à la véritable efficacité,   ne  sont  pas  entièrement révisées.  

 

Roland HUREAUX        

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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 15:00

A PROPOS DE L’AFFAIRE VIGUIER

  

L’article 353 du Code de procédure pénale prescrit au président de la Cour d’assises de lire aux jurés, avant qu’ils ne se retirent pour délibérer, une déclaration dont la conclusion est « La loi ne leur fait (aux jurés) que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs :  Avez-vous une intime conviction ? ».  Et en matière de délits, l’article 427 dispose de même que « le juge décide d’après son intime conviction ».

Dans une affaire qui défraye aujourd’hui la chronique, il est clair que cette notion d’intime conviction a largement inspiré l’instruction : on a pu ainsi entendre  le  chef de la division criminelle du SRPJ de Toulouse, chargé d’instruire l’affaire Viguier, décrire un "crime sans corps, sans aveux, sans preuves (irréfutables) mais, ajoute-t-il,  nous avons un faisceau d'indices qui nous donnent l'intime conviction que l’accusé est coupable".

Voilà pourtant une vieille notion de droit pénal français dont on peut se demander  s’il ne serait pas urgent de  la remettre en cause en raison des malentendus qu’elle pourrait faire naître.

Certes le même code dit clairement que cette conviction, pour intime qu’elle soit, demeure rationnelle :   la loi « leur prescrit  (toujours aux jurés) de s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement, et de chercher dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense ». Et il est dit au juge de la correctionnelle que « le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours de débats et contradictoirement  discutées devant lui ».

Quant au  fond la chose est donc claire : c’est de la raison et non du sentiment que doit procéder l’intime conviction.

Cela est-il aussi clair pour nos contemporains ?

Depuis que ces textes vénérables ont été rédigés, la société a évolué.

D’abord la subjectivité a pris une place qu’elle n’avait pas dans la  culture classique. Elle est valorisée de multiples  manières : l’idée « surréaliste » que le génie consiste à suivre son inspiration,  qu’il faut suivre ses intuitions, réaliser ses désirs, « être d’abord soi-même » ;  la règle morale, longtemps tenue pour objective, universelle et extrinsèque est désormais vue comme  une affaire privée, du ressort de l’éthique personnelle, de la conscience de chacun. La sincérité, à laquelle le Code Napoléon faisait référence dans un contexte différent, est certes plus que jamais   une valeur mais il se pourrait qu’elle ait changé de sens : elle vaut aujourd’hui par elle-même, hors de toute référence à une norme morale objective.

Cette  évolution vers le primat de la subjectivité, présente au cœur de la culture contemporaine,  est renforcée par différents facteurs : la satisfaction des besoins élémentaires, qui rend moins aigue la pression du réel, l’exode rural qui met une population, désormais en majorité urbaine, en situation de déconnexion par rapport aux exigences immédiates de la production, un système de média qui entretient une partie de son public  dans un univers virtuel. Bref, on peut soupçonner qu’il y ait, pour beaucoup,  dans le monde moderne, quelque affaiblissement du  « principe de réalité ».

La réforme des jurys  d’assise de 1979 a profondément changé la composition de ceux-ci. A  des petits notables, souvent propriétaires terriens,  hommes en vue dans leur communauté, ont succédé des jurés anonymes, venus de toutes  les classes sociales, tirés au sort sur les listes électorales ; le notaire  y côtoie  le coiffer   ou la caissière de supermarché,  l’industriel en retraite, le chômeur de longue durée,  l’amateur de téléréalité  ou d’astrologie, le fanatique du football etc.

Nous ne voulons pas dire par là que le peuple serait moins  rationnel que les notables. Le subjectivisme touche  toutes les classes sociales. Les valeurs et les références culturelles communes sont plus incertaines. Au  petit bourgeois d’antan, formé au réalisme pratique des auteurs latins, succède un intellectuel aux repères plus flous, peut-être très bon en maths mais souvent  coupé de la vie réelle ou  un employé de banque vivant dans le mode artificiel des marchés financiers. A l’autre bout de l’échelle sociale, le sens du réel n’est sans doute pas le même chez le paysan du temps de Balzac que chez  son arrière petite-fille secrétaire à la Défense et férue de presse du cœur.

Le résultat : on peut se demander si l’intime conviction a encore pour ces gens, quelques précisions qu’apporte le Code pénal, quelques rappels que fasse le président de la Cour d’assises, le même sens qu’au temps de Napoléon. Ne signifiera-t-elle pas  pour beaucoup : « je sens que », « j’ai l’intuition que », « mon petit doigt me dit que » ?  Le mot intime, avec tout ce qu’il  véhicule aujourd’hui, notamment au travers de la presse « people », est sans doute de trop et susceptible d’affaiblir ce que le législateur avait  voulu introduire au départ de rationalité dans la matière.

Que faire ? Peut-être revoir les textes. Peut-être aussi revoir, quant au fond, cette vieille notion de droit français pour revenir à l’idée que le juge s’en tient aux faits et que, dans le doute, il  n’est pas nécessairement appelé à fouiller le tréfonds de son intimité  pour trancher  à tout prix  mais à suspendre son jugement , qu’il ne doit pas  chercher à outrepasser ses limites, fut-ce en rentrant en lui-même « dans le silence et le recueillement » ou en écoutant , comme s’il avait   la science infuse,  « la sincérité de sa conscience ». Il faut que le président de la Cour d’assise lui dise  que si  le moindre doute subsiste par rapport aux critères de  la froide objectivité, à la conviction tout court, il sache s’abstenir.

 

Roland HUREAUX

 

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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 14:48

 

On croit connaître déjà  la réaction du président de la République  au lendemain des élections régionales, annoncées  comme   une défaite retentissante pour le pouvoir :  « Ce scrutin  à  caractère  purement  local  n’est qu’un épisode qui ne saurait nous ébranler :  il ne  nous détournera  pas  de notre   «  travail » :  continuer sur le voie des réformes, poursuivre inlassablement  la  modernisation  la France. »

« Travail » : le président travaille, paraît-il, beaucoup. Un  patron sarkoziste des Hauts-de-Seine, nous disait il y a quelques mois : « Au moins, ce n’est  pas un fainéant : il bosse et   il connaît ses dossiers ». Laissons pour le moment de côté nos  doutes sur la connaissance des dossiers, la vraie  qui est, par-delà les notes administratives, la perception  des réalités humaines sous-jacentes.  Produire des lois, de plus en plus de lois,  au point d’engorger  la procédure parlementaire, ouvrir  de plus en plus de « chantiers »,    faire de plus en plus de réformes,  de manière obsessionnelle, cela peut passer en effet  pour les travaux d’Hercule.

Ne pas dévier du cap à la suite d’un revers électoral,  pas même pour changer un ou deux ministres, cela peut passer pour du courage : « Nos réformes sont impopulaires, donc elles sont  nécessaires et courageuses. Nous  ne nous laissons pas ébranler par l’impopularité,   nous persévérons sur la voie tracée. »

Que ces réformes soient  tout simplement mauvaises  n’est nullement   envisagé.

Il faut le dire : une  telle démarche se heurtera cette fois  à des difficultés considérables.  Le hasard du calendrier   fait qu’un gouvernement particulièrement délégitimé  aura    en « chantier », après les élections  régionales,  les projets   les plus foireux,  les plus douteux  et  les plus contestés qui soient depuis le début du  quinquennat.

Nous ne parlons pas de la  réforme  des  retraites, dont seul   l’aveuglement sur les questions démographiques peut  occulter la nécessité, mais qui précisément parce qu’  elle est urgente et exige du courage,     a été reportée à  l’automne.

Nous  perlons de  la réforme judiciaire et de celle des collectivités  territoriales.

Sur chacune pèse un lourd soupçon d’arrière-pensées politiques  :   pour la première ,celle de vouloir,  en supprimant le juge d’instruction,  mieux  contrôler les dossiers   politiques ; pour la seconde,  en réformant totalement les scrutins  régional  et départemental , celui de  remettre en cause le résultat des élections locales que l’on viendra de perdre.

Toutes deux sont inspirées par des modèles étrangers -  ou plutôt par  l’idée qu’on s’en fait :   la procédure  contradictoire à l’anglo-saxonne,  jugée  on se demande pourquoi ,  plus moderne ,  une géographie des pouvoirs locaux supposée plus simple ailleurs . En réalité,   on s’interroge dans  les  pays anglo-saxons pour  savoir s’il ne serait  pas utile d’y introduire quelque chose comme un  juge d’instruction.  Le « mille feuilles  territorial », que l’on dénonce n’est pas  propre à la France : on le retrouve    en Allemagne ou    en Italie.  Les 36 000 communes que les auteurs du projet de loi ont aussi  dans le collimateur  sont  certes   une spécificité française mais dont personne n’en  a, à ce jour, démontré sérieusement  les inconvénients.    Loin de témoigner d’une vraie  « connaissance des dossiers »,  ces projets reflètent les préjugés sommaires de l’establishment français :  haut-fonctionnaires  mais aussi chefs d’ entreprise   ou journalistes,  toujours persuadés que  ce  qui  se fait ailleurs est mieux ,  préjugés jamais remis en cause, tant il est vrai qu’en France,   ceux qui se croient le plus ouverts  à l’international sont généralement  ceux qui  le  connaissent le moins. 

Mais  cette volonté de persévérer  sans « faiblir », dans un processus de réformes  très  mal engagé est  aussi le signe d’une grave faiblesse : l’absence totale,  non seulement d’une équipe de rechange mais d’une politique de rechange.  Les présidents de la Ve République avaient  toujours veillé,  en début de mandat, à avoir au moins deux fers au feu ,  deux politiques non pas contradictoires mais  qui soient comme   des  variations sur le même  thème , suffisamment proches pour ne pas donner l’impression du reniement,   suffisamment  démarquées  pour que l’une succédant à l’ autre fasse   l’effet de la nouveauté.  En 1959, De Gaulle choisit Debré, mais tenait Pompidou   en réserve. Chaban-Delmas et Chirac incarnèrent  chacun à son tour la réforme sociale   mais     Messmer et Barre    revinrent  à une certaine orthodoxie. Mauroy dut appliquer le programme commun  de la  gauche,  Fabius réhabilita le  libéralisme   etc.  Deux politiques, deux équipes, cela    suppose un minimum de réflexion, cela implique  des équipes qui se préparent dans l’ombre, cela suppose surtout    un vivier suffisamment riche pour qu’on puisse, tout en gardant une partie des ministres,  donner,  le jour venu,   l’impression   d’un certain   renouvellement des hommes et des idées.  Or nous touchons là  une des graves   faiblesses du pouvoir actuel :   l’absence d’équipes  de rechange, reflet lui-même   de l’assèchement    des  talents dans les hautes sphères de l’’Etat.  Un Etat, où  il n’était  pas possible, parait-il,  de trouver  à EDF un patron   moins exigeant qu’Henri Proglio, ou   un premier président de la Cour  des comptes issu de  la majorité !   Un Etat où ont triomphé le conformisme,   l’esprit courtisan  et   la pensée  unique et qui a éliminé au fil des ans toutes  les formes d’originalité  - et donc les vrais talents.  Dans la grisaille généralisée,  les nominations dites d’ouverture,  autant que l’effet d’un dessein politique,  ne sont-elles pas   le moyen de  donner un semblant de couleur  aux promus ?

Ce n’est pas parce que Fillon est populaire qu’on ne le remplacera pas.  En 1968,  Pompidou   , pourtant  soutenu par l’opinion,   fut remplacé par Couve de Murville.  De même  Chaban par Messmer en 1972. Marie -France Garaud  qui suivit cette dernière affaire de près, dit une fois que c’est  précisément  parce que le premier ministre était devenu trop populaire qu’il fallait le remplacer,  pour préserver le président de la République.  Chaban était populaire par son action.  Il se peut que  Fillon le soit pour son inaction.  François Fillon est sans doute plus  populaire que Nicolas Sarkozy pour la même raison que René Coty l’était plus  que Guy Mollet.   Dans le « couple » exécutif,  l’un décide de tout, l’autre de rien ,  sauf que  les rôles ont été inversés.

Faute de capacité de renouvellement , il ne  faut, hélas,  s’attendre à  aucune interrogation en profondeur sur la pertinence des réformes engagées au cours des derniers mois.   A aucun moment on ne se demandera si l’impopularité du   président   ne viendrait pas   du fait , non   qu’il réforme mais qu’il réforme mal ,  de manière bouillonne  et  sans suivi : combien de réformes contre-productives , qui compliquent au lieu de simplifier, brouillent au lieu de clarifier, renchérissent au lieu de faire faire des économies,  combien de lois annoncées avec fracas jamais suivies de décrets  d’ application ? Combien de lois où on  s’est contenté d’apposer le tampon  politique sur de vieux invendus   sortis des  remises   technocratiques ?

Le problème est  que beaucoup de  ces réformes sont  mauvaises pour  la France. Le lycée à la carte   y    relâche  encore les disciplines,  la « modernisation des politiques publiques »   fait faire un peu d’économies  (et encore pas toujours)  et  démobilise  gravement  les fonctionnaires, la fusion des universités ( au nom du classement de Shanghai, autre leurre bien français)  les rendra encore plus inhumaines et massifiées,  le rapprochement de la police et de la gendarmerie les rend plus coûteuses et plus hostiles  l’une et l’autre ,  la réforme annoncée de l’administration territoriale, va encore  accroître la confusion des pouvoirs  locaux etc.

S’il ne remet pas en cause complètement le processus réformateur dans lequel il est engagé, sinon dans son principe, du moins dans sa méthode,   non seulement Nicolas Sarkozy risque   d’atteindre 1992,   mais il laissera   un champ de ruines.     

 
                               Roland HUREAUX

 

 

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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 14:45

Voilà dix-huit ans que  ça dure !  Chacune des lois  touchant à l’organisation des collectivités locales contient des dispositions tendant  à vider de leur substance les communes, petites et grandes.  Faute de pouvoir rayer d’un trait de plume   ces entités millénaires (certaines datent le la période la Tène III) , la technocratie,  ambitieuse  de les « réduire » comme  les légions romaines voulaient  réduire  la dissidence des villages gaulois, leur fait une  guerre d’usure, profitant de chacune  des réformes  pour avancer ses pions.

C’est avec  la loi Joxe  de  1992 que tout  a commencé (1) , puis il y eut la loi Pasqua (1995) , la loi Chevénement   (1979) :  chaque fois , l’étau se resserre. La seule pause de ce rouleau compresseur mu  par une technocratie   impitoyable  fut la loi Raffarin de 2005 .  Sans doute parce que l’ancien premier ministre connaissait mieux la France profonde, pour la première fois, une loi de décentralisation ne portait pas atteinte aux prérogatives des  petites communes.  Las , avec le projet actuellement en discussion au Parlement, le mouvement a repris.  

Moins médiatisé  que la question du département, parce qu’il  touche  moins aux intérêts  des grands élus, députés, sénateurs, présidents de conseil régional et régional, ce volet de la loi est pourtant le plus lourd de conséquences  en termes de civilisation.

Les communes  avaient  été dès 1992 encouragées à s’intégrer dans des communautés de communes ( en zone urbaine,  communautés  d’agglomération) destinées à se substituer aux anciens syndicats. Théoriquement libres d’adhérer, les petites communes furent soumises à  une forte pression des préfets ;   il fut même établi  en 1975  que les dotations de l’Etat seraient proportionnelles au degré d’ « intégration financière » des communautés désormais tenu pour une fin en soi. . 

Non seulement ce dispositif n’entraîna nulle part de vraie réflexion sur l’aménagement du territoire (2), mais il fut le point de départ  , promesses de financement  aidant, d’une  multiplication de projets dispendieux. Les nouvelles entités furent aussi le prétexte de recrutements massifs   : environ  250  000 nouveaux  postes de fonctionnaires, alors même que les effectifs des communes  continuaient  d’augmenter.    

La raison de cette aberration ? Notre classe dirigeante  s’est persuadée  au fil des ans que 36 682 communes étaient un archaïsme , un handicap pour la France .  Ignorants du terrain,  oubliant que sur les 500 000 élus locaux, 450 000 étaient des  bénévoles, ou   que    la plupart des petites communes  étaient gérées par leurs conseils municipaux avec la même parcimonie que des propriétés privées   , certains y ont  même vu une source de gaspillage. Jamais au demeurant un créateur e richesse quel qu’il soit (chef d’entreprise, agriculteur,  artisan,) ne s’était plaint du morcellement communal , au contraire.

C’est à tort que l’on a dit que le projet de loi  actuellement soumis au Parlement  « sanctuarisait » la commune. Sans aller jusqu’à reprendre les propositions de la  commission Balladur qui prévoyait son « évaporation », il met néanmoins en place toutes les armes  pour lui donner le coup de grâce.  L’élection au suffrage direct des   délégués communautaires , conjuguée à l’intégration financière,   vide  de toute  raison d’être  les instances communales.   Le  poids des petites communes dans les conseils communautaires est   réduit ,  la création de  « communes nouvelles » fusionnées est    encouragée, la   « rationalisation de l’intercommunalité » ne  doit   subsister, selon certains préfets,  que trois ou quatre  grands ensembles par département ; enfin le    pouvoir de police du maire pourra être transféré aux exécutifs intercommunaux.  Même si la commission compétente du Sénat a atténué certains aspects du projet,  son  sens général demeure.

Dans une société qui perd ses repères, est-il donc  si urgent  de détruire un des plus anciens qui soient, de  transformer nos communes   en lieux-dits, de remplacer , car c’est bien à cela qu’on aboutira , un demi-million de bénévoles par des fonctionnaires ?

Toute la mécanique que nous venons de décrire repose sur  l’illusion de  la fausse modernité propre aux modes de pensée idéologiques : quand comprendra-t-on qu’en préservant,  en pleine révolution industrielle, le décorum de la monarchie britannique, Disraeli fut  plus moderne que Ceauscescu  rasant les villages pour les remplacer par des  blocs HLM ? Quand notre élite reconnaîtra-t-elle que 36 000 communes , coopérant dans le liberté et sans perspective de fusion, sont pour la France une  force et non une faiblesse ?

 

        Roland HUREAUX

 

 

1.      La loi Marcellin de 1972  qui déjà visait à la réduction du nombre des communes, mort-née, n’a qu’un intérêt historique.

2.      Sauf au sein des « pays » qu’il est pourtant question d’abolir.

 

 

 

 

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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 14:40

Publié dans Marianne2   le 5 Février 2010   


Un des paradoxes  du gouvernement Sarkozy est qu’en prétendant mépriser ouvertement l’énarchie et la technocratie, il se trouve sans doute, dans sa politique de réforme, plus que tous ses prédécesseurs,  tributaire des idées de celles-ci, parfois pour le meilleur, généralement pour le pire.

On savait déjà que si les énarques étaient peu nombreux au gouvernement, ils peuplaient plus que jamais les cabinets ministériels. Mais le fond du problème n’est pas là : l’affaiblissement intellectuel de la classe politique la rend désormais  incapable de contrôler la qualité des projets issus des services, d’autant  qu’au sein de ceux-ci – même à l’Elysée -, on ne trouve plus guère de ces grands serviteurs de l’Etat qu’un bon sens supérieur armait jadis contre les idéologies et les modes.

Quand on demande aux services des ministères un projet de réforme par jour, il faut s’attendre à ce qu’ils sortent des placards tous les rossignols accumulés au cours des années, jugés jusque-là inapplicables ou contre-productifs. C’est cette méthode sans doute qui nous a valu la réforme de la carte judiciaire, le rapprochement police-gendarmerie, la taxe-carbone, le lycée à la carte, la fusion des universités  (un des critères du stupide classement de Shanghai étant le nombre d’étudiants !) etc.  

Mais rien n’illustre mieux la  technodépendance de l’ «
administration Sarkozy » (si on nous pardonne cet américanisme)  que la  loi de réforme des collectivités territoriales actuellement en discussion au Parlement. Non point tant sur la question région/département qui relève d’une logique politique, voire  politicienne, que  sur son autre volet resté jusqu’ici au second plan mais peut-être plus décisif : la réforme communale.

 

Une vieille lubie

Depuis quarante ans, règne dans la haute administration, mais aussi dans une partie des élites parisiennes, celle qui a perdu le contact avec le terrain, l’idée, absurde quant au fond, que nos 36 682 communes seraient un archaïsme insupportable et un handicap au développement de notre pays.

Certaines associations de contribuables, peu au fait des réalités locales, y voyaient même une source de gaspillage, oubliant que sur les 558 000 élus que compte la France, 450 000 sont bénévoles.

En  fait, aucun  créateur de richesse quel qu’il soit (chef d’entreprise, agriculteur, artisan) ne s’est  jamais plaint du morcellement communal ; au contraire, il fut longtemps source du principal avantage comparatif, aujourd’hui perdu, du monde rural : un faible taux de taxe professionnelle.

La volonté obstinée de la haute administration de réduire le nombre des communes est,  typiquement, la solution à un problème qui ne se posait pas. Les multiples syndicats intercommunaux  permettaient à ces communes de coopérer autant  qu’elles le voulaient dès lors qu’elles avaient la nécessité de le faire (pour gérer l’eau, l’assainissement, les écoles, l’élimination des déchets, un équipement sportif, voire une zone industrielle).  Plus la commune était petite, moins elle coûtait (
per capita naturellement)  à la nation , du fait de la parcimonie des élus de ces communes mais aussi du dévouement de la plupart des secrétaires de mairie, rarement avares de leur temps et toujours prêts à aider une personne âgée  à  débrouiller ses  problèmes de sécurité sociale, même si cela n’entrait pas dans leurs attributions.

Ces 36 000 petites républiques, héritières d’une longue histoire, furent longtemps une école de démocratie et un exemple d’administration de proximité.

Si une partie du monde rural connaissait et connaît encore  des  problèmes  économiques, il  est facile de voir que les structures administratives n’y sont pour rien.

Et à vrai dire, personne ne demandait rien, sauf une haute technocratie désireuse de mettre la France au carré ou de se rapprocher des autres pays, qui, en raison d’une histoire différente ont, c’est vrai, généralement  moins de communes.

Comme un regroupement  brutal  (tel que les habitants de certains länder allemands durent le subir) eut été difficilement accepté dans notre pays, on décida de procéder de manière détournée. Depuis dix-huit ans, chacune des lois  touchant à l’organisation des collectivités territoriales contient des dispositions tendant  à vider de leur substance les communes, petites et grandes :   c’est avec  la loi Joxe  du 6 février  1992 que la mécanique  s’est mise  en marche , puis il y eut la loi Pasqua (1995), la loi Chevènement   (1999). La seule pause de ce rouleau compresseur impitoyable fut la loi Raffarin de 2005 qui, par exception, ne toucha pas à la commune. Las, avec le projet actuellement en discussion au Parlement, le mouvement a repris sa marche inexorable.

Les communes furent dès 1992 encouragées à s’intégrer dans des «
 communautés de communes » (ou en zone urbaine,  « communautés d’agglomération » : on admirera au passage l’élégance  de ces expressions).  Théoriquement libres d’adhérer, les petites communes furent soumises à  une forte pression des préfets  pour le faire;   il fut même établi  en 1995  que les dotations de l’Etat seraient proportionnelles au degré d’ « intégration financière » des « intercommunalités ».

D’un système, annoncé au départ comme une mise en commun de moyens et de projets, on passa ainsi très vite  à un mécanisme d’intégration, tenu   pour une fin en soi. Non seulement ce dispositif n’entraîna nulle part de vraie réflexion sur l’aménagement du territoire, mais, pire, il fut le départ d’une  multiplication de projets dispendieux souvent peu utiles et d’une explosion des dépenses de fonctionnement. Les nouvelles entités furent l’occasion de construire des «
 hôtels communautaires »  (alors même qu’on continuait à rénover les mairies) et de recruter massivement du personnel.

 

Vers « l'évaporation » des communes ?

La question communale est  le domaine par excellence de l’hypocrisie : sans aller jusqu’à reprendre les propositions de la  commission Balladur qui prévoyait l’ « évaporation » des communes dans  les institutions intercommunales, le projet de loi  actuel contient  toute une série de dispositions qui  tendent  sournoisement au même résultat. Elle met en place les armes qui permettront de donner bientôt  le coup de grâce à la commune.  Le principal est  le principe de l’élection au suffrage direct des délégués communautaires de tout niveau dont on comprend que, combiné avec l’incitation financière à l’intégration déjà  à l’œuvre,  il  privera rapidement de toute raison d’être maires et conseils municipaux. Mais ce n’est pas tout : le  poids des petites communes dans les conseils communautaires doit être diminué, la création de  « communes nouvelles » résultant de la fusion de celles qui existent sera facilitée et encouragée, la   « rationalisation de l’intercommunalité » ne laisserait subsister, selon certains préfets, que trois ou quatre  entités par département ; enfin le pouvoir de police du maire pourra être transféré aux exécutifs intercommunaux.

Comme le dit Jean-Claude Peyronnet,  sénateur socialiste de la Haute-Vienne, élu rural s’il en est, «
 Il est vrai qu’il n’est nulle part écrit que l’on va supprimer les communes. Au contraire, chacun se pose en défenseur de la proximité et y va de sa louange aux maires et aux  conseillers municipaux de notre pays. Pourtant, notre conviction profonde est que cela ne correspond pas à la logique de ce texte. Il en va de même pour les départements : en dépit de l’attachement unanimement proclamé à cet échelon territorial, nous pensons que leur suppression est inscrite en filigrane dans le projet de loi, d’ailleurs inspiré par le rapport Balladur, lequel évoque l’ « évaporation » des départements et prône en outre clairement la constitution de « communes nouvelles ». Ne subsisteraient alors plus que deux niveaux : l’intercommunalité et les communes nouvelles, d’une part, la région, d’autre part.

(…) Il ne sera (certes)  pas très facile de créer des communes nouvelles.  Cependant, imaginez que l’on mette en place une incitation financière, comme en prévoyait la loi Chevènement (…) et, si elle se conjugue à un étranglement budgétaire des communes, les maires se précipiteront dans une voie qui mènera à la disparition de celles-ci. Telle est, j’en suis convaincu, la logique ultime du présent projet de loi. »

Dans les  agglomérations, la création des métropoles et pôles métropolitains, suit le même principe de l’éradication des entités historiques que sont les communes au bénéfice d’entités nouvelles, ayant elles,  certes, quelque rationalité géographique mais  dépourvues d’histoire.

 

La complicité des grands élus

Pourquoi cette question, en fait beaucoup plus importante que celle du département, n’a t-elle guère été médiatisée jusqu’ici ?

La principale raison est qu’elle intéresse moins la «
 caste des 500 », les grands élus, députés, sénateurs, présidents de conseils régionaux et généraux, lesquels ont au contraire trouvé au fil des ans dans l’intercommunalité un moyen de conforter leur emprise « féodale » sur les petits maires, toujours grands électeurs.

Ensuite parce que le mouvement de réduction des communes étant déjà largement entamé, beaucoup de maires s’y sont déjà résignés.

Mais aussi parce que, sous la façade unanimiste de l’Association des maires de France (AMF), les maires sont divisés : les maires des grandes villes, ceux des villes moyennes, des petites villes, les  maires ruraux, les présidents de communautés, qui ont les uns et les autres leur association,  n’ont pas les mêmes intérêts et ont   du mal à trouver un langage commun. Les plus petits ont été priés de se taire et les structures communautaires ont permis de créer de nombreuses présidences et  vice-présidences lucratives qui ont arrondi les indemnités d’un certain nombre d’entre eux.

Reste que le malaise est grand. Il s’était déjà  exprimé au congrès de maires de France début décembre. Pour désamorcer la fronde, un panel d’un demi-millier  de maires – où les «
 forts en gueule » avaient été à dessein inclus – fur reçu à l’Elysée. Avec l’audace qu’on lui connaît,  le président annonça que le projet avait pour but de « renforcer la commune » ! Beaucoup, sous  les lambris, éblouis par la magie du lieu, semblent l’avoir cru.
 
Le malaise n’en demeure pas moins. Au moins deux associations ad hoc, dont l’une s’appelle «
 Touche pas à ma commune »,  plus libres de leur manœuvre que les «institutionnelles » partie prenantes à l’AMF, se sont constituées pour  organiser la résistance des maires qui ne veulent pas attendre passivement leur disparition.

 

Des partis hésitants

C’est dans ce climat d’ambiguïté qu’a commencé au Sénat une discussion qui promet d’être longue.

Ambiguïté renforcée par le caractère transversal des clivages. Le parti socialiste, notamment Pierre-Yves Collombat, sénateur du Var et président de l’Association des maires ruraux, a, pour contrer le gouvernement, pris la défense de la commune, mais il est gêné aux entournures par le fait que c’est la gauche qui en 1992 avait lancé le mouvement de l’intercommunalité. Michel Charasse, désormais libéré de toute allégeance politique  et défenseur particulièrement ardent des petites  communes ne manque d’ailleurs pas de le rappeler.

La droite est sans doute aussi attachée à la commune mais l’allégeance au gouvernement, lui-même étant,  comme on l’a vu, à la traîne des services du ministère de l’intérieur, l’oblige à défendre  un projet de loi sur lequel le chef de l’Etat s’est engagé.

Dans cet embarras le Sénat a tenté d’arrondir les angles, écartant par exemple les incitations financières ou la fusion forcée d’une commune avec d’autres, au risque de faire perdre au projet encore un peu plus de sa cohérence. Mais il a déjà voté le principe décisif de l’élection au suffrage direct des conseils communautaires, à la campagne comme à la ville.

 

Perte de repères

 

Dans une société qui perd ses repères, est-il donc  si nécessaire de détruire un des plus anciens qui soit, le cadre communal, de  transformer des entités historiques dont certaines ont plus de 2000 ans d’âge en lieux-dits, de remplacer, car c’est bien à cela qu’on aboutira, un demi-million de bénévoles par des fonctionnaires ?

Toute la mécanique que nous venons de décrire repose sur  l’illusion de  la fausse modernité, propre à toutes les bureaucraties. Le temps n’est peut-être pas loin où l’on comprendra enfin que la réduction d’un facteur dix ou d’un facteur cent du nombre des communes  est aussi « 
moderne » que l’était la construction de cités en béton de Sarcelles dans les années cinquante, ou pour parler encore plus brutalement, relève de la même logique idéologique qui animait Nicolas Ceaucescu quand il ambitionnait raser les villages roumains pour les remplacer par des  blocs HLM ? S’il faut à toute force regrouper des communes trop nombreuses, pourquoi, tant qu’à faire, ne pas regrouper aussi les familles ?

Aucun intérêt majeur n’est en jeu. Le facteur décisif de la réforme n’est rien d’autre que l’incapacité de la strate politique de prendre ses distances à l’égard des lubies et de l’esprit de système des services. Or c’est la première fois que, même si elle  ne le fait pas frontalement, la politique réformatrice de Sarkozy s’attaque à une institution aussi ancienne et aussi enracinée que l’est la commune. Il n’est pas certain qu’il ait encore gagné la partie.


Roland HUREAUX

 

 

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5 mars 2010 5 05 /03 /mars /2010 17:13

 

 Article publié par Marianne2 du 5/3/2010


         La profession agricole a vu son revenu baiser 34 %  entre 2008 et 2009 - et 54 % dans le secteur laitier -, avec peu d’espoir de relèvement dans l’immédiat.

Il y a toujours dans ces cas là des hommes politiques, des haut-fonctionnaires, des journalistes pour    donner des leçons. Pour sortir de la crise, les agriculteurs doivent,  disent-ils, faire des efforts de  productivité.  Le président de la République a lui-même repris l’antienne dans un discours récent.

Le Salon de l’agriculture, que pour la première fois  depuis 1995 le chef de l’Etat n’inaugurera pas, est une grande kermesse destinée à célébrer   la productivité : machines agricoles toujours plus grosses (et plus chères !),   vaches laitières plus productives,  semences plus efficaces etc.

Il y a fort à craindre pourtant   que cette course à la  productivité ne soit pour la  profession  un leurre. Non point que la recherche de la  productivité ne soit pas nécessaire dans  une  compétition mondiale très dure – nous ne prêchons pas le retour au moulin à eau ! -  mais parce qu’elle ne saurait suffire  par elle- même à relever le revenu  agricole.

 

Des progrès de productivité inégalés

 

Parle-t- on de  la productivité du travail ? Contrairement aux idées reçues, elle a augmenté au cours des 60 dernières années,  dans  l’agriculture,  plus que dans n’importe quel secteur,  y compris industriel.  Un  agriculteur nourrissait trois Français en 1950. Il en nourrit cinquante aujourd’hui. Les agriculteurs se comptaient par millions il y a cinquante ans,   encore par centaine de milliers aujourd’hui, par dizaine de milliers bientôt, ce qui veut dire que la  productivité du travail agricole va  encore augmenter. A quoi rimera d’ailleurs de n’avoir plus  que  50 000 agriculteurs  dans un pays qui aura peut-être  5 millions de chômeurs ?

Parle-t-on de la productivité des autres facteurs ? Les rendements de la terre sont devenus si élevés qu’on dut  un temps imposer des  jachères.  Le salon de l’agriculture est le grand festival des super-performances : taureaux de plus d’1,5 tonne, vaches à plus de 10 000 litres de lait par an, brebis  géantes etc.  . Or cette course  à la performance – qui implique chez les meilleurs une  conscience professionnelle extraordinaire et un grand amour du   métier   – n’a depuis  quelque temps aucune incidence sur le revenu.  On dira que ne vont au salon que les champions. Mais n’imaginons pas que ceux qui n’y  vont pas soient très en –dessous de ces performances.  N’imaginons  pas  non plus  que les champions gagnent beaucoup plus que les autres : malgré  les flonflons et les médailles,   certains sont  très en difficulté.

Veut-on que l’agriculture française investisse encore ? Mais la beaucoup des   exploitations  sont surendettées (c’est aussi le cas aux Etats-Unis souvent donnés en exemple).  Depuis   quarante ans, la  politique officielle  encourage les jeunes agricultures à investir le plus possible  en recourant à l’emprunt : pas  d’investissements, pas  de dotation.    L’escalade des  normes environnementales et sanitaires -  le ministre n’est plus d’abord celui de l’agriculture mais celui  de l’alimentation ! -  continue à exiger  toujours plus d’investissements. Ce n’est que depuis une date récente qu’on se préoccupe aussi  du caractère judicieux de ces investissements et du souci d’économiser les « intrants » (inputs) pour maximiser le bénéfice

L’amertume des agriculteurs vient du sentiment que,  au rebours  des discours officiels,  plus ils s’efforcent d’améliorer leurs rendements et leur productivité et   plus ils investissent,   plus leur revenu est laminé.

Beaucoup de fermes ne dégagent encore  du revenu que par  des artifices : ici  un retraité de 75 ans tient lieu  d’ouvrier agricole gratuit, là  le salaire de l’épouse  vient   boucher le déficit de  l’exploitation, presque partout les journées font plutôt  50 heures que 35.

Pour la plupart d’entre elles,  le revenu dégagé  est bien inférieur    à  ce que l’on obtiendrait  en ajoutant,   comme il serait normal,  un  SMIC     et  un rendement de 5 % du  capital investi , soit le  rendement moyen d’un portefeuille boursier normalement géré.

Hors le cas particulier de grands crus viticoles ou de quelques  « niches », seules dégagent encore  des bénéfices à peu  près  normaux  les fermes  qui combinent l’efficacité technique maximum et  les aides européenne les plus conséquentes,  principalement dans le secteur céréalier.

Si  on en est arrivé là, c’est que la  compétitivité  des exploitations  dépend en réalité de bien d’autres facteurs que de la seule productivité technique. Elle dépend du  taux de change :   comme l’industrie, l’agriculture française est piégée par l’euro fort.  Elle dépend  des charges  générales : quelle comparaison faire avec la Grande-Bretagne où il n’y a ni foncier non bâti, ni cotisations sociales lourdes (le National Health Service étatisé assure les soins de santé), ni chambres d’agriculture ?  Elle dépend dans certains secteurs comme les fruits et légumes, des charges   salariales :   pendant longtemps  le recours  des ouvriers saisonniers   sous-payés   était toléré ;  les inspecteurs du travail y ont mis bon ordre, mais comment résister à la concurrence de l’Allemagne où l’emploi de  main d’œuvre venue de l’Est n’est pas soumis au  SMIC ?   A tout cela s’ajoute   l’incertitude des cours mondiaux sur lesquels  Bruxelles voudrait que, de plus en plus,  l’agriculture européenne   s’aligne.

 

Prendre en compte le  rapport de force social  

 

Mais la course à  la productivité recouvre aussi l’illusion que  c’est la profession agricole qui va profiter des  gains  de productivité.   Les milieux dirigeants de l ‘agriculture, FNSEA en tête, qui imaginent que la libéralisation  des OGM sera pour eux  le Pérou, sont en plein dans   cette illusion.  En réalité, depuis soixante ans,  le gain de productivité ne bénéficie que rarement  à  la profession concernée et est au contraire confisqué par le reste du corps social.  Par quel mécanisme ?    La hausse de  la productivité en milieu concurrentiel   se traduit   par une hausse de la production et  donc une baisse des prix relatifs  qui lamine les marges.   Cela vaut autant pour  l’industrie (indépendamment   des délocalisations, les gains de productivité ont abaissé les prix  des appareils électriques) que pour l’agriculture. C’est ce qui explique ce phénomène que les agriculteurs ont tant de mal à comprendre : la baisse des prix relatifs de la plupart de leurs productions sur quarante ans.    Pour s’exonérer de cette confiscation, une entreprise a besoin d’une protection, soit par un brevet, soit par une position de monopole ou de cartel : c’est ainsi qu’avant d’en faire bénéficier le consommateur,  EDF a  pu faire  ses choux gras de la baisse du prix de revient de l’électricité induite par le nucléaire.

Savoir  quelle  part du gain de productivité sera  en définitive retenu par une profession  donnée  ne relève pas de l’économie pure, mais du rapport de force social : les agriculteurs qui  sont dispersés  , en bout de chaine et donc  sans possibilité de répercuter leurs coûts , dans un marché de produits fongibles  et aujourd’hui  ouvert aux   quatre vents de la mondialisation,  se trouvent à cet égard dans une position de vulnérabilité   toute particulière.  C’est pourquoi,  depuis de nombreuses années,  leurs gains de productivité   sont, par le jeu des prix,  confisqués par d’autres : l’industrie agro-alimentaire,   y compris  les grandes coopératives qui ne sont plus que formellement leur propriété,  les grandes surfaces mais aussi les  consommateurs.

C’est dire le caractère  trompeur d’un salon où la fête de la performance cache bien des misères. C’est dire l’inanité des discours qui ne présentent  d’autre  voie de salut aux agriculteurs que la course à la productivité.

Lors de  son discours de Poligny  du 26 octobre dernier , le président de la République a cru bon de servir au  monde agricole , outre le copié-collé  de vieux discours,  quelques   poncifs inspirés par  un   pétainisme grossier , plus  représentatifs des préjugés  du milieu   bobo où il évolue  que des véritables préoccupations des agriculteurs  .  Le ministre de l’agriculture  Bruno Le Maire,   qui a réuni  le 10 décembre   22 ministres de l’agriculture de l’Union européenne pour contrer  les orientations ultralibérales de la commission de Bruxelles  a,   lui,  bien mieux   pris  conscience des véritables enjeux.   Il lui reste à trouver, pour sauver du désastre une profession sinistrée,    à gagner la  bataille intellectuelle contre des institutions , européennes  mais aussi nationales, où les  think tanks libéraux exercent plus que jamais   une influence prépondérante  et  à convaincre une  classe dirigeante   qui croit encore que  l’agriculture coûte trop  cher  et que le  tout-marché est  la panacée.

                                                          Roland HUREAUX

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