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Roland HUREAUX

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17 février 2012 5 17 /02 /février /2012 19:06

 

S’il fallait un signe du déphasage extraordinaire qui existe entre la classe politique et le reste de la population, déphasage qui donne un aspect tellement irréel à l’actuelle campagne présidentielle, il suffit de constater que les trois candidats  tenus aujourd’hui pour vainqueurs possibles promettent tous  une hausse des impôts.

C’est vrai du candidat socialiste qui compte  trouver 50 milliards, principalement en annulant toute une série de niches  fiscales  (heures supplémentaires, placements  l'immobilier, TVA réduite dans la restauration, emploi d’aides à domicile,  défiscalisation des investissements outre-mer  etc.) mais aussi en  rognant le quotient familial, un pont-aux-ânes des programmes de la gauche « bobo » depuis trente ans (il est loin le temps où ce quotient était voté à l’unanimité par l’assemblée, majoritairement socialiste et communiste,  issue de la Résistance ! ) .  

Ces cinquante milliards seraient consacrés  pour moitié au financement de mesures nouvelles (300 000 emplois-jeunes, 60 000 recrutements à l’Education nationale, service public de la petite enfance) et pour moitié à la réduction du déficits, avec un objectif au demeurant modeste : passer au-dessous de 3%  du PIB en 5 ans (ce qui signifie tout de même une augmentation d’encore 20 % du PIB de l’endettement pendant le même période) avec une hypothèse de croissance bien optimiste de 2,5 % par an.   Ne sont  pris en compte dans ces calculs ni l’abrogation partielle  de la réforme des retraites, ni l’arrêt de la « RGPP »,  non remplacement d’un fonctionnaire sur deux.

La perspective d’alourdissement des impôts s’applique  également au  candidat centriste, plus ambitieux sur le papier puisque il propose de supprimer le déficit en 4 ans, ce qui exige 100 milliards d’euros, dont la moitié en impôts nouveaux, la moitié en économies budgétaires.

Quant  au président sortant,  il n’a pas attendu l’élection pour augmenter la TVA de  1,6  points, jouer sur les tranches de revenu pour alourdir l’IRPP  ou   aggraver certains impôts comme les droits sur les plus-values immobilières. En dépit de mesures  spectaculaires comme le bouclier fiscal réservé aux très riches, tellement  désastreux  pour son image qu’il lui a fallu l’abroger , l’actuel président a créé au cours du quinquennat pas moins de 31 impôts nouveaux  ( par exemple   la cotisation spéciale sur les retraites, la taxe sur les mutuelles et assurances,  les cotisations sur  l’intéressement des salariés, sur les stock-options, sur le téléphone et internet, sur les chaînes privées, sur le malus auto,  sur les compagnies pétrolières, sur les ordinateurs et clefs USB, sur les poissons vendus en grande surface, sur la distribution de matériel publicitaire etc.). Même s’il ne l’annonce pas, tout laisse supposer que, réélu, il alourdirait encore  la pression fiscale.

Toutes ces promesses d’impôts nouveaux se font dans un concours de rigueur à la Churchill, passablement ridicule : « Je suis un véritable homme d’Etat puisque  je n’hésite pas à promettre du sang et des larmes », comme si la France était sous les  bombardements des stukas. Une grande partie de l’opinion a été convaincue que de toutes les façons on allait en baver et   qu’il fallait en passer par là. A tort.

Cette rhétorique part du principe que plus  le gouvernement chargera le pays d’impôts,  plus il sera vertueux.

C’est oublier que le poids des prélèvements obligatoires n’est pas un signe de développement.

Un alourdissement excessif de la pression fiscale peut se traduire par une spirale récessive, telle que la Grèce est en train de la connaître et qui, de plan de rigueur en plan de rigueur,  menace toute l’Europe.

A  l’encontre de  cette rhétorique, les observateurs   soulignent le fait que la France est  le pays au monde ( si l’on met  de côtés quelques petits pays nordiques),  où les prélèvements obligatoires sont les plus lourds   et en augmentation : 43,2 % en 2010, 43,7 % en 2011, 44,5 % % prévus en 2012, sans perler du niveau des   des dépenses publiques  et des transferts sociaux  qui s’établit à 54,9 %[1].  

Ce taux élevé de prélèvements  fiscaux et sociaux, tout le monde est d’accord pour dire quel est un des symptômes du « mal français ».

Cela est   le sentiment des experts français ou internationaux  pour qui  ce niveau élevé décourage les talents et la créativité, encourage l’exode des cerveaux (plus grave que celui, purement fiscal, des footballers ou des chanteurs).

Mais c’est aussi le sentiment populaire : le ras-le bol fiscal    est considérable, pas seulement  dans  la classe moyenne ou les professions indépendantes.  Certes,  l’alourdissement promis pèsera d’abord sur celles-ci : les très grandes fortunes,  grâce aux facilités de la mondialisation, échappent  largement à l’impôt et continueront d’y échapper, comme l’a montré l’affaire Bettencourt, les 4 millions de chômeurs ou assimilés ne pourront contribuer que faiblement ou pas du tout. La conclusion est claire : cette surcharge fiscale retombera sur les mêmes.

Mais  toutes les classes de la  population sont   concernées : à côté d'un impôt progressif, l’impôt sur le revenu, très altéré d’ailleurs par les exemptions de toutes sortes qui se sont multipliées, la TVA, les charges sociales, la taxe d’habitation sont  des impôts en réalité dégressifs. La taxe foncière pèse lourd sur les petits  propriétaires qui souvent ont épargné toute leur vie pour s’offrir un modeste pavillon et, la retraite venue, doivent le quitter faute de pouvoir en assumer les charges.

Quel aveuglement faut-il aux  trois candidats dont nous parlons pour ne promettre  autre chose qu’un nouvel alourdissement des impôts ?

Même si des transferts d’impôt à impôt  sont nécessaires pour tenter de rendre un peu moins injuste notre système fiscal, la charge totale ne doit plus s’alourdir !  

On dira naturellement : et que faites-vous du déficit, que faites-vous de l’endettement ?

Nous ne voulons pas ouvrir le débat, de nature différente, sur l’avenir l’euro. Il va de soi que ces mesures de rigueur   ont  du  sens si l’on veut sauver coûte que coûte l’euro. Et comme l’euro fut dès le départ  un habit taillé à la mesure de l’Allemagne, c’est une austérité à l’allemande que son sauvetage impose à tous les pays d’Europe, à commencer par les plus étrangers à cette culture comme la Grèce.  Jusqu’à quand forcera-on ainsi le tempérament et les habitudes des peuples ? Plus très longtemps sans doute.

La rupture de l’euro  n’empêchera sans doute pas qu’une politique de rigueur soit nécessaire   mais dans des conditions de compétitivité différentes  et avec, s’agissant de la France,  une perspective de croissance plus forte.

Elle amènera  en revanche à se poser la question de l’origine du déficit et de la dette accumulée par tous les pays d’Europe ( sachant, que, en valeur absolue, le pays le plus endetté, c’est l’Allemagne). Jusqu’en 1973, l’Etat empruntait, quand il en avait besoin, à la Banque de France à 0%. Ce qui veut dire qu’en  sus des ressources fiscales il avait celles de la puissance régalienne de battre monnaie, dont il ne devait bien sûr pas abuser sous peine de créer de l’inflation. Depuis 1973, l’Etat est obligé de s’adresser aux banques à   3  ou  4 % (lesquelles peuvent se refinancer à taux inférieur à la Banque centrale !), ce qui veut dire  que cette ressource  régalienne  a été transféré au système bancaire selon le modèle alors en vigueur aux Etats-Unis – mais sur lequel ces derniers sont  revenus. Sait-on que, si  on totalise les intérêts ainsi versé par l’Etat français depuis 28 ans et les intérêts de ces intérêts, on arrive à 1400 milliards d’euros (pour une dette publique de 1700 milliards d’euros) ?  A quoi rime donc le discours moral si répandu  sur les déficits ?

Bien entendu une monétisation de la dette en cours, la Banque centrale, libérée des contraintes de l’euro, reprenant les créances publiques à son compte,  ressemblerait à  une pratique inflationniste. Mais  en réalité, elle ne  ferait qu’officialiser une pratique déjà existante   depuis plusieurs années : croit-on que la génération montante  va accepter de suer sang et eau  pour payer les dettes de  l’antérieure ? Aprés 7 ans de vaches grasses, 7 ans de vaches maigres ?  Cela ne s’est jamais vu.  Or c’est sur cette perspective pénitentielle  totalement irréaliste que se  fonde    la gouvernance économique européenne. Un schéma qu’aucun des « grands candidats » n’ose remettre en cause, ce qui les amène à proposer,  de manière  absurde,  dans un pays qui a déjà les impôts et les charges les plus élevés du monde,  de les alourdir encore

De la même manière,  leurs  programmes ne remettent nullement en question les logiques dépensières qui ont, de pair avec la politique bancaire, abouti à la  situation actuelle. Nous connaissons les jérémiades des ultra-libéraux qui pensent qu’il  n’  y a de solution à ces dépenses excessives que dans une remise en cause du supposé « modèle social français » :   il faudrait, à les entendre,  mettre à bas  l’assurance maladie, les retraites par répartition, le statut de la fonction publique,  le système public d’éducation ou d’hospitalisation etc.  Mais tout cela existe depuis soixante ans. Le « modèle social français » tant décrié fonctionnait au sortir de la guerre avec 30 % de prélèvements  obligatoires. Il a fonctionné sans déficit dans les années soixante. En 1981, la France avait en proportion le même nombre de fonctionnaires que l’ Allemagne ; depuis,  elle en a embauché un million de plus ;   l’Union de la  gauche n’est pas seule en cause, mais  un peu tout le monde. Pour se tenir  à une seule source d’augmentation : la volonté de fusionner  les communes  (jugées trop nombres et dispendieuses) qui s’exprime depuis la Loi Joxe en 1972  dont la logique a  été poursuivie par la droite, s’est traduite par le recrutement de  400 000 agents publics supplémentaires.

Nous retenons cet exemple pour montrer à quoi aboutissement les mauvaises réformes qui pullulent depuis trente ans.

Pour s’en tenir à la période la plus récente, celle de la  présidence  Sarkozy, fallait–il  rapprocher ou   fusionner tout une série de services (Impôts-Trésor, Police-Gendarmerie, Pole emploi)  sans diminuer les effectifs et en  versant des  primes supplémentaires pour  convaincre  des services réticents? Fallait-il passer du RMI au RSA, sans véritable utilité sociale comme  la suite l’a montré, au prix de quelques  milliards supplémentaires, départementaliser Mayotte, créer les postes de députés pour les Français de l’étranger – après leur avoir assuré la gratuité scolaire), multiplier les offices, agences , hautes-autorités de toutes sortes ?  Fallait-il refaire la carte   judicaire pour abandonner de petits tribunaux invendables et entreprendre à grands frais l’agrandissement  de ceux que l’on maintient ?  Faut-il relâcher toujours un peu plus les disciplines scolaires,   la baisse d’efficacité rendant nécessaire des recrutements supplémentaires ?  Fallait-il pour un fallacieuse politique du chiffre multiplier les travaux statistiques le plus vains de haut en bas de l’échelle,  ou sous prétexte de  rationaliser la gestion du personnel, généraliser de stériles   entretiens de carrière ?  Fallait-il que Sarkozy, pour faire avaliser aux hauts fonctionnaires une politique qu'eux-mêmes trouvaient le plus souvent absurde, les gratifie des  plus larges  augmentations de traitement qui aient été jamais accordées ? On pourrait multiplier ainsi la liste affligeante des décisions  dépensières prises à la petite semaine depuis des années.

L’accroissement  des dépenses publiques, n’est plus  depuis belle lurette, une option idéologique, ni même l’effet de la démagogie, mais,  comme dans une entreprise, la sanction de l’incompétence.

 Au contraire des officines libérales qui déplorent sans cesse le  manque de courage de nos gouvernants devant un modèle social trop généraux ou  les excès d’ un système « centralisé et jacobin » , c’est l’incompétence de ceux qui gouvernent qu’il faut mettre en cause. Et peut-être plus : la copie servile de modèles étrangers, souvent tenus, paradoxe suprême, pour « libéraux », voire une simplification abusive des approches qui est en réalité de  l’idéologie.

N’hésiterons pas à le dire : si aucune réforme n’avait été entreprise depuis trente ans dans certains secteurs clef  : collectivités locales, réforme de l’Etat, enseignement primaire et secondaire, si l’on  avait trouvé un système plus économique et plus juste que la CMU et l’AME pour soigner toute la population, des dizaines de milliards auraient été économisés, sans remise en cause d’aucune sorte du « modèle social français ».

Que tous les candidats en vue proposent une augmentation des impôts après l’échéance  présidentielle n’est que le revers de leur radicale inaptitude  à remettre en cause le modèle réformateur dépensier et brouillon qui  règne depuis   au moins vingt ans.

Et la  réforma fiscale, dira-t-on ? A vrai dire, on  n’en  parle aujourd’hui  que parce qu’il faut trouver d’urgence des ressources supplémentaires, qu’il faut   « presser un peu plus le citron ». 

Revenons aux fondamentaux : tout système fiscal est peu ou prou  injuste et  il le sera d’autant plus qu’il sera lourd. En même temps, la fiscalité se trouve au cœur d’un équilibre  social  subtil  et fragile : on ne joue pas avec elle sans précautions. Remettre à plat le système fiscal, cela s’appelle la Révolution française !  Elle n’est pas, que nous sachions, à l’ordre du jour.  Non que, des mesures radicales ne soient pas nécessaires,  mais peut-être pas dans ce domaine.

Répétons que la plus urgente de réformes, c’est de ne pas augmenter, voire d’alléger la charge fiscale. Qu’à partir de là des ajustements puissent être utiles, qui en disconviendra ? Mais dans un contexte si possible baissier : remplacer telle ou telle niche fiscale abusive par une réduction des  taux moyens  de l’impôt sur le revenu, contrôler assez les dépenses des collectivités locales pour que  la taxe foncière ne soit pas confiscatoire pour les petits propriétaires, alléger les charges des artisans et commerçants, voire de certains salariés et des  professions libérales, rapprocher la fiscalité de l’épargne de celle du travail, voilà des ajustements utiles. La TVA sociale, dont on parle depuis vingt ans et que le président vient de découvrir  peut être la meilleure ou  la pire de choses ;  la pire : un transfert du prélèvement du capital  vers le travail, vers les salariés consommateurs ;  la meilleure : un protectionnisme déguisé, destiné à sauver des emplois. Mais l’éclatement de l’euro le rendrait moins nécessaire dans la mesure où un changement de parité monétaire aboutirait au même résultat.

De toutes ces considérations doit ressortir ceci : dans un pays qui est déjà un des  plus imposés du monde (et le plus imposé des grands pays), ne plus augmenter la charge fiscale doit être  un  impératif catégorique.  Comment faire ? Posons  d’abord  le principe,  les gouvernements trouveront  bien les moyens. 

 

Roland HUREAUX*

 

  * Auteur de La grande démolition –  La France cassée par les réformes – Buchet-Chastel – janvier 2012

·                                                                                                                                  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] La différence tient aux ressources non fiscales de l’Etat ( vente du patrimoine , exploitations commerciales, bénéfices d’entreprises publiques ) et au déficit.

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 22:11

 

Article paru dans Marianne2 

 

Il nous a été rapporté que l’actuel président de la République, interrogé à Mont-de-Marsan sur la TVA sociale lors de la campagne électorale de 2007, ne semblait pas savoir exactement  de quoi il s’agissait. On en  parle pourtant depuis vingt ans.

Aussi est-ce dans la précipitation, en fin de quinquennat,  qu’est mise en place cette réforme qui  aurait pu être fondamentale.

Son principe en est simple : si  l’on considère que dans la masse des « prélèvements obligatoires », les cotisations sociales sont en définitive un impôt comme les autres, c’est se tirer une balle dans le pied que d’en charger les produits français (y compris ceux que nous exportons) et d’en exonérer les produits que nous importons.  L’effet est une grave perte de compétitivité, spécialement par rapport aux pays où le système social est peu développé ou inexistant, comme la Chine.  L’effet de cette distorsion, c’est  la perte de milliers d’emplois industriels.  La désespérante litanie des plans sociaux: Molex, Continental, Plastic-Omnium, Amora, Kronenbourg, Texas Instruments, Renault, NXPFrance, Jean Caby, Latécoère, Ducros, Thalès , Peugeot ou des délocalisations industrielles : Damart, Knorr, Cébé, Kenzo, Givenchy,  de ces dernières années  nous rappelle l’urgence du problème  

C’est pourquoi la TVA sociale ne saurait  être qu’un moyen  d’améliorer notre productivité et rien d’  autre.   Elle fait reposer une partie du coût de la solidarité sur les importations et en  décharge les exportations. Ce qui est visé, ce n’est pas le consommateur, c’est l’importateur. Pourquoi  ne pas le dire ?  c’ est une sorte de protectionnisme déguisé.  

Malheureusement les propos oiseux des uns et des autres  ont multiplié les malentendus : pour certains, elle serait une manière de financer le « trou » de la Sécurité sociale ;  il ne saurait en être question ;  la TVA sociale n’a de sens qu’à charge égale : en profiter pour combler les déficits sociaux  serait la dénaturer. C’est ce genre de suggestions, venues de la majorité,  qui avait fait  retirer le projet en 2008.  D’autres, en particulier au sein du patronat, y voient un moyen de diminuer les salaires réels  et d’accroître ainsi   les profits ;   il n’en est pas question non plus : le projet n’a de chances d’aboutir que s’il  est organisé de telle manière qu’il ne réduit pas le niveau de vie des salariés.  

Les puristes diront que la protection sociale doit  garder un financement propre, de type « coopératif » et donc demeurer  assise  sur le travail, sous peine de dériver dans l’assistanat.  Mais  comment éviter l’assistanat si la politique macro-économique  induit un volant de près de 4 millions de chômeurs  et précipite notre désindustrialisation ?   

La meilleure objection qu’on puisse faire à la TVA sociale est en définitive de dire qu’on peut obtenir un résultat analogue en dévaluant la monnaie. Comme la TVA sociale, une dévaluation renchérit les produits importés et  abaisse le prix des produits français. L’euro, qui  nous empêchait de le faire,  étant moribond, c’est  ce que  certains espèrent. Mais si l’éclatement de l’euro permet à la France de retrouver un peu de compétitivité face à l’Allemagne, il  n’est pas certain  qu’elle en retrouve beaucoup vis-à-vis du reste du monde.

La TVA, si mal nommé sociale, est à géométrie variable : on peut ne transférer sur la TVA qu’une petite  partie des cotisations sociales : c’est de cela qu’ il est question aujourd’hui.  Pourquoi  donc  ne pas faire l’essai ?

 

Roland HUREAUX *

 

 

·        Auteur de La grande démolitionLa France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, janvier 2012

 

 

 

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 22:06

 

Que François Hollande ait proposé de supprimer le quotient familial  déjà plafonné depuis  1981, témoigne d’abord  de son manque d’imagination : il a sans doute demandé des idées à ses correspondants de Bercy et on sait que l’illustre maison,  depuis trente ans, propose cela  dès qu’il manque de l’argent dans la caisse,   ce qui arrive souvent.

Mais il  n’est  pas le seul. Bruno Le Maire, en charge du programme de l’UMP,   avait  déjà,  il y a deux mois,  suggéré  d’imposer les allocations familiales.  La cible était la même.  Comme le célèbre barde gaulois, il fut immédiatement  ligoté et  bâillonné ! La proposition fit long feu.

Il  y a deux ans, il avait été question de supprimer la carte de famille nombreuse de la SNCF. Là aussi, devant le tollé, on la rétablit, plus avantageuse. Réussie parce que faite en catimini  fut par contre la  réduction des bonifications de retraites en fonction du nombre d’enfants,  suppression qui est une absurdité démographique

L’idée de réduire  les avantages familiaux, que la non-revalorisation régulière et le pompage continu  du régime famille au  bénéfice du régime vieillesse érode déjà au fil des ans, est récurrente. Mais elle  suscite heureusement de fortes résistances  dans la société française, bien au-delà d’associations familiales affaiblies. Juppé s’y était cassé les dents en 1995, Jospin en 1997. La leçon n’a pas encore été comprise apparemment : on oublie vite,  de nos jours.   

« Le quotient familial a pour objet de favoriser la natalité en général. Pas favoriser la natalité chez les classes modestes uniquement, mais chez tous les Français dans leur ensemble. », dit un blogueur pourtant  hostile  à la proposition de Hollande.

Non, il  ne s’agit,  à la base de ne  rien favoriser du tout, mais    d’établir une  simple  justice : serait-il juste, à revenu  égal, d’imposer de la même manière ceux qui élèvent des enfants et ceux qui n’en élèvent pas ?

Ce qu’on dit très peu : la politique familiale est en fait  la contrepartie des retraites obligatoires.  Ceux qui travaillent ont,  tous ensemble,  la charge du troisième  âge et celle du premier âge. La charge du troisième âge est largement mutualisée du fait des retraites par répartition. Qu’en compensation,  celle du premier âge fasse l’objet d’une  prise en charge collective au moins  partielle  est aussi une mesure de justice. D’autant que pour que demain le troisième  âge soit soutenu, il faut que  le premier le soit aujourd’hui. Les pays européens – presque tous sauf la France – qui ont perdu de vue cette logique  démographique  élémentaire   vont   le payer cher.

Quant au quotient familial lui-même, voté à l’unanimité en 1945, socialistes  et communistes compris, on peut en effet dire  qu’ il favorise les revenus élevés. Mais à l’âge où les enfants sont encore à charge – disons entre 25 et 45 ans,  bien peu gagnent des cent et des mille,   hormis  quelques golden-boys qui se targuent souvent  de ne pas avoir d’enfants et peut-être même votent à gauche.  Les revenus vraiment  élevés ne viennent, quand cela arrive,  dans notre société gérontocratique, que sur le tard , à un moment où les enfants sont  déjà grands.

A vrai dire, toute  proposition, quelle qu’elle soit,  qui tendrait à affaiblir le système d’aide aux enfants (nous préférons  cette  expression qui rappelle que  beaucoup   sont aujourd’hui  élevés dans des familles monoparentales ou recomposées ) aggraverait un double déséquilibre :

-                     L’évolution conjuguée de l’impôt sur le revenu, qui , depuis trente ans, n’a cessé de baisser, des prestations familiales qui n’ont cessé d’être érodées et du quotient familial, qui, lui, a été plafonné , font que pour les  classes moyennes , les impôts  nets  payés  n’ont cessé de baisser pour ceux qui n’avaient pas d’enfants et d’augmenter  pour ceux qui en avaient.

-                     Du fait du chômage, de la  baisse relative des salaires dans la valeur ajoutée,  et surtout de la fin de l’inflation ( qui  favorisait  les  jeunes qui achètent une maison), le rapport des revenus entre la partie médiane de la population : jeunes foyers, jeunes parents, jeunes salariés et la partie ancienne,  salariés en haut de l’échelle, retraités, n’a cessé de se dégrader au détriment des premiers. Que les référendums sur l’Europe aient donné le maximum de non chez  les jeunes actifs est significatif.  

Mais il est un paradoxe plus profond : le souci de rigueur  budgétaire « à l’allemande »  qui  sous-tend la politique de l’euro  est celui d’une société déjà  vieille et  frileuse pur qui la stabilité, notamment monétaire, est la valeur absolue. En revanche,  les tranches les plus âgées de la  population sont  les plus favorables à la monnaie unique, gage de  stabilité.  En « tapant », pour sauver celle-ci,  et  pour trouver des économies  sur les  transferts – ou déduction d’impôts - réservés au   soutien des plus jeunes, c’est dans une véritable spirale de mort que s’enfoncerait  la France.

On connaît la situation catastrophique de la démographie allemande. Depuis 2000 et pour  la première fois depuis 1870, il y a plus de naissances en France qu’en Allemagne. S’il y a quelque chose à prendre du modèle allemand, ce n’est sûrement  pas son évolution démographique. En envoyant un signal négatif, quel qu’il soit,   à ceux qui se préoccupent de reconduire les générations, c’est cette mauvaise voie que nous emprunterions.

 

Roland HUREAUX *

 

 

 

Vient de publier La grande démolitionla France cassée par les réformes, Ed. Buchet-Chastel, janvier 2012

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 22:03

Article paru dans Marianne2


Dans le passé, la situation à cent jours des élections présidentielles a rarement été aussi  insaisissable.

Le rejet du président sortant, total chez les 50 % de Français qui se reconnaissent  dans la gauche (et dont certains avaient été séduits  en 2007) et  au moins autant plus dans une frange  (environ 10 %)   se reconnaissant dans la  droite,   rend sa réélection improbable. Dans les sondages, la stabilité du curseur  autour de  60%-40% au second tour,  à son détriment,  peut lui faire craindre un échec cinglant. Plus que de la droite qui, sur la plupart des  sujets, n’a pas reculé, c’est sa personnalité qui est en cause.

Même si Marine Le Pen peut être présente au second tour, elle n’a aucune chance de le gagner.

Restent vainqueurs possibles Hollande et peut-être Bayrou,  Bayrou étant, à cette heure, le seul à pouvoir combler une partie du  vide qui serait creusé par un effondrement ou  un retrait de Sarkozy et  qui  pourrait battre Hollande.

Le premier paradoxe de cette situation  est   que   les programmes  de ces deux favoris sont à peu près les mêmes : Hollande est assez libéral pour ne pas effrayer sérieusement les grands intérêts ; Bayrou, pourtant dernier avatar de la démocratie chrétienne, a  tellement transigé avec l’esprit du temps, par exemple en promouvant le  mariage homosexuel, qu’il est devenu,  sur le terrain sociétal,  très proche des socialistes.

Le deuxième paradoxe est que tant la personnalité que les programmes de ces deux hommes se situent on ne peut plus aux antipodes de ce  qu’attendent aujourd’hui des Français. Il  n’  est pas trop aventuré de penser que,  par-delà sa manière tapageuse  et brouillonne de gouverner, une grande partie du discrédit de Sarkozy résulte  de la récession économique, de la stagnation du pouvoir d’achat, de la désindustrialisation qui ont marqué son quinquennat. La crise mondiale n’explique pas tout. La situation actuelle de la France est l’effet de la combinaison de  la contrainte de l’euro   et du poids d’un Etat bureaucratique et social que, malgré ses rodomontades,  l’ancien président n’a  pas  réussi à réduire  et que le peuple rejette autant que ses élites.  

Sur aucun de ces sujets, Bayrou et Hollande, tous deux désespérément conformistes et prisonniers de la pensée unique, n’apportent la moindre réponse.     La doctrine européenne est congénitale au  centrisme dont se réclame Bayrou, elle l’est presque autant à Hollande,   disciple de Jacques Delors. Tous les deux, pour sauver l’euro,  ne laissent envisager que l’amère perspective d’un  alourdissement  de la pression fiscale,  que la plupart des  Français  (pas seulement les riches !) trouvent déjà  accablante. Aucun n’envisage ce que pourrait être une  France d’après l’euro, une perspective qu’il est de plus en plus nécessaire d’envisager; aucun n’a une vision quelconque  en matière de politique étrangère. 

Tel et le mystère de l’alternance politique : on n’hésite  pas à dire que Bayrou et Hollande  ne feraient, sur à peu près tous   les sujets  de fond (euro, fiscalité, délocalisations) qui ont rendu Sarkozy impopulaire, qu’aller dans le même sens. Avec un peu plus de tenue, certes et même un ancrage  rural  qui a toujours manqué au maire de Neuilly. Mais à quoi sert cet ancrage si , quant à leurs idées, les intéressés sont plus près, plus près du Siècle ou de la Trilatérale que de la France profonde ?  

Le troisième paradoxe est que ceux qui devraient être les héros de l’heure  sont fatigués : tous ceux qui  avaient à  peu près prévu ce qui est en train de se passer,  en dehors du Front national, sont aujourd’hui marginalisés : Chevènement, Villiers, Boutin. Plus flou dans ses aspirations, Villepin est aussi au bout du rouleau. Dupont-Aignan  ne décolle pas.  Comme les officiers  de Dino Buzzati dans Le désert des Tartares, ils sont réformés au moment où la guerre  qu’ils  ont passé leur vie à préparer,  va éclater. Mélenchon, dont les perspectives sont meilleures, est trop contradictoire  pour qu’on le situe dans cette mouvance.

De ces paradoxes, on ne tirera aucun pronostic. Aujourd’hui, l’élection de Hollande serait  presque assurée. Mais de lourdes    incertitudes pèsent sur le scrutin. D’abord la crise économique  peut s’aggraver et provoquer  la rupture de l’euro : des chiffres accablants vont sortir mi-février, la Grèce a de lourdes échéances en mars. La rupture de l’euro serait un tremblement de terre de première magnitude. Presque autant que des événements militaires que certains annoncent au Proche-Orient.  Il  faut envisager que  Sarkozy, à la vue de sondages ne lui laissant guère d’espoir, se retire :   une grande turbulence apparaîtra  alors  du côté droit  dont on ne sait  ce qui en sortirait.  Marine Le Pen n’est pas sûre de pouvoir récolter les 500 signatures nécessaires à sa candidature, moins à cause des pressions  de l’UMP que de la prudence des maires plus que jamais soucieux de rester  politiquement corrects. Ce qui serait une grave anomalie démocratique pourrait aussi avoir des effets imprévisibles.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 21:47

 

INFLATION, DEVALUATION, JUSTICE ET INJUSTICE

 

On peut être surpris d’  entendre, à la faveur de la crise de l’euro, ressurgir le vieux discours selon lequel l’inflation – à laquelle l’euro devait mettre fin –  et la dévaluation -  qui résultera pour certains pays (pas nécessairement la France) de la fin de l’euro, seraient des pratiques immorales. Le  débat n’est certes pas  illégitime, mais  un tel discours fait l’impasse sur   les  centaines de dévaluations  qui ont eu lieu à travers le monde au cours du siècle passé, sur    le fait qu’en dehors de la zone euro, les changes sont flottants , ce qui signifie des modifications quotidiennes de parité sur lesquelles les  banques spéculent un peu partout,  sans parler des  montagnes de turpitudes que couvre le système financier à travers le monde, turpitudes vis à vis desquelles un changement limité de parité , généralement contraint,   semble une faute bien vénielle ! Un peu comme si  au petit matin d’une immense orgie, quelqu’un vous reprochait un verre de vin !

Mais puisque  la question est posée, tentons d’y répondre. 

Et d’abord clarifions les  notions. L’inflation veut dire deux choses différentes : la production excessive de signes monétaires (par les Etats ou par les systèmes bancaires)  ou  la hausse des prix. La hausse des prix implique la dépréciation de la monnaie. Pendant longtemps, l’inflation des signes monétaires avait entraîné de manière automatique celle des prix. A l’heure de la mondialisation, qui voit la concurrence internationale  bloquer  les prix et les salaires vers le bas, il semble que les deux soient, pour la première fois dans l’histoire, déconnectés. Quoique la masse monétaire mondiale soit aujourd’hui très largement excessive (on parle de 400 000 milliards de dollars pour un PIB mondial de 40 000 milliards), ce fait ne se traduit pas par une hausse importante  des prix (sauf dans l’immobilier).

La dévaluation est la perte de la valeur de la monnaie par rapport à un étalon qui était autrefois l’or, qui est encore, de fait,  le dollar,  mais qui est également l’ensemble des autres monnaies. La dévaluation ratifie   la  dépréciation ; elle résulte du marché des changes ou  d’une décision administrative. Mais quand une monnaie s’est dépréciée, aucune décision administrative n’empêchera qu’  elle finisse par être dévaluée.

On  peut naturellement obtenir le même  résultat par la réévaluation des autres monnaies ou d’une seule. Il est arrivé souvent en Europe, depuis  1969,  que le mark seul soit réévalué, ce qui épargnait  aux autres Etats de  dévaluer.    Depuis la  disparition de l’étalon-or, les monnaies n’ont de valeur que relative.

Si l’on considère le fait même de la dévaluation, même relative, elle n’affecte qu’en apparence le patrimoine d’un pays puisque elle est généralement la sanction d’une production exagérée de monnaie et donc d’une hausse artificielle de la valeur des revenus et des patrimoines du pays. Sans préjuger de la distribution des actifs avant ou après la dévaluation  qui est une autre question,  leur masse globale est rétablie par la dévaluation  au niveau qui aurait toujours dû être le sien. La dévaluation  « remet  les  pendules à l’heure ». En un sens, ce n’est pas la dévaluation qui est immorale,  ce ne pourrait être que  l’inflation qui l’a précédée et rendue nécessaire.

Quant à ses effets, il faut distinguer  l’interne et l’externe. Dans le pays, tout le monde est en principe logé à la même enseigne. Les prix et les salaires ne changent pas leur valeur nominale, en tous les cas pas immédiatement. Et  si un particulier, prévenu de la dévaluation, transfère  à temps une partie de ses fonds à l’étranger pour  qu’ils soient maintenus à leur valeur internationale antérieure, s’exemptant du sort commun de la patrie, c’est lui que la morale commune blâmera, avec juste raison. Il pourrait même être condamné par les tribunaux s’il  a violé les règles du  contrôle des changes ou bénéficié d’un délit d’initié.

S’agissant des créances et des dettes internationales, publiques ou privées, selon la manière dont elles sont libellées, et les négociations éventuelles qui accompagnent un changement de parité,  les agents extérieurs pourront être gagnants ou perdants. Ni plus ni moins toutefois que  lors des changements de parité quotidiens qui interviennent sur les marchés des changes. Ceux-ci sont si bien intégrés à la vie internationale que la plupart des agents économiques se couvrent  face à eux  de différentes manières – assurance, marché à terme. Mais indépendamment de cela, les créances et les dettes internationales échappent au droit commun pour être régies par ce qu’on appelait au Moyen Age  le droit des gens ( jus gentium ) que nous appelons aujourd’hui le droit international:  les gens, c’est-à-dire les gentils, les étrangers . Seul un Etat constitué ayant le caractère d’une « société parfaite », il a toujours été considéré que le droit des gens pouvait suivre des  règles spéciales, arbitrées, dans les meilleurs des cas, par des juridictions ad hoc, mais souvent  par la force des armes. Si spoliation il y a, elle intervient dans un contexte très différent du droit interne.

Comment ignorer, en outre, les effets positifs qu’apporte presque toujours, sur le plan économique, une dévaluation ?  Non point qu’elle soit un bien en soi,  mais dans la mesure où elle apparaît comme un retour au réel,  un réajustement sur la vérité, distordue par l’inflation ?  Si l’on considère que la valeur d’une monnaie est en réalité  le prix moyen auquel sont vendus les produits d’un  pays, une dévaluation s’assimile à une opération de soldes destinée à stimuler les ventes d’un pays    qui ne vend pas assez et dont, pour  cette raison,   les comptes sont déséquilibrés. Le rééquilibrage produit par la dévaluation est presque toujours  automatique, même s’il intervient avec un délai de quelques mois. Toutefois la dévaluation, issue de l’inflation, peut, à son tour, du fait de la hausse des  prix importés, nourrir  l’inflation et entraîner le pays dans un cercle vicieux (une « spirale inflationniste »). C’est pourquoi elle est généralement accompagnée d’un plan de rigueur  destiné  à en préserver  le bénéfice en termes de compétitivité.

En fait, derrière la question de la dévaluation, se trouve celle de l’inflation. Là aussi , il faut savoir de quoi on parle :  il faut distinguer l’inflation galopante qui se traduit par une dépréciation ultra-rapide de la monnaie tendant vers une valeur zéro , telle qu’elle s’est produite en France sous la Révolution française, en Allemagne en 1923 et en 1945  , en Russie en 1990  ou assez souvent en Amérique latine, d’une inflation modérée ( « à un chiffre »  comme on dit) , de l’ordre de 5 %par an : c’est ce genre d’inflation qui, dans tous les  pays,  a,  plus ou moins, accompagné la croissance des Trente Glorieuses. Il ne faut pas davantage confondre ces deux genres d’inflation qu’il ne faut  identifier l’addiction éthylique mortelle   et l’habitude de boire un verre un vin à chaque repas !  

Le caractère social de l’inflation est analysé diversement. On peut, si l’on est strict, le considérer comme le vol d’une partie des encaisses  (qu’ils portent ou non des intérêts par ailleurs) aux épargnants. Mais on peut aussi bien dire qu’il s’agit d’  un impôt sur ces mêmes encaisses, simplement un peu plus hypocrite, moins « citoyen »  que l’impôt sur le revenu ou la consommation.

On pensait au temps des Trente Glorieuses que l’inflation était plus favorable aux salariés qu’aux patrons. C’est seulement vrai dans la mesure où une politique très rigoureuse en vue de la contenir crée  un volant de chômage et donc une pression à la baisse sur les salaires ; en période de « surchauffe » ou de plein-emploi, au contraire,  ce sont  les salariés qui sont en position de force dans les négociations salariales. Inutile de dire que depus vingt ans,   la zone euro se situe clairement  dans le premier cas de figure : celui d’un volant de chômage délibérément accepté pour  préserver une monnaie stable : en France,  le franc fort, puis l’euro.  

Mais l’école autrichienne a montré cependant que les plus fortunés, parce que mieux informés,  mettaient plus facilement leurs avoirs à l’abri de l’inflation que les petits épargnants  et qu’elle pouvait aussi bien être tenue pour une spoliation des pauvres, pour peu qu’ils aient quelque  épargne.

Un autre effet, souvent rappelé par Alfred Sauvy, c’est que l’inflation,  entraînant  la baisse des intérêts réels, qui deviennent quelquefois négatifs, se traduit par un transfert des personnes âgées, riches ou pauvres,  généralement créditrices,  vers les jeunes ménages, généralement débiteurs, surtout ceux qui ont emprunté  pour acquérir un logement ou investir. On serait ainsi tenté de dire que,  certes,  l'inflation est injuste mais que l’inflation c’est la vie.  L’atmosphère inflationniste de  l’après-guerre est  inséparable du baby-boom. La propension internationale à l’inflation se renverse au tournant des années  70 - 80, quand le monde occidental vieillit : les plus de 50 ans deviennent majoritaires dans la population, les taux d’intérêt réels  deviennent positifs, il est de plus en plus difficile à un petit salarié  devenir propriétaire. Le choix de la stabilité des prix est celui d’une Europe vieillissante. Le  contrôle des naissances et le contrôle des prix ont  partie liée.

Autour d’un taux d’inflation international moyen , variable d’une décennie à l’autre, les différents pays se distribuent d’une manière à peu près constante : entre l’Allemagne , championne bien connue de la faible inflation avec la Suisse et les Pays-Bas, et les pays d’Amérique latine ou d’Afrique (hors zone franc), un dégradé  place les Etats-Unis en position moyenne à égalité avec la France,  puis viennent le Royaume-Uni  ( aujourd’hui  un peu  plus porté à l’inflation  qu’il  n’était  ) et l’Italie , puis les  autres pays méditerranéens. Mais on se tromperait lourdement à voir là  un concours de vertu. Il s’agit de   constantes culturelles propres à chaque pays  qui ne se modifient que sur le   long terme.  L’Allemagne a encore en tête l’expérience  de  1923, sorte de traumatisme de la petite enfance  qui  rend l’inflation très impopulaire dans  l’opinion allemande ;   les autres pays n’ayant  pas eu cette expérience au cours du XXe siècle sont  moins rigides. Il est hasardeux de jeter la pierre à certains gouvernements jugés plus  laxistes. Le taux « naturel » d’inflation d’un pays (variable selon les générations  mais à  peu près constant  par rapport aux autres pays) est un régulateur du consensus social, lequel est  plus ou moins difficile à obtenir d’un pays à l’autre ou qui, disons, s’obtient avec des  moyens différents. Ces différences n’ont  eu aucune incidence sur la seule variable réelle : la croissance. Une  société en croissance rapide, fortement   bouleversée, a même une tendance plus forte à l’inflation : ce fut ainsi le cas du Japon des années 1950-1980.  

Ces considérations historiques ou sociologiques apparaitront naturellement choquantes par rapport à la théorie du droit de propriété pour laquelle 1 franc égale 1 franc ; si l’inflation m’en prend 10 %, il y a spoliation, à plus forte raison quand cette inflation aboutit à  une décision gouvernementale    de dévaluation par rapport à un étalon fixe comme l’or.

Certains en  tireront que l’objectif de l’inflation zéro est le seul qui soit compatible avec la doctrine sociale  chrétienne.

Dans cette vision idéale, seul   l’enrichissement par   le travail  (incluant le profit d’une entreprise utile)  et par l’épargne est légitime   et la propriété  ainsi  acquise est un droit sacré, même s’il emporte avec lui des devoirs.

Cette théorie se heurte malheureusement à bien des réalités  qui font qu’elle n’est qu’un idéal.    

D’abord ce fait massif que  les sociétés hier et d’aujourd’hui, pour peu qu’on veuille les regarder avec lucidité,  multiplient les distorsions  permettant  beaucoup des gains qui n’ont pas grand-chose à voir avec le travail  et l’épargne. Autrefois,  la prédation guerrière était la source de bien des fortunes. La  grande corruption, étendue sous l’Ancien régime et la Révolution (combien de fortunes bâties sur la spoliation des biens du clergé !) a, au moins dans les pays développés,  régressé ensuite, pour reparaître en grand dans la période récente. Elle s’étend à peu près au monde entier.  Et ne parlons pas des narcotrafics qui ne conduisent pas tous en prison !  Ou de l’évasion fiscale massive.  Même si on les juge légitimes, les profits boursiers les plus importants  vont souvent avec les délais d’initiés. Bien peu de fortunes industrielles qui ne se bâtissent sans lien étroits  avec l’Etat.  Si le classement  des grandes fortunes met en valeur  des  fortunes industrielles légitimes, il en est d’autres qui le sont moins et qui ne s’affichent pas. Le système fiscal est rempli de tant de distorsions qu’il s'en faut de beaucoup qu’on puisse  le considérer comme juste.  Une législation compliquée crée des « effets d’aubaine » dont tirent parti les plus habiles. La loi du 3 janvier 1973   interdit à l’Etat français  d’emprunter à taux zéro à la Banque de France  et l’a  obligé    à  emprunter aux banques,  lesquelles peuvent, elles ,  se refinancer à des taux plus faibles auprès de la banque centrale : enrichissement sans cause et sans risque qui n’est apparu dans toute sa gravité que depuis que les déficits des Etats  ont explosé  et que les banques ont été privatisées . La dette actuelle  de l’Etat, sur laquelle les moralistes sont si diserts, serait aujourd’hui  égale aux intérêts cumulés  versés aux banques depuis 1973.  

L’explosion de la bulle financière internationale au cours des années 2000, par l’effet bien connu du multiplicateur qui permet au système bancaire de se développer en circuit fermé, indépendamment  de la croissance économique réelle,  beaucoup plus lente, s’est traduite par un transfert vers les banques, leurs dirigeants et leurs actionnaires,  d’une part plus importante de la richesse nationale, cela dans tout le monde développé. Un des effets les plus pervers de cette situation est le drainage vers la spéculation financière des meilleurs talents scientifiques. Sachant que le progrès scientifique et technique est la seule base véritable du progrès économique, l’Occident est ainsi, par la cupidité de certains,  en train de scier la branche sur laquelle il est assis.

On peut même rappeler, si on veut être puriste, que toutes les grandes religions interdisent le prêt à intérêt. Même en admettant que cette antique loi ne vise que le prêt à la consommation, non à l’investissement, il est clair que, sur ce chapitre, personne n’est aujourd’hui moralement en règle.

Comme tout ne profite pas qu’aux riches, on  peut dire  à l’inverse que le blocage des loyers ou des fermages à la sortie de  la guerre, avilissant la valeur locative des biens fonds,  s’est aussi  traduit par une sorte de spoliation.

Sur un autre plan, les  retraites par répartition ne sont-elles pas une immense injustice puisque ceux qui n’ont pas fait l’effort d’élever des  enfants  reçoivent autant que ceux qui  ont fait cet effort,  alors même que ce sont les enfants de ces derniers qui nourriront  les premiers dans leurs vieux jours ?  L’injustice serait encore pire dans un système retraite par capitalisation puisque capitaliseront  plus facilement ceux qui n’auront  pas d’enfants à élever. Et ne parlons pas de la division des patrimoines, dont pâtissent d’abord  ceux qui se soucient de préparer l’avenir de la société. Les prestations familiales ne compensent qu’en partie ces  distorsions. Un  accord récent  des partenaires sociaux, parmi les plus scandaleux,  a  pratiquement supprimé les bonifications de retraite complémentaire dont bénéficient les pères et mères de famille !  

C’est dire que dans cette immense accumulation de grandes et petites injustices, l’inflation n’est qu’une donnée  parmi  bien  d’autres.

 

Les « structures de péché »

 

On  dira que ce n’est pas une raison pour ne pas lutter contre une injustice particulière   (et pourquoi pas l’inflation ?) dès lors qu’on l’a repérée et qu’on croit avoir prise sur elle, qu’importent les  autres. La difficulté est que ces différentes manières par lesquelles la stricte justice distributive est gauchie s’articulent entre elles, forment ce que le pape Jean-Paul II a appelé des « structures de péché » : les distorsions à la justice dans un domaine en entraînent dans d’autres, ce qui rend difficile de les traiter séparément.  Elles peuvent se déplacer : faute de pouvoir modifier la propension  dépensière des Etats, dès lors que l’inflation a  baissé, notamment depuis la création de l’euro, on a assisté à une explosion des déficits ;  trop de rigueur contre l’inflation, on l’a dit, aggrave le chômage, selon la vieille loi de Philips, toujours valable quoi que certains prétendent. En ayant une approche trop simple de   la vertu financière,  on ne fait que transférer les déséquilibres. Les distorsions peuvent  aussi se compenser : si la société défavorise de multiples manières les jeunes ménages, qu'ils se rattrapent en bénéficiant d’un peu d’inflation,  pourquoi pas ? Si les marchés internationaux écrasent à minima le revenu agricole,  que la profession bénéficie du statut du fermage, qui  lui  en voudra ?

Certains  déséquilibres sont  intrinsèques à la  nature humaine. La vie économique normale suppose que les acteurs, particuliers, entreprises ou Etats, soient tantôt excédentaires, tantôt déficitaires et que les dettes contractées à un moment soient remboursées à un autre, ce jeu satisfaisant aux exigences de l’équilibre général.  Mais ce schéma ne  marche qu’à court terme et entre   partenaires  à peu près égaux. A  long terme, on s’apercevra vite que    les mêmes  sont comme on dit « structurellement excédentaires » et les autres « structurellement déficitaires ». Que faire alors quand une partie des joueurs est « plumée » ? Arrêter le jeu ?  Ce n’est pas possible. D’une manière ou d’une autre il faudra effacer les dettes pour que la partie continue.  C’est particulièrement vrai quand  les partenaires structurellement déficitaires ont la force physique avec eux : c’est aujourd’hui  le cas des  Etats, particulièrement du plus fort d’entre eux, les Etats-Unis. Mais ça l’est aussi vis-à-vis de partenaires plus faibles dont la poursuite du jeu  exige qu’ils restent autour de la table. Il est alors  mille moyens pour les débiteurs  de ne pas rembourser : l’inflation, le rééchelonnement ou l’annulation des dettes (souvent pratiquée avec les pays du tiers monde dits « les moins avancés »), voire  la spoliation pure et simple (on connait le précédent des  emprunts russes). Tous valent mieux que le moyen ultime de « purger » les dettes qu’a  souvent été dans  l’histoire la guerre. Ce déséquilibre économique  structurel  entre les forts et les fables, ne serait-ce pas la raison pour laquelle l’Evangile dit    qu’ « il faut prêter sans rien attendre en retour » ?

Faut-il aller jusqu’à condamner l’ «horreur économique » ? Non.   Certaines   injustices sont parfois nécessaires, voire utiles. Des fortunes entassées aux limites de la  légalité, en tous les cas de la moralité ( par exemple les profits de guerre) ont permis le décollage de certains pays.  A vouloir trop moraliser, on risque de casser le ressort du profit qui demeure un moyen fondamental de développement des forces productives. Mais entre le cynisme  pour qui tout est « pourri »  et le moralisme   naïf ,  il y a de la marge.   

Vouloir moraliser  la vie économique  de manière trop simpliste, c’est rien de moins qu’ignorer le péché originel. L’ignorance du péché originel, c’est ce qui fonde toutes les utopies, voire les idéologies : la croyance naïve qu’en agissant sur un seul des facteurs, on fera faire de progrès décisifs à l’humanité. Personne ne croit plus aux grandes utopies, qui,  partant du principe que « la propriété c’est le vol » (ce qui, on l’a vu, est souvent vrai), supposaient que  son abolition rendrait les hommes meilleurs. Mais il est d’autres formes d’utopies.

Par exemple un projet de monnaie mondiale. Bien peu de partisans de l’euro qui n’envisagent un jour sa fusion avec le dollar.   Fausse bonne idée. La pluralité monétaire est nécessaire pour que chaque peuple aille à son rythme. La  Suisse,  qui a toujours eu son autonomie monétaire,  est  devenue une puissance industrielle, alors que  le Massif central qui  l’ a perdue  depuis longtemps , obligé de marcher au même rythme que des  régions  françaises mieux pourvues, s’est peu à peu désindustrialisé. On pourrait  faire une comparaison analogue entre  l’île Maurice et   la Réunion. Le Massif central et la Réunion, handicapés par leur rattachement monétaire  à la « République une et indivisible », bénéficient, chacun à sa manière,  de la solidarité nationale.  Entre les pays, la diversité monétaire est un puissant facteur d’aménagement du territoire, une monnaie plus fable compensant les handicaps.  Les économistes ont mis au point, à partir de là,   la théorie de zones monétaires optimales : celles  où les  déséquilibres ne  surpassent pas  la capacité à être solidaires. Les Allemands veulent  bien être solidaires de leurs compatriotes de l’Est, pas des Grecs. Il est certain  que le monde n’est pas une zone monétaire optimale,  il n’est  pas sûr que la zone euro le soit.

L’inflation zéro ou proche de zéro est, compte tenu de tout ce que nous avons dit, une autre forme d’utopie.  Elle participe à ce que Philippe Muray appelait l’ « empire du bien ». Cette utopie s’est trouvée  renforcée en France par une admiration  béate  de l’Allemagne, issue  de la défaite de 1940.  Elle a  sous-tendu la création de l’euro : enfin la France serait contrainte de  se plier  à la rigueur allemande !    La Banque centrale européenne n’a  d’autre mission que de combattre l’inflation (au mépris de toutes  les autres finalités d’une politique monétaire, comme l’emploi).  Mais ce que nous tenons pour une vertu chez le seul peuple qui s’en approche,   l’Allemagne, n’est peut-être qu’une névrose, inséparable de la singularité historique de ce peuple  et aujourd’hui  de son vieillissement.  Il en va  dans l’économie comme dans la   vie où le visage de la vertu recouvre souvent une psychorigidité morbide

Cet esprit utopique  qui cherche la perfection dans un domaine circonscrit en perdant de vue  les structures de péché dont ce domaine est inséparable,  et sans doute la  vertu de miséricorde,  est une tentation particulière à certains  chrétiens. Le dictateur portugais  Salazar, professeur d’économie et  catholique convaincu voulut  éliminer l’inflation  et  faire  de l’escudo une monnaie parfaite,  aussi forte que le  franc suisse. Le résultat de  cette politique menée  pendant quarante ans : la  stagnation de son pays, des centaines de milliers de travailleurs obligés d’aller chercher  du travail en France, un retard considérable, y compris par rapport à l’Espagne. 

Les gérants du FMI qui précédèrent  Strauss-Kahn, adeptes notoires du catholicisme social,  ont tenté d’imposer des disciplines analogues dans le courant des années quatre-vingt-dix  à des  pays comme  le Brésil ou l’Argentine. Au mépris de la propension inflationniste invétérée de ces pays,  on  avait posé qu’  un peso ou un réal vaudraient désormais, de manière définitive, un dollar.  Au début pas de problème ; mais peu à peu le naturel revint, se traduisant  par des tensions croissantes. Interdite  de dévaluation, l’Argentine    plongea  dans une crise profonde qui se traduisit  par un chômage étendu et des milliers de suicides. Nul ne doute que les responsables dont nous parlons, couverts d’honneurs par la bien-pensance, auront à rendre compte au jour du jugement de leurs erreurs, des conséquences dramatiques de leur souci étroit et  obstiné d’imposer la vertu monétaire sans aucune considération des nombreuses variables culturelles et sociales qui en sont inséparables.

Ce souci de justice très circonscrit, quand il s’exprime dans un océan de turpitudes  dont  les  justiciers eux-mêmes  tirent souvent  parti  sans le savoir , autant qu’à  l’utopie  s’assimile  au pharisaïsme : une justice sans miséricorde et qui, regardant les hommes par le petit bout de la lorgnette, voit  la paille dans l’œil de certains (hier l’Argentine, aujourd’hui la Grèce) sans voir la poutre qui, sur d’autres plans et sous d’autres formes, est dans le leur.  

Cela est aussi une attitude typique de technocrate en charge d’un domaine  spécialisé  de l’action publique et qui  n’a rien à faire  des autres aspects de la vie sociale : tant qu’elle n’inspire que des  d’exécutants sectoriels, elle n’a rien que de normal. Si elle se manifeste au niveau le plus élevé, on peut l’assimiler à une  forme de bêtise.  Rien de plus dangereux !

Dépasser le moralisme étroit et circonscrit pour considérer les ensembles,  voir par-delà tel dysfonctionnement  particulier l’immense misère de l’homme, l’ océan  d’injustices accumulées dans lesquelles il se trouve plongé  et au travers duquel , il doit néanmoins  aller de l’avant,  c’est ce qui exige, non seulement  l’intelligence des ensembles mais aussi  la  bienveillance. C’est la grandeur de la politique. La lutte contre l’inflation, pour importante qu’elle soit,  ne saurait être  le  souci unique  des gouvernants : il en est d’autres encore plus graves. La paix civile, par exemple, pour un gouvernement soucieux du bien commun,  est un objectif qui passe infiniment l’orthodoxie monétaire ou financière.

 

Roland HUREAUX *

 

 

·        Auteur de La grande démolition – La France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, janvier 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 21:46

 

Article paru dans Marianne2

 

 

CONTRAIREMENT A L’AVIS DE CERTAINS EXPERTS, LES CHANGEMENTS DE PARITE MONETAIRES SONT TOUJOURS EFICACES

Il est devenu à la mode, depuis quelque temps, de relativiser la portée des   lois économiques les plus assurées. Parmi celles-ci, le fait,  décrit  par tous les manuels scolaires, qu’une dévaluation contribue à réduire le déficit de la balance commerciale, les produits importés devenant plus chers, les produits exportés moins chers. Et bien entendu, une réévaluation a l ‘effet inverse : elle rééquilibre dans l’autre sens  la balance d’un pays excédentaire, contribuant à l’équilibre général.

Cette théorie était au fondement de l’étalon or : déficit,  sortie  d’or, diminution du stock, diminution mécanique de la masse monétaire,  baisse des prix, rééquilibrage et l’inverse en cas d’excédent. 

La remise en cause de cette loi  fondamentale est venue  en particulier  à l’appui des politiques du franc fort, puis  de l’euro fort.   Elle justifie la  passivité occidentale vis-à-vis de la Chine qui, elle, a parfaitement  compris  qu’en sous-évaluant massivement  le yuan, elle accélérait son industrialisation et précipitait la désindustrialisation de ses concurrents occidentaux.

Une autre raison de cette remise en cause est l’attitude  de certains  « experts »  qui pensent justifier leur statut  en disant le contraire de ce que tout le monde dit, ce qui est  la démarche du sophiste  justement dénoncée par Socrate.

 

Aucune exception à la règle

 

Des arguments que l’on avance  pour remettre en cause  l’efficacité des changements de parité  sur la balance des paiements, aucun  n’est  en effet convaincant.

On dira que le gain de compétitivité qui résulte d’une dévaluation est annulé par la hausse du prix des importations  qui  pèsent  sur les prix de revient.  Mais la hausse des prix, dans la théorie classique,  a toujours eu pour effet d’obliger au rationnement ; c’est ce qui se passe en l’espèce. Les prix de revient, dès lors que le pays apporte de la valeur ajoutée à ce qu’il exporte,  ne dépend que pour une part  de la valeur des importations.

On dira aussi que, la division internationale du travail étant ce qu’elle est, chacun reste, quelles que soient les parités,  dans son domaine ; une dévaluation ne fera que diminuer les recettes de l’exportation. On dira par exemple qu’une réévaluation de la monnaie allemande ne ferait pas baisser les exportations  allemandes.

Première question que soulève cet argument: l’actuelle division internationale du travail, si elle existe, est-elle saine ? Pour l’Occident, renoncer  à produire des biens de consommation  ne conduit –il pas, à terme,  à un redoutable  affaiblissement ?  Cette division n’est-elle pas elle-même  l’effet de politiques de change aberrantes ? On ajoutera que cette façon de voir  ignore toutes les leçons de l’analyse marginaliste : à supposer que , dans un pays donné,  80 % des exportations soient peu vulnérables à un changement de parité modéré, 20 % le sont plus ou moins selon  un dégradé : en fonction de l’importance du changement, son effet à la marge  sera plus ou moins grand,  mais il sera effectif : un impact de 5 % suffit généralement à redresser un déséquilibre.

Toujours s’agissant de l’Allemagne, il est possible que les exportations de machines-outils que seul ce pays sait faire ne soient pas affectées par une réévaluation ; il n'en sera  pas de même des exportations de viande bovine. La balance agricole qui avait toujours été favorable à la France est devenue favorable à l’Allemagne depuis l’entrée en vigueur de l’euro. Cela cesserait d’être le cas si, l’euro disparaissant, le nouveau mark se trouvait revalorisé par rapport au nouveau franc car la viande bovine française redeviendrait moins chère.  

Pour la même raison,  ne tient pas le raisonnement qui consiste à dire : les salaires chinois étant cinquante fois inférieurs aux salaires français, à quoi servirait donc une réévaluation du yuan ?  Il y a 500 millions de salariés en Chine ; nous ne voulons pas récupérer 500 millions d’emplois ; 1 million nous suffirait : ils sont à prendre sur  la frange la plus sensible à un changement de parité, toujours selon le modèle de l’analyse marginaliste.

Liée à la théorie de la division internationale du travail est celle de la réévaluation compétitive. Maintenir envers et contre tout, une monnaie forte, comme l’a fait la France à partir de 1992, contribue, dit-on,  à brider  l’inflation (tenue, on se demande pourquoi, pour  le mal absolu)  et oblige notre pays à se spécialiser dans les productions à haute valeur ajoutée, en particulier les services. Cette théorie comporte en filigrane l’idée pernicieuse que la désindustrialisation est un signe de progrès et l’illusion que, pour les hautes technologies,  nous serons toujours plus intelligents que les pays émergents. Que cette surévaluation porte avec elle un volant d’un ou deux millions de chômeurs permanents n’est que l’application de la vieille courbe de Philips,   dont on prétend de manière tout aussi fallacieuse qu’elle serait  dépassée. Que cette théorie inhumaine ait trouvé ses   meilleurs soutiens chez des  catholiques de gauche est sans doute à mettre au compte des  ruses du Malin.

On objecte enfin qu’une dévaluation, en haussant le prix des importations, va réduire le niveau de vie, surtout celui des plus faibles etc. Sans doute,  mais ce n’est là que prendre acte du fait qu’un pays vivait au-dessus de ses moyens. C’est surtout donner toutes ses chances à un redémarrage. La différence entre la rigueur résultant mécaniquement ou accompagnant  une  dévaluation et celle qui est imposée sans dévaluation est que la première, rétablissant la compétitivité, laisse l’espoir d’un redressement rapide alors que la seconde ne laisse aucun espoir sinon l’exigence de toujours plus de rigueur et à terme la spirale de la récession.

On peut en dire autant des pays dont la dette extérieure se réévalue mécaniquement en cas de dévaluation : le meilleur moyen d’empêcher un pays de la rembourser est de le priver, par une monnaie surévaluée, de recettes d’exportation. Et si cette dette est vraiment trop lourde, les mécanismes de rééchelonnement, voire de remise des dettes devront fatalement être mis en œuvre, avec ou sans changement de parité.  

La vérité est que, contrairement à ce que prétendent  nos nouveaux sophistes,  un changement de parité monétaire contribue toujours à rétablir l’équilibre des comptes extérieurs : la réévaluation corrige les excédents, la dévaluation corrige les déficits. Ne font exception que les pays en situation d’inflation galopante, comme on en vit en Amérique latine, quand la hausse des prix intérieurs va plus vite que les changements de parité.

 Depuis un siècle, les changements de parité se passent toujours selon le même scénario : on les présente d’abord comme une catastrophe, on s’efforce de les retarder par différentes  raisons, on prétend qu’on peut s’en sortir sans  cela,  et  on finit toujours par s’y résoudre.  On découvre alors que ce n’était pas la mer à boire et que les effets positifs sont  très rapides.  Dévaluations retardées : la France des années vingt qui attendit jusqu’à 1926 pour tirer toutes les conséquences  du coût de la première guerre, l’Allemagne de 1930 qui, en voulant à tout prix sauver la valeur du mark, enfonça le pays dans la crise, ce qui  amena Hitler au pouvoir ; la France de 1934 qui s’enfonça dans l’impasse de la déflation  jusqu’au Front populaire. Les pays anglo-saxons, plus pragmatiques et sachant, eux, l’économie, surent réagir au contraire à la  grande crise en dévaluant. Réticences plus récentes à la dévaluation : l’Angleterre de l’après-guerre  corsetée par les balances sterling et condamnée à la stagnation (le fameux  stop and go)  pendant que les autres pays connaissaient les Trente glorieuses , le Portugal de Salazar qui , en  maintenant longtemps un escudo  surévalué , ruina son pays,  la France de 1968 qui dut attendre le départ du général de Gaulle lequel ne voulait pas perdre la face en dévaluant, pour se résoudre à tirer les conséquences monétaires des événements de mai . Le franc CFA surévalué (pour le plus grand bénéfice des dirigeants  et de leurs épouses faisant leurs emplettes rue du Faubourg saint Honoré) plongea dans la langueur les économies de la zone franc jusqu’à ce qu’on se résolve à le dévaluer en 1993. Le FMI imposa longtemps à l’Argentine un taux de change absurde de 1 peso = 1 dollar. La crise qui s’en suivit fit des dégâts considérables, notamment de nombreux chômeurs qui se suicidèrent ! Cela jusqu’à ce que l’Argentine se décide en 2002 à sortir de ce carcan absurde.  Chaque fois en effet, les dévaluations ont eu l’effet que les vrais experts attendaient ;  en France,    celles de 1958 et de 1969 furent un stimulant puissant de l’activité : les cinq années Pompidou demeurent  comme celles des plus forts taux de croissance que la France ait connus. Plus près de nous, on citera le cas de l’Angleterre de Margaret Thatcher (en régime de changes flottants, il n’y eut pas de décision formelle de dévaluer mais,  beaucoup plus que sa politique libérale, le glissement de la livre rendit son tonus au pays) ; les dévaluations du   franc CFA et  du peso argentin,  eurent le même effet.  

Qui peut aujourd’hui, au vu de ces si nombreux précédents, croire sérieusement que la Grèce pourra surmonter  ses difficultés sans sortir de l’euro et dévaluer sa nouvelle monnaie ?

L’économie est sans doute la plus assurée des sciences humaines mais elle ne  l’est pas encore assez pour que les sophistes qui la parasitent soient d’emblée disqualifiés. C’est la raison pour laquelle, il convient, si l’on veut éviter  toute errance, de s’en tenir aux fondamentaux.

 

Roland HUREAUX *

 

·       Auteur de La grande démolition – La France cassée par les réfo  Buchet-Chastel, janvier 2012

 

 

 

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 21:43
Le président Obama a tenu son pari : à la fin de 2011, tous les soldats américains ont quitté l’Irak. Au moins en principe : restent 6000 « consultants de sécurité », à statut privé mais  vétérans de l’U.S.Army ; restent surtout  50 000 hommes stationnés au Koweït  et prêts à revenir si  besoin était.
Quel est le bilan de cette opération commencée en 1983 par le renversement de Saddam Hussein ? Du côté américain, 5000 morts et un nombre tenu secret de mutilés ; côté irakien, au moins un million, peut-être beaucoup plus. Un coût total estimé par Joseph Stilgitz à 2 267 milliards de $ , soit plus que la guerre du Vietnam.
Tout cela pour quoi en définitive ?
Pour écarter une menace régionale ? Mais on sait maintenant qu’il n’y avait aucune arme de destruction massive, ni aucun programme pour en construire en Irak, que Saddam Hussein n’entretenait aucune relation avec Al Qaida. Certes, le dictateur irakien avait    à deux reprises   attaqué un de ses voisins : l’Iran en 1980, mais c’était  avec l’appui de tous les pays occidentaux, le Koweït en 1990, mais c’était, semble-t-il, avec le feu vert du gouvernement américain qui lui avait peut-être tendu un piège.
Pour contrôler le pays ? Certes, les Etats-Unis se sont adjugé l’essentiel des ressources pétrolières et leurs entreprises, notamment  Haliburton, proche du vice-président  Dick Cheney,  la quasi-totalité des marchés de reconstruction. L’Angleterre de Tony Blair, si coopérative dans l’opération, n’a  eu droit qu’  à des miettes. Mais l’Irak  continue d’être livré à la guerre civile. Le gouvernement central contrôle tout juste le centre de la capitale. On ne saurait comprendre cet aboutissement  qu’à partir d’une supposée « stratégie du chaos » que l’on prête à ceux qui décident de la politique étrangère américaine. Stratégie désastreuse pour la minorité chrétienne,  obligée de fuir, mais qui n’ira pas jusqu’ à l’éclatement du pays car, à cause du Kurdistan,  cela déstabiliserait gravement la Turquie, allié choyé. Mais les maladresses insignes du premier gouverneur américain Paul Brenner qui licencia les soldats de Saddam en leur laissant emporter leurs armes furent-elles vraiment volontaires ?
En définitive le principal résultat atteint a été le transfert du pouvoir de la minorité sunnite qui dirigeait le pays depuis des siècles vers  la majorité chiite. Résultat d’autant plus paradoxal que  le principal ennemi  des  Etats-Unis et d’Israël dans la région est l’Iran, puissance chiite voisine de l’Irak.
Certes les partisans les plus résolus de l’Iran, comme les disciples de l’  iman Moqtada al-Sadr ne sont pas au pouvoir ; certes les Irakiens sont   arabes, les Iraniens  indo-européens, mais les lieux saints du chiisme sont en Irak.  Le premier ministre chiite d’Irak Nouri al-Maliki  a-t-il pris ses distances par rapport à ses coreligionnaires du pays voisin ? On peut en douter au vu du soutien discret qu’il apporte au régime Assad en Syrie, allié de l’Iran.
Le principal effet de cette guerre désastreuse aura donc été de renforcer le bloc chiite dans la région. En bref, aucun danger véritable n’a été écarté et ce qui était  tenu, à tort ou à raison, pour le danger principal, la montée en puissance de l’Iran,  s’est trouvée renforcé. A peine les soldats américains retirés,   Nouri al Maliki demande  la centralisation de l’Irak et donc la concentration du pouvoir entre les mains des Arabes chiites au détriment des Sunnites et des Kurdes, sunnites aussi mais pas arabes  et qui vivent depuis 1983 dans une  autonomie de fait.  
La leçon de ces événements est que les grandes puissances peuvent être redoutablement efficaces  pour atteindre leurs objectifs : des années d’attrition de l’Etat irakien par le biais des sanctions de l’ONU, une désinformation qui a réussi à faire croire à une partie du monde que l’Irak était au bord de la capacité atomique, une large coalition pour asseoir la légitimité internationale de l’opération, des moyens considérables pour envahir le pays et renverser le gouvernement baasiste. Sur le plan technique, chapeau.
Mais si la puissance peut être redoutablement efficace pour atteindre les objectifs visés,   ces  objectifs  étaient-ils   raisonnables ?  La puissance ne donne pas  toujours à ceux qui en disposent une claire conscience de  leurs  vrais  intérêts. Si toute cette force a été déployée pour étendre à l’ouest l’influence de l’Iran, n’est-on pas en droit de penser qu’il y a non seulement une raison mais aussi une déraison du plus fort ?  
La même déraison n’est-elle pas à l’œuvre dans la tentative en cours de déstabilisation de l’autre Etat baasiste de la région,  la Syrie. La technique est la même qu’en Irak : diabolisation médiatique au nom des droits de l’homme (toujours à géométrie variable), sanctions épuisantes, recherche d’alliances régionales en attendant le coup de boutoir final. Dans  l’intérêt de qui ? D’abord de la Turquie qui est aujourd’hui en première ligne de cette déstabilisation. Une Turquie en pleine montée géopolitique, qui   rêve  de retrouver son influence du temps de l’Empire,   d’abord dans son  voisinage proche, hier le Kosovo, aujourd’hui  la Syrie  et peut-être demain  Jérusalem et les autres lieux-saints de l’Islam.  Certains israéliens ont pris conscience du risque.  Mais les Américains  et les Européens qui leur emboitent le  pas, notamment le gouvernement français, eux,  ne semblent pas avoir  de doutes sur l’utilité d’une subversion de la  Syrie.
On se prend  à penser que si les puissants de ce monde avaient une juste  conscience de leurs intérêts,  si la puissance n’amenait pas avec elle la déraison, nous vivrions encore dans un monde  plus  sûr…  
Roland HUREAUX*

 

 

·         Auteur de La grande démolitionLa France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, janvier 2012

 

 

 

 

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 21:41

 

 

Ce n’est pas seulement la France qui a vu sa note dégradée par l’illustre agence Standard & Poors, c’est la majorité des pays de la zone euro ( seules exceptions : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande  et le Luxembourg). Les deux tiers de la zone euro sont ainsi assimilés à  des débiteurs qui ne représentent pas une fiabilité totale.

Le paradoxe est que la zone euro n’avait pas été seulement conçue, à l’origine, comme une simple  mise en commun des forces et des faiblesses des pays membres,  mais aussi  comme un projet de « vertu » collective  rompant avec des habitudes séculaires jugées  néfastes, d’inflation,  de déficits, d’endettement public.  Une compagnie de buveurs s’était juré de ne plus toucher à la dive bouteille !  Influence l’école autrichienne  pour qui l’inflation est le mal suprême, de l’idéalisme des élites françaises ou  plus encore des exigences de l’Allemagne dont l’  horreur  de l’inflation, depuis le traumatisme de 1923,   est devenue congénitale ? Tous ces facteurs ont joué.  Mais dès lors que le projet d’une monnaie unique européenne s’inscrivait plus largement dans celui de la « construction européenne », dans le  dessein prométhéen de refaire l’histoire, de dépasser  une fois pour toutes les rivalités nationales qui ont marqué le passé, il était logique que , en matière économique  aussi, il ait présenté  cet aspect utopique de refondation du monde , d’instauration de ce que Philippe Muray appelle l’ « empire du bien »,  le bien étant en l’espèce l’inflation zéro et le déficit zéro.

C’est dire que la décision de l’agence de notation fait tomber de haut les promoteurs du projet.

Très justement, elle explique qu’aucune des décisions prises par le tandem Merkel-Sarkozy au cours des derniers mois, focalisées sur les dettes dites « souveraines »,  ne traite  le vice de fond de l’édifice : le différentiel des taux d’inflation qui éloigne  de manière irréversible les pays les uns des autres et aggrave chaque jour   les déséquilibres entre eux.

En recherchant la vertu,  l’euro a encouragé le vice. De quelle manière ? En supprimant le frein qui, dans tous les pays,  dissuadait de laisser filer les prix ou d’exagérer les déficits publics : la crainte d’une dévaluation de la monnaie nationale par les marchés (ou d’une attaque spéculative en situation de change fixe). Un risque que, selon le tempérament national certains  acceptaient plus que d’autres,  mais dans certaines limites . Comme l’avait dès le départ prévu l’illustre chroniquer du Monde, Paul Fabra, l’euro, que l’on tient à tort pour un projet libéral  a voulu, en cette matière, substituer l’autodiscipline (voire un hypothétique contrôle politique) à la contrainte du marché. L’échec était prévisible.

Même un pays comme l’Allemagne que l’on a toujours posé comme un modèle de vertu s’est laissé aller au dévergondage : n’oublions pas que , même si sa note  n’a pas été à ce jour  dégradée, elle a la dette publique, en valeur absolue,  la plus lourde de la zone euro ! A tout le moins a-t-elle contenu ses prix et surtout ses salaires. C’est ce que n’ont pas fait les pays latins , plus flexibles, dans des proportions variables , sur cette matière.

On voit le résultat. Plus que jamais l’aventure de l’euro illustre cette    constante de toute démarche utopique : « qui veut faire l’ange fait la bête ».

 

Roland HUREAUX*

 

 

·        Auteur de La grande démolition – La France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, janvier 2012

 

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 21:38

Compte rendu du livre de Roland HUREAUX

 La grande démolition 

 La France cassée par les réformes

  Buchet-Chastel - Janvier 2012

 

Au départ de ce livre, la grande  souffrance du peuple français, qui n’est pas chose nouvelle  mais qui prend un relief particulier à l’approche d’échéances électorales importantes.

Cette  souffrance ne se résume pas aux motifs officiels,  les seuls  reconnus  par la bien-pensance: le chômage, la précarité, les discriminations.

Elle est la souffrance méconnue du fonctionnaire qui demande une  retraite anticipée  parce qu’il est dégoûté de ce qu’est devenue son administration, celle du professeur d’histoire révulsé par l’appauvrissement   des programmes et de la culture générale de ses  élèves,  celle de l’ institutrice exaspérée par les circulaires contradictoires, de l’agent public témoin d’immenses gaspillages, souvent au nom de la modernisation,  par exemple en matière de communication,  celle des centaines d’agriculteurs qui se suicident , découragés alors même qu’ils auront été toute leur vie les  élèves modèles  de la  modernisation promue par  les officiels, celle des gendarmes ou des policiers qui ont le sentiment de vivre dans un monde déréglé où le fond des choses ne compte pas, mais seulement le  chiffre, celle des témoins de décisions judiciaires incompréhensibles, sans compter les victimes auxquelles la police a peur de venir en aide etc.  

On a assez parlé du décalage croissant entre les élites et le peuple, du mur d’incompréhension qui les sépare. Au  cours d’une récente campagne, l’auteur qui ne se contente pas d’écrire mais, à l’occasion,  descend dans l’arène électorale,   releva  l’unanimité  des élus de terrain, de droite ou de gauche,  sur à peu près tous  les sujets (discipline  à l’école, pédagogie, politique agricole, surenchère normative,  politique migratoire, réforme des collectivités locales, service publics…) sur des positions qui étaient, point  par point,  l’inverse de celles de  l’élite dirigeante , de droite ou de gauche.  Cette élite : pas seulement les trop dénigrés technocrates, ou les politiques, souvent plus  conscients qu’on ne le croit de ce  déphasage, mais,  au-delà, les figures de l’oligarchie qui conseillent la droite et la gauche , les grands prêtres de la pensée unique, en matière de réforme de l’Etat, de méthodes pédagogiques,  de politique économique  etc.

Mais en cette matière grave,  il faut aller au –delà du constat répétitif, il faut expliquer. Car la souffrance dont nous parlons  se trouve redoublée  du fait que les gens ne comprennent pas ce qui leur arrive. Les pénuries de la Libération, en matière de produits alimentaires, de logement, d’essence,  étaient  dures à vivre mais faciles à comprendre : les gens en savaient peu ou prou les raisons  même si beaucoup étaient tentés de les mettre sur le compte  du capitalisme  plutôt que du retard technique. Aujourd’hui, comment le nier ?  les gens vivent beaucoup mieux (tout en étant très inquiets que cela ne dure pas), mais ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, ce qui arrive au pays. Dans beaucoup de domaines (éducation nationale, organisation  administrative etc.), ils éprouvent le même  sentiment d’absurdité que ressentaient les citoyens soviétiques devant une organisation profondément désordonnée, un discours officiel mensonger , un gaspillage considérable de ressources dont personne  ne profitait vraiment,  bref devant l’irrationnel.

C’est  pourquoi  l’auteur  a voulu  aller plus loin que le discours habituel sur les désordres administratifs. Si son expérience électorale lui a permis  de percevoir le malaise, son expérience de haut fonctionnaire, largement  transversale   (  préfectorale, DATAR,  cabinets,   université, Cour des comptes etc.) lui permet  de proposer  des clefs d’explication et c’est cela   qui fait l’originalité de cet ouvrage.  Un ouvrage qui est bien plus qu’ un pamphlet   contre la politique sarkoziste ,  d’ailleurs souvent inspirée, comme le relève l’auteur,  par des idées mises à la mode par la  gauche : le tableau de la page 250 qui montre que   presque toutes les réformes du quinquennat ont un  inspirateur  de  gauche est saisissant . 

Face  à  cette politique,  les uns, surtout dans l’opposition,  fustigent tout simplement l’exercice du pouvoir par une droite libérale et   sans complexe (alors quelle n’est que faussement libérale), d’autres déplorent, comme Villepin ou Bayrou,  la « remise en cause des valeurs républicaines » ou  la destruction  de l’héritage gaulliste dans ses fondements essentiels : la constitution, la politique d’indépendance nationale.  

Or ces procès, l’auteur les juge superficiels ; il veut aller plus loin. Ce qui est en cause dans la politique  de réformes brouillonnes menée depuis  quelques années,  ce n’est pas seulement l’héritage de la Ve République, ni la République tout court, « c’est l’Etat de Philippe le bel, de Richelieu, de Napoléon et de Clémenceau qui se trouve miné dans ses profondeurs », ce qui ne l’empêche pas de continuer à grossir : « comme une femme délaissée et dépressive, l’Etat fait de  la mauvaise graisse ». Mais au-delà de l’Etat,  sont mis en cause  tout un ensemble de repères qui structurent la vie publique : corps constitués, traditions, statuts, école, commune, ou privée : repères chronologies et culturels, différence des sexes, famille, orthographe, repos du dimanche etc.

Est-il nécessaire de dire que, loin d’adapter la France à la mondialisation, comme on le prétend, cette politique brouillonne et destructrice la prive de ses meilleurs atouts ?

Sarkozy partage avec ses adversaires de gauche l’idée qu’il représente la « droite libérale-sécuritaire », c'est-à-dire réduite à sa plus simple expression,  ayant  délaissé, modernité oblige, la patrie, la morale, la tradition. Mais les réformes qui s’inspirent de ces deux principes ,  la libéralisation de l’économie   et la sécurité,  sont largement  d’apparence.  Libéralisme ? Trente et un  impôts nouveaux   et des dépenses publiques record !  Sécurité, contrôle de l’immigration ?  Une  relance de l’immigration pour complaire au patronat, sous le nom   d’ « immigration choisie ». 

Non, les réformes qui comptent ne sont  pas   celles qui relèvent  du  « théâtre libéral-sécuritaire »,  seulement crédibilisées par les criailleries  de l’opposition.  Par delà ces réformes en trompe l’œil,  d’autres, plus importantes car plus destructrices,  sont à l’œuvre. Trois secteurs sont étudiés plus particulièrement dans cet ouvrage :   l’Etat,  les collectivités locales, l’éducation nationale.

Les lignes directrices qui, dans ces domaines,   inspirent les réformes sont  assez claires : le transfert, jusqu’à la singerie mimétique, des méthodes du secteur public dans le secteur privé,  l’imitation des modèles étrangers, supposés a priori meilleurs  et surtout  le refus de la complexité, l’esprit de simplification qui s’exprime autant dans le collège unique  ( remis en cause par Villepin, rétabli par Sarkozy !), que dans le regroupement systématique des administrations  ou des communes ( toujours générateur , curieusement, de coûts supplémentaires !), la réduction de toutes les activités à des indicateurs chiffrés   qui fait  ressembler  la sphère publique,  non pas au secteur privé, car le seul indicateur chiffré qui vaille en économie libérale , c’est le profit et il n’existe pas dans les  administrations, mais au Gosplan  soviétique où fleurissaient les statistiques biaisées ou mensongères.

Sur tous ces sujets, le gouvernement  Sarkozy n’a pas  innové.  Voulant montrer son dynamisme, il a demandé aux services    des idées de réformes  et ceux-ci ont fourni celles qu’ils avaient en magasin : rien d’autre que la continuation de celles  que, chacun en fonction de sa culture, poursuivait depuis vingt ou trente ans et qui étaient précisément la cause des dysfonctionnements  dont  les Français se plaignent !  Cette mécanique perverse  explique que  la plupart des réformes aggravent aujourd’hui les problèmes au lieu de les résoudre. Pour  qu’il en aille différemment, il faudrait un échelon politique intellectuellement  émancipé de l’ administration .  Or le gouvernement  Sarkozy, malgré son  mépris des énarques, est le plus « techno-dépendant » qu’il y ait eu, celui qui a apporté le moins de valeur ajoutée aux propositions  de la technocratie.

La technocratie n’est au demeurant pas le principale  responsable de ces dérives. Derrière la mauvaise inspiration de tant de réformes que la population  ne comprend pas, il y la diffusion sournoise dans la plus grande partie de nos élites d’un mode de pensée idéologique : une idéologie non systématique, en pièces détachées,  dit l’auteur, mais plus virulente  que jamais, « démontée » aux deux sens du terme. L’idéologie ? Le virus dans le logiciel de la décision. Le refus de la complexité, la simplification abusive des problèmes : le raisonnement simpliste « qui déduit tout d’une seule prémisse » (Hannah Arendt). Malgré la mort des idéologies totalitaires, cet esprit de  simplification et  de système  continue ses ravages à peu près dans tous les domaines de l’action publique. Fausse science  (de la pédagogie ou  de l’organisation par exemple), il  a l’effet de toutes  les idéologies : des résultats toujours contraires  aux buts poursuivis. C’est ainsi que le  chapitre intitulé « l’idéologie libérale contre  le libéralisme », que l’on aurait intérêt à lire avec soin dans  tous les think tanks libéraux, montre comment, ce sont des réformes  d’inspiration  libérale, mais mal conçues, superficielles et donc contre-productives, la décentralisation étant un cas emblématique mais pas isolé, qui sont  largement responsables de la dérive des dépenses publiques !

L’originalité de ce livre est de se situer à contre-courant de la doxa en matière de politiques publiques. Là   où la pensée dominante dit : «  Le malaise français vient de l’incapacité de ce vieux pays à se  réformer ;  pour avancer,  il faut encore et toujours plus de réformes », il est dit au contraire  que « L’origine du  malaise français, ce sont des centaines de  réformes mal conçues, mal étudiées,   brouillonnes et surtout inspirées  par une approche idéologique – et donc fausse  des problèmes. » L’auteur   oppose le vrai politique,  pragmatique,     qui  fait dès réformes seulement là où il y a des problèmes et en vue de  les résoudre, et les  idéologues,  grands et petits, qui  réforment ce qui va bien ( par exemple la structure communale),  créant des problèmes là où il n’y en avait pas   et  ne touchent pas aux vrais sujets , par exemple la désindustrialisation.

Toujours soucieux d’aller à la source du malaise,   l’auteur quitte le champ  de l’analyse politico-administrative pour faire  une incursion dans celui de   la philosophie. Cette volonté  systématique de détruire les héritages et les repères  rappelle  Karl Marx pour qui le capitalisme était plus révolutionnaire – et donc plus destructeur -  que tous les régimes qui l’avaient  précédé,  mais aussi Guy Debord, selon qui    « La société du spectacle dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière».  A  côté de Debord le marxiste, Muray le chrétien dit-il  autre chose ?

Le chapitre final  « Et maintenant que faire ? », propose  un retour au conservatisme libéral qui avait fait la grandeur du second  XIXe siècle :     peu de réformes,  concentrées   sur les problèmes essentiels, et n’étant engagées   d’ailleurs qu’après qu’on se soit  assuré qu’elles vont  vraiment améliorer les choses.  Primum non nocere, dit Hippocrate. Ce conservatisme libéral – mais aussi  social -  a pour  références  Burke et Chateaubriand  (et bien entendu de Gaulle),   plutôt  que les adeptes frénétiques d’un ultralibéralisme devenu  aussi idéologique que le marxisme auquel il prétend  s’opposer.  Craignant d’abord que la présidentielle prochaine ne suscite une course aux idées  de  nouvelles réformes,  toujours plus destructrices, l’auteur  termine par une proposition provocatrice : pour que la France aille vraiment mieux,  il faut commencer par abolir (presque) toutes les  réformes accomplies depuis vingt ans.

 

Roland HUREAUX

 

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12 janvier 2012 4 12 /01 /janvier /2012 10:03

Article publié dans Marianne2

 

Même si la loi  n°73-7 du 3 janvier 1973,    interdisant  à l’Etat d’emprunter  à taux zéro à la Banque de France, a sa part de responsabilité dans l’explosion récente des déficits publics, il est sans doute exagéré d’y voir l’effet d’ un obscur complot bancaire  tendant à  permettre aux banques de s’enrichir sur le dos de l’Etat, à  fortiori de parler de « loi Rothschild ».

Je ne suis pas dans tous les secrets de ceux qui  ont concocté ce texte   mais je me souviens de ce qu’en disait André de Lattre, alors gouverneur de la Banque de France, dans son cours de politique économique à Sciences Po, le plus suivi de tous car il permettait de se tenir au courant des dernières tendances de l’actualité.

Rappelons-nous d’abord que cette loi, comme beaucoup de mauvaises lois, par exemple la loi organique sur les lois des finances, dite LOLF, du 1er août 2001, ne fut pas contestée par l’opposition.  S’il n’y eut pas de débat, c’est que son contenu  passait pour évident  tant  il était dans l’air du temps.  

Il  n’était pas non plus prévu qu’ elle profitât  aux banques puisque  elle devait accompagner le fin des déficits publics et donc des emprunts d’Etat de quelque nature qu’ils soient. La mode  était déjà à la « règle d’or » : la reconstruction étant  terminée, le retour à la vertu s’imposait.  Et de fait,  au cours des années soixante-dix, le déficit public demeura modéré. S’il  réapparut  peu de temps après, en 1974, ce ne fut pas fut à cause de la loi, mais du premier choc pétrolier. En outre les grandes banques de dépôt étaient nationalisées ; si on y ajoute le secteur coopératif (Crédit agricole, banques populaires etc.), le secteur bancaire privé ne pesait pas alors autant qu’aujourd’hui.   Dans les années quatre-vingt, la dette publique enfla mais alors, c’est tout le secteur bancaire qui était nationalisé.   Il n’était donc pas question d’exploiter  l’Etat.

C’est seulement  à partir des années quatre-vingt-dix que le problème se posa réellement car elles  virent   à la fois la privatisation de tout le   système bancaire et l’expansion des déficits publics.

Pourquoi la décision de 1973 a-t-elle paru évidente aux gouvernants d’alors ? Pour des raisons idéologiques. Il se répétait depuis des années dans les cours d’économie de la  rue Saint-Guillaume  que le système français de contrôle du  crédit, fondé sur le réescompte des effets de commerce à la Banque de France, l’Etat fixant  taux d’escompte,  était archaïque. Le modèle révéré par tous était l’ « open market » pratiqué aux Etats-Unis : dans ce système,  la régulation monétaire se faisait par achat et vente d’effets publics aux banques. Le grand manuel d’économie de Paul Samuelson, traduit de l’anglais, n’en connaissait pas d’autre.  La Federal reserve bank  (« Fed »)  en vendait   des  bons du Trésor si le gouvernement   voulait réduire la masse monétaire,   en achetait s’il voulait la gonfler.  Les années qui avaient précédé la réforme de 1973  avaient vu la progressive « modernisation » du système français, passant du taux d’escompte au taux de réserves obligatoires ( et s’il y avait surchauffe,  à l’encadrement du crédit) ;   la transposition complète du système américain effectuée en 1973 ne fut que l’aboutissement d’une évolution.

Le paradoxe est qu’aujourd’hui la situation est inversée : la Banque fédérale américaine prête directement au Trésor alors que  cette pratique est interdite dans le traité de Maastricht, même si, en violation du traité, on  s’est mis  à  le faire pour sauver l’euro.

Mais le vieux fantasme selon lequel ce qui se fait en Amérique est a priori plus moderne, qui inspire tant de nos réformes,  jouait déjà  à plein.

L’autre argument était que,  pour  assurer le respect de l’équilibre budgétaire, il fallait ôter à l’Etat la facilité que constituaient les avances à taux zéro de la Banque de France. S’il ne  pouvait plus  faire marcher la planche à billets, l’Etat deviendrait raisonnable. On sait aujourd’hui ce que vaut cet argument : le verrouillage de la planche à billets n’a pas, au cours des vingt dernières années, empêché les déficits d’exploser  en France comme partout en Europe. La loi de 1973 instaurait donc  une  fausse sécurité.

Un dernier argument, moins explicite mais plus pernicieux sur le plan idéologique : l’Etat ne devait plus être un acteur privilégié du jeu économique  mais  un emprunteur comme les autres : il fallait que, comme tout le monde,  s’il avait besoin d’argent,  il aille voir un  banquier.  Le prestige de l’Etat gaulliste était encore là,  on n’en était pas encore aux dérèglements actuels, marqués par une volonté systématique d’abaisser l’Etat, mais   cette tendance néanmoins s’esquissait. L’Etat régalien, disait-on,  devait perdre peu à peu ses privilèges d’un autre âge,  y compris le droit  immémorial de battre monnaie dont il avait tant abusé.

Que les conséquences de cette loi, en particulier l’accumulation  des considérables déficits actuels, aient été catastrophiques,  que le système bancaire ait, dans la dernière période, tiré un avantage exorbitant de cette situation, sans doute, qu’il faille abroger cette loi,  certainement, mais n’imaginons pas, derrière, un sombre complot . Comme très souvent, les mauvaises décisions apparaissent, sur le moment, tellement  évidentes  qu’elles  ne sont même pas matière à débat.

Roland HUREAUX

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