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Roland HUREAUX

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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 16:54

Article paru dans Marianne 2

 

Ainsi ne restent en course, après l’affaire Strauss-Kahn, pour l’investiture  socialiste,  que François Hollande, Martine Aubry et Ségolène Royal.

A-t-on remarqué,  non seulement qu’il s’agit de trois   anciens élèves de l’ENA ?      

 On ajoutera qu’ils proviennent   du concours étudiant et cela par la filière la moins originale : droit (ou économie)  et Sciences po.  François Hollande a fait aussi HEC qui n’est pas non plus  une école d’originalité.

Comment ne pas évoquer  à leur sujet  ce que dit Emmanuel Todd: «  Le conformisme des hauts fonctionnaires socialistes est, statistiquement, supérieur à celui de leurs homologues UMP. Les énarques de droite trouvent souvent dans leurs valeurs de départ – la religion, l’argent, De Gaulle – un contrepoids à leur formation. Les énarques de gauche sont le plus souvent des méritocrates purs sans autre Dieu que l’Etat. Très bien formés à contrôler l’administration, ils sont encore moins bien armés pour penser tout  seuls. Cette simplicité étatiste de leur formation initiale explique peut-être, lorsqu’ils tentent de s’en libérer, la brutalité enfantine de leur engagement néolibéral. »[1]

Il est vrai que la présidence Sarkozy a montré comment  le mépris de l’ENA, voire des diplômes en général,  conduisait une  classe politique de moins en moins compétente  à avaliser,  avec encore moins d’esprit  critique et de recul que les énarques eux-mêmes,  toutes les propositions de la technocratie, y compris les plus néfastes.

Il n’en sera pas moins difficile au candidat qui émergera de la primaire de susciter l’enthousiasme et l’espérance nécessaires en cette situation de cirse.  Des trois, François Hollande est sans doute le plus brillant, sans que cette qualité lui donne toutefois les moyens d’enflammer  les grands rassemblements populaires : n’est pas Jaurès qui veut !  Ségolène Royal est la plus colorée, peut-être la plus émancipée intellectuellement de son conditionnement initial. Elle a aussi la qualité, essentielle dans  cet exercice, de vouloir le plus fort accéder au premier rang, mais elle se trouve,   pour le moment, marginalisée.

Dans un deuxième tour face à   Sarkozy, chacun des trois sera  confronté à un rival battant, pugnace et, comme Chirac, meilleur en campagne électorale qu’aux affaires.

Mais ce face à face aura-t-il lieu ? Car l’  épisode Strauss-Kahn n’a en rien  réglé le principal problème de Sarkozy, qui est d’être au second tour et donc de passer devant Marine  Le Pen au  premier.

Il avait fait reculer le père en 2007 en empruntant  sa rhétorique.  Il risque d’être devancé par la fille  en 2012, cette rhétorique s’étant avérée purement verbale.

Si le candidat socialiste se trouve, comme c’est aujourd’hui le plus probable, confronté  au second tour à la candidate du Front national, il aura, quelles que soient ses limites,   la partie facile.

 

Roland HUREAUX

 



[1] Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard 2009.

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 06:38

 

 

Ne croirait-on pas que cette affaire sort tout droit  d’une  bande  dessinée de Lauzier, le persifleur  impitoyable de la  génération de mai 68 !

On aurait tort d’imaginer que le traumatisme profond éprouvé par le parti socialiste à la suite de l’affaire Staruss-Kahn tienne au seul fait d’avoir perdu son meilleur candidat à la  présidentielle.

D’ailleurs, beaucoup d’observateurs, y compris dans son camp, pensaient qu’il ne se présenterait  de   toutes les façons pas : déjà avant l’affaire de New York, la silhouette lasse et l’air blasé de l’ancien député de Sarcelles n’étaient pas  ceux  d’un candidat à la présidence.

Non le choc, pour une certaine gauche, est plus profond.

Dominique Strauss-Kahn était, après trente ans d’idéologie libéral-libertaire, la figure emblématique de ce qu’est devenue  la gauche soixante-huitarde, cela  au degré le plus accompli, à un niveau dont ses camarades rêvaient sans espérer jamais l’atteindre.

 Cet accomplissement : dans une société qui valorise l’absence de « complexes » (autre nom de l’antique scrupule ?),  il  avait dépassé depuis longtemps  ceux que pouvaient avoir les gens de droite par rapport au sexe (non que la droite soit plus vertueuse  sur ce chapitre ; elle est simplement  plus honteuse) et ceux que pouvaient avoir les gens de gauche vis  à vis de l’argent .

On ajoutera que,  par ses fonctions passées et récentes, Strauss-Kahn enlevait à la vieille gauche un autre de ses   complexes ; celui de ne pas être  compétente en économie. Qu’importe que l’ancien président du FMI  n’ait rien prévu de la crise : il était,  par son savoir  supposé,  le preuve vivante qu’on pouvait combiner ce que toute une  génération  de militants s’était  obstinée à chercher sans le trouver  : être de gauche et économiquement crédible, comme l’avait été en sont temps, croyait-on,  Mendès-France.

D’une certaine manière,  Dominique Strauss-Kahn incarnait pour  la génération post-soixante-huitarde, acquise à la morale  (ou   l’a-morale ? )  libertaire  et  convertie aux valeurs de l’argent, l’homme accompli, comme avait pu l’incarner pour les hommes de la Renaissance l’Hercule de   Michel Ange !

On ajoutera que cette gauche qui avait commencé par manifester contre l’impérialisme américain au Vietnam (nous ne savons pas si DSK l’a fait, mais qu’importe !  ) finit dans le culte de l’Amérique : dans la presse, le barreau, les hautes sphères de l’Etat , elle prêche depuis trente ans pour que la France « moisie » se modernise – entendez s’américanise : une revendication qui, il faut bien le dire, a largement déteint sur la droite. La découverte de l‘impitoyable système judiciaire américain – pour de vrai et non   dans une série policière – a dû, sur ce chapitre aussi, en refroidir quelques uns !  

 

Libéral et libertaire

 

Libéral et libertaire, Dominique Strauss-Kahn l’était plus que quiconque. De gauche, antiraciste, antisexiste, anti tout ce qui est mal aujourd’hui etc. , il présentait une figure  politiquement correcte sous tous  les rapports -  en  parfaite harmonie avec son actuelle épouse qui  avait été longtemps,  sur les écrans  français, la grande prêtresse de cette nouvelle orthodoxie.

Qui  a oublié le rire carnassier et la  morgue  hautaine  dont,  de la tribune de l’Assemblée, il accabla,  lors du débat sur le Pacs,   la pauvre Christine Boutin ?  L’homme  sans complexes face à la femme coincée, la souveraineté d’un expert international   face à la petite provinciale  à principes ! 

Se trouvant en même temps  à   la tête de la plus importante des institutions financières internationales – et, accessoirement, d’une  des grandes fortunes de France - , Dominique Strauss-Kahn n’était-il pas paré pour tous les triomphes : et pourquoi pas,   pensaient certains, pour la présidence de la République ? Même si on pouvait se douter que tant de succès feraient, problème judicaire ou pas, assez de jaloux pour être en fin de compte un point faible  électoral : quitte à être à contretemps  de l’opinion dominante,   nous ne  sommes pas loin de penser, en effet,  malgré les sondages, que Sarkozy a perdu son opposant le   plus  facile à battre !

Et patatras : voilà qu’ à Time square, la place la plus branchée du monde, tout s’effondre.

Nous parlions de mai 68 : je pense à   ce militant   trotskiste, activiste infatigable, mais pas autant que   son frère qui, sur tous les terrains,  le remplissait de complexes par ses surenchères , jusqu’au jour où le dit frère « disjoncta » et  se retrouva à l’asile. Le choc fut rude.

Il est rude  aussi aujourd’hui pour une certaine gauche, passée sans transition de l’internationalisme prolétarien au mondialisme économique et financier.

Pourra-t-on encore, après l’affaire  Strauss-Kahn, sur la culpabilité duquel nous ne nous prononçons évidemment pas,  proposer encore l’idéal de « jouir sans entraves » ? Ce n’est pas sûr.

L’esprit libertaire ainsi  remis en cause, le libéralisme économique (disons  l’ultra-libéralisme)  le sera-t-il à son tour  ?

Il aurait du l’être  à la suite de la crise de 2008. Or il  l’a été en définitive si peu. En attendant que le culte de l’argent, comme celui du sexe, aboutisse un  jour, lui aussi à Rikers Island. Mais ce n’est peut-être  pas  pour tout de suite !

 

 Roland HUREAUX

 

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 06:35

 

A la suite de la condamnation d'Eric Zemmour 

 

Il est difficile de comprendre le rétrécissement  de  la   liberté de penser et d’expression auquel nous assistons aujourd’hui, sous la forme de la pensée  unique, du « politiquement correct », sans se référer à la notion d’idéologie.

Face aux désastres totalitaires du XXe siècle, le communisme principalement,  et aussi le nazisme, nous pensions savoir ce qu’était l’idéologie.

Toute une  série de penseurs libéraux : Souvarine, Orwell, Arendt, Aron, Papaioannou, Besançon, Baechler,  Popper, Hayek etc. avaient analysé le fait idéologique dans sa version totalitaire,  à  l’origine des tyrannies et des crimes  que nous savons.

Retenons en deux définitions : « l’utopie (notion proche de l’idéologie) se caractérise par la volonté d’organiser les  activités sociales jusque dans leur détail   à partir d’un principe unique « (Jean Baechler) « les idéologies sont des ismes qui peuvent tout expliquer en le déduisant d’une seule prémisse » (Hannah Arendt). Ces prémisses : l’université de la lutte des classes, la suppression de la propriété privée et de la religion, le primat de la race etc.

Hannah Arendt  dit aussi que l’idéologie est la « logique d’une idée ». Le mot important, c’est « une ». Là où un esprit bien conformé analysera une partie   du réel en tentant d’y vérifier un ou deux hypothèses , et, une fois transplanté dans une autre partie du réel, refera l’opération avec des hypothèses différentes, l’idéologue, lui part d’une idée, parfois opérationnelle dans un segment limité de la réalité et encore pas toujours et, une fois transplanté ailleurs, ne regarde plus la réalité : il continue de  lui appliquer l’idée unique  choisie  une fois pour toutes ou les déductions faites à partir de cette idée  unique.

Le savoir, comme l’action, ont certes besoin de principes simples ; mais il ne faut pas confondre la fausse science qui détermine ces principes a priori et la vraie qui les tire laborieusement du réel par une série d’essais et d’erreurs, considérant que toute généralisation n’est pas a priori opérationnelle, seulement celle que l’expérience vérifie. Et encore avons-nous le cas de la théorie quantique qui explique tout ce qui se passe au niveau des particules élémentaires, mais sans jamais se réduire à des principes simples aisément formulables.

Nous avons longtemps pensé que les régimes libéraux qui luttèrent contre les utopies totalitaires  étaient, eux, exempts de cette folie de la simplification, qu’ils faisaient  droit, au contraire, à la politique empirique, à la nature,  à la complexité du monde et donc à la liberté.

L’emprise qui  est exercée de plus en plus au sein de la sphère dite libérale par la pensée « politiquement correcte » amène à considérer qu’elle aussi pourrait être tombée dans l’ornière idéologique  qu’elle se targuait  d’éviter. De fait,  une série de prémisses simples dictent aujourd’hui l’essentiel  de la politique au niveau international, européen et national : la liberté du commerce tenue pour un absolu, la suprématie du marché, l’idéal de la concurrence pure et parfaite,  la péremption du fait national conçu comme une menace totalitaire (cette péremption ne valant que pour l’Europe de l’Ouest) etc.

Du fait que cette idéologie ne pratique pas l’emprisonnement arbitraire (sauf à Guantanamo), ne fait pas de camps de concentration, ne pratique pas la terreur de masse, il faut la considérer comme  différente des idéologies totalitaires. Si l’on assimile l’idéologie à une forme de folie, il ne s’agit plus de folie furieuse, seulement de folie douce (disons relativement douce puisque il lui arrive de plus en plus  de trainer en justice des citoyens en raison de leur seule opinion).  L’idéologie douce qui nous submerge peu à peu    exerce son empire  de  manière plus sournoise mais  non moins  efficace que l’idéologie totalitaire : ceux qui lui résistent  sont menacés de marginalisation, de diabolisation ; tels les partisans de la nation qui subsistent dans l’espace européen ou ceux qui clament leur refus de l’islamisation de  l’Europe. A la pression violente, s’est substituée la pression  indolore.  C’est donc  à une toute autre sorte de régime idéologique que nous avons affaire mais la plupart des  traits de l’idéologie  n’en sont pas moins présents dans  cette nouvelle forme de normalisation de la pensée.

Le point de départ est le même : la simplification, le fait de reconstruire toute une politique sur des principes généraux tenus pour des absolus, tels ceux que nous venons d’évoquer.

Le point d’arrivée est dans les deux cas   l’intolérance et la contrainte qui s’exerce sur la pensée, même si elle n’use pas des mêmes méthodes et n’atteint pas le même degré.

Quel est le rapport entre le principe de l’idéologie, la simplification, et son effet,   l’intolérance ?

 

De la simplification à l’intolérance

 

Il est  loin d’être évident.  Seule une analyse approfondie du fait idéologique permet de comprendre ce lien.

En simplifiant la réalité politique par le recours à des principes simples, trop simples et donc faux,  la démarche idéologique ne trahit pas seulement  la complexité du réel, elle va à l’encontre de  toute une histoire antérieure qui prenait au contraire  en  compte  cette complexité.

En disant que la clef du progrès économique est  la généralisation du libre échange – telle est la doctrine officielle de l’Organisation Mondiale du Commerce  –, l’idéologie ne se contente pas   de simplifier une réalité où le libre échange est non pas  mauvais en soi (être aussi systématique relèverait aussi de l’idéologie !) – mais tantôt bon, tantôt mauvais. Elle tend à considérer tous ceux qui, dans le passé, ont fait une autre politique que celle du libre échange comme des barbares, des hommes dépassés. Plus l’idée qui inspire les politiques idéologiques est simpliste,   plus elle apparaît    en    rupture avec un passé de civilisation où était préservé  le sens de la complexité.

L’idéologie est ainsi non seulement un rapport au réel, extraordinairement biaisé puisqu’il tend à en ignorer la complexité, mais encore un rapport  au temps, désormais divisé entre l’avant – où l’humanité n’avait pas encore saisi l’idée géniale  et simplificatrice qui doit faire son bonheur -,  et l’avenir qui s’organisera  sur la  base de cette idée. Marx lui-même disait que la préhistoire de l’humanité ne cesserait qu’avec le socialisme.

Ce n’est pas seulement tel ou tel trait du passé qui se trouve ainsi disqualifié  dans le mode de pensée idéologique, mais le passé en général. A partir du moment où elle prétend organiser l’Europe en gommant le fait national, la démarche européenne, tend à considérer les siècles où les nations existaient comme des siècles barbares, où presque tout était mauvais : des siècles  de guerre, d’obscurantisme, de haine, marqués par la traite des noirs, le colonialisme, le racisme, l’intolérance  etc. C’est pourquoi la mémoire ou les racines – en particulier les racines chrétiennes – sont toujours disqualifiées pour l’idéologie puisque elles renvoient à une époque où la politique n’était pas encore animée par l’idée formidable qui désormais l’inspire : suppression de la propriété privée et de la religion pour le communisme, suppression des nations et universalité du marché pour l’idéologie moderne.

Il est probable que l’idéologue pressent  au fond de lui, même s’il ne veut pas se l'avouer ou l’avouer, que son idée est fausse, fausse parce que trop simple. Il a l’intuition que, à cause de cette fausseté, il  rencontrera  des oppositions de toutes sortes, en particulier dans cette partie de la population qui est moins sensible  à la logique des idées qu’est le peuple.

En même temps, il a le sentiment  de tenir une idée si neuve, si radicale qu’elle ne peut être que salvatrice, qu’elle doit  permettre à l’humanité de franchir une nouvelle tape.

Porteur d’une idée extraordinaire, salvatrice mais qui rencontre des résistances, qui ne « passe »  pas, l’idéologue sera nécessairement à cran. Et c’est ce qui le rend méchant : non seulement il n’a pas raison, mais il  le sent confusément.

La simplification  opère en tant que vision du réel, offrant  une vision du monde à bon marché qui permet de le réduire à quelque principe simple.

La simplification opère aussi en tant que doctrine du salut. Puisque elle est entièrement nouvelle, l’idée géniale qui inspire l'idéologie est nécessairement porteuse d'un immense progrès, d’une forme de rédemption de l’humanité, ce qui place l’enjeu du combat contre les adversaires tellement  haut qu’ils ne méritent aucune mansuétude.

La simplification répond ainsi  à un besoin ancestral : celui de distinguer facilement le bien et le mal, les bons et les méchants. Les bons seront ceux qui adoptent l’idée, les méchants ceux qui y résistent, autre forme de simplification,  et ils sont nombreux puisque cette idée viole la nature, ce que l'idéologue se refuse à reconnaitre mais qu’en son for intérieur, il sait.

Le clivage entre les bons et les mauvais ne résulte pas seulement des résistances à l’idéologie. Le plus souvent, il  est déterminé à l’avance par l’idéologie elle-même : dans le marxisme léninisme, les mauvais  sont d’emblée les bourgeois et fils de bourgeois, les prêtres, les  paysans,   même s’ils n’opposent aucune résistance au régime, dans le nazisme, ce sont les Juifs, même s’ils ne font rien de subversif.

Rapport au réel, rapport à l’histoire, rapport au salut, l’idéologie est aussi, la plupart du temps, porteuse d’une histoire mythique, également simplifiée. L’expérience de la Seconde guerre mondiale a laissé croire à une partie des élites européennes, persuadée à juste titre que la cause de la guerre était l’idéologie nazie, que le nazisme n’était qu’une forme exagérée du fascisme, ce qui était déjà en partie faux, que le fascisme était une forme exacerbée du nationalisme, le nationalisme, une hypertrophie de l’esprit national et donc du patriotisme.  C’est sur  ce raisonnement, dont à peut près tous les maillons sont contestables, qu’a été pourtant entreprise la construction européenne. Pour les porteurs de l’idéologie européiste, ou du mondialisme qui en est difficilement séparable,  ou encore des formes les plus frénétiques de  l’antiracisme, une fois qu’ils ont admis que la cause de toutes les guerres c’est la nation,   aimer sa patrie, un sentiment qui, dans toutes les civilisations est, ainsi que le rappelle Léo Strauss, le plus moral qui soit, c’est être nationaliste, donc fasciste, donc nazi, donc, en puissance,  kapo dans un camp de concentration. D’où la haine qui anime ces gens là   vis-à-vis de toute affirmation identitaire, pour timide quelle soit. Pour eux, elle ne saurait être que  la manifestation des forces du mal, forces d’autant plus puissantes que, fondées dans la nature,  elles  résistent de toute part à son Idée

Et c’est ainsi que l’idéologie, partie d’une opération intellectuelle de simplification, conduit à l’intolérance, au refus absolu du dialogue et à la haine.

Les porteurs de l’Idée trop simple qui va  bouleverser l’humanité ne se trouvent pas seulement en rupture avec le passé ; ils sont aussi  en rupture avec la majorité de leurs contemporains qui résistent à la puissance lumineuse de l’Idée.

Le principal motif de cette résistance tient au caractère artificiel de l’Idée : quoi qu'en pensent les idéologues, le sens de la propriété existe, le fait religieux existe, le marché existe, le fait national existe ; et ils résistent  sourdement à ceux qui voudraient les abolir.

Parmi ceux qui résistent plus particulièrement, les classes populaires  en tous temps et en tous lieux : elles résistent parce qu’elles  sont plus près des réalités, parce qu’elles  éprouvent moins le besoin d’une vision logique des choses ou de la politique. Même si, la propagande aidant, le peuple peut se laisser séduire un moment par l’idéologie, il s’en détache vite. La haine des idéologues pour le peuple, au nom de la lutte contre les « koulaks » ou contre le « populisme » est une constante de l’idéologie.

L’autre motif de résistance peut être à l’inverse  une grande culture  et donc la conscience d’une dimension historique qui interdit de dévaloriser sommairement le passé. Une   culture approfondie conduit à éprouver la complexité des choses et donc à se méfier d’une simplification exagérée du réel telle que l’opèrent les idéologues.

L’idéologie prospère, dit Jean Baechler, chez les demi-intellectuels, assez évolués pour   subir la séduction de la logique, mais pas  assez instruits  pour avoir développé le sens de la complexité et le sens   critique.

Les résistances populaires qu’ils rencontrent  conduisent  les idéologues à se considérer comme une élite, plus éclairée, plus lucide, une avant-garde, voire une secte d’initiés. Lénine a fait la théorie du parti avant-garde. Les SS se voulaient aussi une avant garde idéologique. La Commission européenne se veut explicitement une avant-garde destinée à détruire peu à peu chez les peuples le sens national et son expression économique, le protectionnisme, et à faire entrer les nations d’Europe dans ses schémas nolens volens.   Les  idéologues s’impatientent d’autant plus des résistances qu’ils rencontrent qu’elles ne rentrent pas dans leurs schémas a priori. Au terme de cette démarche, le viol de la volonté populaire tel qu’il a eu lieu à la suite du référendum du 29 mai 2005 au travers de l’adoption d’un traité par les Parlements (l’élite éclairée), reprenant point par point  ce qui avait été refusé par le peuple.  

Les idéologues sont d’autant plus intraitables que l’idée qu’ils véhiculent est porteuse d’une perspective de salut : le socialisme, le dépassement des nations, la paix universelle, la prospérité générale.

Ainsi imbus de certitudes salvatrices, ils remplacent le débat par une démonologie. Ceux qui leur  résistent sont les prisonniers ou les complices des forces du mal.

La haine antiraciste qui prospère aujourd’hui n’a ainsi  rien à voir avec le sentiment des minorités que l’on est supposé défendre, noirs, Arabes, Roms, elle est la haine d’idéologues ayant décrété que le sentiment d’identité était dépassé,  qu’il faut à tout prix  l’extirper comme on extirpait autrefois la sorcellerie et qui sentent confusément combien leur doctrine est artificielle.

De la même manière, on se tromperait lourdement en réduisant la barbarie nazie à l’antisémitisme ancestral, même exacerbé : pour en comprendre la dimension apocalyptique, il faut faire entrer dans l’équation le fantastique multiplicateur de l’idéologie.

 

On n’aurait pas fait le tour de la dimension idéologique de l’intolérance contemproaine si on ne faisait sa part à la haine de soi.  Celui qui s’accommode du monde tel qu’il est et qu’  à bien des égards il a toujours été, n’éprouve pas le besoin de trouver une clef qui permettra sa transformation radicale. Cette philosophie simpliste qui doit permettre de transformer le monde existant en un monde meilleur  implique un regard largement négatif sur le monde tel qu’il est. Il implique la haine du réel et même, à bien des égards, la haine de soi puisque c’est non seulement le monde mais l’homme, tous les hommes, y compris lui-même, que l’idéologue veut transformer en éradiquant le sens de la propriété ou le sens national.

Qui dit haine de soi, dit haine des autres.  Comment aimer autrui comme soi-même si on se hait et si on hait le monde ? C’est pourquoi  les idéologues ont si souvent  le cœur rempli de haine, ils voient partout des « vipères lubriques ». Ils en voient d’autant plus  qu'ils  en portent en eux-mêmes.   Observons un procès  pour  « incitation à la haine  raciale » et regardons le ton  des parties en présence: qui, généralement sue le plus la haine sinon les antiracistes ?  Ce n’est pas sans raison que le regretté  Philippe Muray  a décrit, dans son style inimitable,  les « parties civiles » (les parties civiles de profession, organisées en associations, pas les victimes de crimes ou d’accidents)   comme des chacals haineux  désireux de dépecer un cadavre. En face,  les prétendus supposés racistes sont souvent des gens gentils, amoureux de la vérité, de bonne compagnie. Etonnant renversement des valeurs !

La haine précède-elle ou suit-elle la posture idéologique ? Les deux sans doute. Il est vrai que pour devenir un idéologue, il ne suffit pas d’être inculte, il faut aussi avoir un tempérament aigri  ou frustré. Mais on a vu bien des honnêtes gens  entrés en religion idéologique sous l’effet de la générosité et s’y dévoyer. On a vu  des amis de l’humanité entrer  au parti communiste par amour des « damnés de la terre »  et  finir par épouser les pires aberrations du stalinisme. Céline commença sa carrière comme médecin des pauvres, philanthrope donc. Par quels cheminement en est-il arrivé aux pires invectives antisémites, voir aux appels au meurtre ? C’est sans doute là  le mystère de l’idéologie.

Bien entendu les idéologies sont sous-tendues par des intérêts. Il est probable que l’intérêt et l’idéologie sont aussi inséparables que l’onde et la particule dans la mécanique quantique.  Là où il y a  l’un, il y a l’autre.  Le communisme était sous-tendu par les intérêts de la nouvelle classe bureaucratique dont parle Milovan Djilas. Le mondialisme sert  de manière tellement évidente les intérêts les plus étroits  de l’oligarchie financière mondiale, en élargissant partout l’échelle  des revenus et de la richesse,  qu’on comprendra qu'elle soit soutenue avec force par les grands médias qui appartiennent presque tous à cette oligarchie. Mais  ce serait une grave erreur de réduire les attitudes idéologiques à des logiques d’intérêt. L’idéologie prolonge  et sert les intérêts,  mais elle a  sa rigidité, sa logique propre. Il n’est pas vraiment besoin d’une eschatologie intolérante pour défendre des intérêts. Or, une fois déchaînée, la logique idéologique dépasse largement  les intérêts qu’elle prétend servir. Le communisme ne servait que jusqu'à un certain  point ceux de la nouvelle bourgeoisie russe ; il était en même temps une  terrible contrainte pour elle et un frein au  développement de l’économie russe. Cette bourgeoisie a fini par s’en apercevoir mais   avec   plusieurs dizaines d’années de retard qui furent  du temps perdu. Le nazisme fut une catastrophe autant  pour  la grande industrie allemande, qui,  paraît-il,  l’avait favorisé,  que  pour le peuple allemand.  Le mondialisme est, au dire de la plupart des experts, la cause de la crise mondiale qui sévit depuis 2008.

Non seulement les  idéologies n’ont pas disparu avec la chute des régimes totalitaires, mais elles sont revenues sous d’autres formes. Comme dans un feu d’artifice,  après une explosion initiale, on assiste à la retombée d’une gerbe d’étincelles, après l’explosion fantastique du régime totalitaire, l’idéologie revient sous une fore édulcorée et dispersée comme retombent de toutes parts des brandons. Même s’il n’y a plus ni terreur ni système global, le mode de pensée idéologique pénètre partout. Un de ses effets est de réformer à partir de schémas simples, dans le seul but de mise aux normes, des  matières qui n’avaient pas besoin de l’être et où donc, au lieu de résoudre des problèmes, on en crée. Les exemples foisonnent. Il faudrait tout un ouvrage (que nous préparons) pour les passer en revue. Deux ou trois cas :  cet hiver, la neige a posé un problème grave, alors qu’elle n’en avait presque jamais été un   dans notre pays ; que l’application mécanique de la décentralisation ait  conduit à démanteler les directions départementales de l’équipement, services d’Etat qui fonctionnaient parfaitement,  n’est pas sans responsabilité dans    cette désorganisation. Des voyageurs ont été bloqués pendant plus de 12 heures à Belfort : le démantèlement de la SNCF, prescrit par Bruxelles au nom de la libre concurrence, n’y est pas étranger. De la même manière, on veut fusionner la police et  la gendarmerie au nom de la théorie, ô combien simpliste, que la concentration accroît l’efficacité. Un officier de gendarmerie qui avait exprimé son désaccord dans un article  s’est vu infliger immédiatement la sanction la plus lourde qui soit : la révocation. Ce n’est certes pas le goulag,  mais la violence de cette réaction  est dans la ligne de ce que nous disions des idéologues qui, sachant  confusément qu’ils ont tort, sont à cran.

Il y aurait beaucoup à dire encore sur les racines idéologiques de l’intolérance contemporaine. Il y aurait encore plus à dire sur les moyens de lui résister. A ce stade, nous nous sommes contentés d’appeler l’attention sur un de ses  ressorts les plus fondamentaux. Cette approche ne saurait nous conduire à baisser les bras, au contraire. La seule issue est la résistance. Mais pour résister, la première chose à faire est de bien connaître l’  adversaire, de bien comprendre la manière dont il fonctionne. Les victimes des procès de Moscou, en 1937,  furent complètement décontenancées par une mécanique dont elles ne comprenaient pas les ressorts. Si Zinoviev  avait lu Hannah Arendt, sans doute eut-il été mieux à même   , sinon de sauver sa peau,  du moins de résister à la machine infernale qui l’avait pris entre ses griffes ;  mais le travail de compréhension et d’analyse du phénomène totalitaire commençait alors à peine. Nous sommes aujourd’hui déroutés par la nouvelle intolérance – qui, je le répète, n’est pas une nouvelle forme de totalitarisme, mais un phénomène sui generis,  à analyser en tant que tel.  Quand ses ressorts cachés seront  entièrement démontés et mis sur la place publique,  alors serons nous mieux à même de gagner le combat glorieux que tant d’entre nous ont engagé pour la liberté.     

 

Roland HUREAUX

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28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 18:44

 

 

Dans le climat de sentimentalisme démocratique régnant, l’opinion a tendance à mettre sur   le même plan tous les Etats où les normes européennes en matière de droits de l’homme ne sont pas respectées.

On  ne saurait pourtant  établir une équivalence entre  des dictatures classiques comme l’Egypte de Moubarak ou la Tunisie de  Ben Ali où, certes, les  libertés fondamentales n’étaient pas respectées,  mais qui n’ont ni commis des massacres de masse,  ni répandu la violence en dehors de leurs frontières,  et  la Libye de Khadafi régime quasi-totalitaire qui a , depuis quarante ans,  passé son temps à   soutenir le terrorisme  ( y compris en Irlande et au Pays basque) , fomenter des attentats ,   provoquer des guerres   ( au Tchad en particulier) et  tenter  de déstabiliser à peu près tous ses  voisins  ( notamment le Maroc).

Autant une diplomatie mûre se devait, quitte à décevoir les  partisans de l’ ingérence tout azimut, de  garder une certaine  réserve vis-à-vis de pays comme la Tunisie et l’Egypte, autant une intervention armée pouvait être tenue pour  légitime dans un cas comme la Libye, quoique pas  dans n’importe quelles conditions.

Où situer la Syrie par apport à  cette distinction ? Clairement du côté de la Libye.

Le président Hafez el Assad,  issu, comme tout son entourage,  de  la secte minoritaire des Alaouites (variété de chiites) qui ne représente que 12 % de la population, est  venu au pouvoir par un coup d’état en 1970. Il  a toujours mené le pays d’une main de fer. Il n’  a ainsi  pas hésité en 1982 à massacrer   20 000 personnes  à  Hama, ville où s’était produite une révolte dite intégriste, ce qualificatif accolé aux rebelles  suffisant à  excuser  la répression aux yeux de l’opinion occidentale.

En 1980, son fils Bachir el Assad lui succède ; la répression sanglante qu’il mène depuis le début des révoltes est dans la lignée du  régime de son père.

Sur le plan extérieur, la Syrie, qui a longtemps  abrité  les plus extrémistes des mouvements palestiniens,  a,  faute de pouvoir  l’annexer,  toujours voulu  mettre le Liban sous sa tutelle. Il a ainsi, dans ce pays où chrétiens et musulmans avaient longtemps vécu en harmonie, attisé  une longue guerre civile (1975-1989), qui  s’est terminée par la reconnaissance de son  influence privilégiée  sur ce pays avec les accords de Taef en 1989. Et malheur aux Libanais, chrétiens ou musulmans qui auraient voulu  secouer le joug : ils étaient systématiquement  assassinés, le dernier en date étant Rafik Hariri en 2005, longtemps l’homme des Syriens, mais qui avait, semble-t-il,  pris ses distances.

De même que le comportement mûr exige de réserver les interventions extérieures aux cas les plus graves, il implique aussi   de ne pas  juger seulement un régime  au travers de  considérations  morales à caractère universel,  mais de son attitude par rapport à la France. Au passif de Khadafi, on le sait, l’attentat du Ténéré  du 19 septembre 1989 contre le DC-10 d’UTA Brazzaville-Paris (170 victimes), ainsi que des interventions incessantes dans les anciennes colonies françaises.  A  cet égard aussi,  le bilan de la Syrie est accablant. Animé de la volonté d’éliminer toute influence française au Liban, le régime d’Assad a multiplié les aggressions contre les intérêts français  : l’ assassinat de l’ambassadeur  Louis Delamarre, homme de paix,  en 1981,  et l’attentat-suicide contre le contingent français du poste Drakkar[1]  qui a fait 58 morts   en 1983,   lui sont généralement attribués, sans compter plusieurs  prises d’otage au Liban et  attentats à Paris dont les fils remontent généralement jusqu’ à Damas.

Le régime d’Assad est même plus blâmable encore que celui de Saddam Hussein, tout aussi répressif à l’intérieur mais  qui  n’avait jamais  soutenu  au même degré le terrorisme, en tous cas contre nous. Les deux régimes, que l’on qualifie abusivement de laïques, n’ont eu qu’un seul mérite, de plus en plus rare dans cette région et pour cela non négligeable, celui d’assurer la sécurité des  chrétiens.

Autre ressemblance, peu glorieuse,  entre la Libye et la Syrie : loin de sanctionner ces comportements comme un grand pays aurait dû le faire, la France  a, non seulement passé l’éponge,  mais multiplié les marques de bienveillance  à l’égard de ces régimes.

Celles dont a bénéficié le régime Assad dépassent  de loin la réception au goût douteux et à l’arrière-goût amer dont  avait été honoré Khadafi  à Paris  en décembre 2007. Le président Chirac a, seul occidental et  décidément peu   rancunier,  honoré de sa présence les obsèques de Hafez el Assad alors qu’il avait méprisé celles, autrement plus significatives pour nous, de l’ancien  président Senghor – dont la contribution à la culture française dépasse  il est vrai celle de  l’ancien maire de Paris ! En ce domaine comme en d’autres,  Nicolas Sarkozy s’est montré  le digne successeur de Jacques Chirac allant encore plus loin que lui en recevant  Bachir el Assad comme invité d’honneur au  défilé du  14 juillet 2008. On objectera le réalisme diplomatique : mais commandait –il de pousser aussi loin les complaisances ?

Comme ces comportements n’étaient guère inspirés par le courage, ils auraient du inspirer la méfiance de leurs  bénéficiaires : les difficultés venues, l’âne qui savait si bien encaisser,  est toujours prêt à donner le coup de pied.  Khadafi en fait l’amère expérience !

Cela veut-il dire qu’il faille  intervenir en Syrie comme on le fait  en Libye ?  Evidemment pas. Parce qu’il y a belle lurette que la Syrie ne se trouve plus dans la zone  directe de l’influence de la France. Parce qu’elle se situe dans une région autrement  plus dangereuse que la Libye, un Proche-Orient où toute intervention extérieure  pourrait avoir un effet explosif. Parce que,  parmi les puissances régionales proches, aucune n’a intérêt à bouger : la Turquie  a laissé de trop mauvais souvenirs dans les pays arabes pour se le permettre  et n’a d’ailleurs aucune raison de le faire; l’Arabie  saoudite et l’Iran ont toujours soutenu le régime d’Assad. Reste Israël qui, tout en subissant depuis longtemps l’hostilité verbale du régime syrien ainsi que  son soutien au Hezbollah et au Hamas, sait que la famille Assad est un adversaire rationnel,  conscient de sa faiblesse militaire,  et qui sait depuis belle lurette jusqu’où ne pas aller   avec son puissant voisin. La position des Etats-Unis n’est guère différente.

Il est donc à craindre  que le régime syrien ait, hélas, les mains libres pour réprimer sans pitié  la révolte en cours.

 

Roland HUREAUX



[1] Après l’attentat de Drakkar, le président Mitterrand  a ordonné un raid aérien de représailles contre un base   syrienne,  non sans avoir   prévenu Damas pour qu’il l’évacue avant.  

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 19:57

 

Les  hommes politiques  de la Troisième République, républicains intraitables,    étaient    aussi  de  grands   pragmatiques.  La rigueur de leurs  convictions pour ce qui était de l’hexagone ne les empêcha   pas  de maintenir et même de consolider le régime monarchique au Maroc, en Tunisie,   au Cambodge,   au Laos et   dans l’Annam. Le parti pris dissuada  seulement  Galliéni de le faire à Madagascar et ce fut dommage.

Le même pragmatisme doit  prévaloir dans la solution du problème libyen.

L’intervention des forces de l’OTAN, sévèrement bridée par la résolution du Conseil de sécurité, risque de tourner à la déconfiture politique si les adversaires de Kadhafi ne  présentent  pas rapidement  une   alternative crédible au régime actuel.

Le totalitarisme kadhafiste qui règne depuis plus de quarante ans n’ayant pas été la meilleure propédeutique à la démocratie, il convient de considérer l’option du retour à la monarchie.

Colonie italienne de 1911 à   1951, la Libye   avait adopté à l’indépendance le régime monarchique. Le roi Idris Ier était issu de la confrérie   des Sénoussis   qui exerçait depuis plusieurs décennies une forte influence sur le Fezzan ( désert libyen). Cette monarchie se déclara  constitutionnelle peu après et n’était donc pas, au moins en principe, incompatible avec la démocratie.

Le coup d’Etat de Kadhafi en 1969   mit fin au règne du roi Idris.   

Son petit-fils, Mohammed el Senoussi,  vit actuellement  à Londres et a des partisans dans la rébellion.  

On ne voit pas quelle considération pourrait dissuader la  coalition  d’envisager son retour.

Encore faut-il qu’il ose lui-même sortir du bois, peut-être même qu’il débarque en Cyrénaïque : attendre la fin des événements pour venir faire un tour de piste n’est sûrement pas pour lui la solution. Craindrait-il  d’apparaître comme l’homme des Occidentaux ? A-t-il le choix ?  L’histoire ne repasse pas les plats. La  dynastie senoussite ne trouvera pas  de si tôt une telle occasion de revenir en  Libye.

  Il est difficile de dire quel degré de consensus il rencontrerait. Que le drapeau de la monarchie ait surgi ici ou là n’est pas nécessairement significatif. Tout dépend sans doute de ses capacités. Mais les   insurgés   dépendent trop de l’appui extérieur pour s’opposer  à une solution qui leur serait clairement suggérée par leurs  alliés.

Heureusement, il est célibataire et donc disponible. Dans ce pays où l’esprit de clan domine, les mariages sont de longue date le moyen de sceller les alliances de clan à clan. Kadhafi sut user du procédé pour consolider son pouvoir.  Le prétendant pourrait par exemple se rapprocher des Mégahras, clan stratégique au dire des experts.

Outre le manque d’imagination des chancelleries, cette solution se heurte à un obstacle : quoique fieffés réactionnaires en bien des matières, les Américains demeurent des républicains  plus hostiles au principe monarchique que l’on imagine.

Cette hostilité de principe a fait manquer en Afghanistan une belle occasion d’organiser la réconciliation nationale. Le vieux roi Mohammed Zaher Shah, qui avait déjà régné sur le pays de 1933 à 1973 était, à la chute des talibans en 2001, plus légitime que quiconque pour prendre la relève. Les Américains n’en ont pas voulu, préférant le douteux Hamid Karzaï. Faute du soutien américain, Zaher Shah s’est contenté de présider l’assemblée constituante des chefs de tribu, la Loya Jirga.  

En Irak, la monarchie  hachémite, issue comme celle de Jordanie  des anciens chérifs de la Mecque,  avait été renversée en 1958. Un des héritiers  du trône, le  chérif Ali Ben Hussein,  a, dans la période troublée qui a suivi la guerre de 1983 ouvert un site internet, sans succès. Même si ce prétendant avait sans doute  moins de légitimité que d’autres, son élévation à la tête de l’Etat, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, aurait permis de mieux équilibrer la direction du pays entre les sunnites qui gouvernent l’Irak  depuis des siècles et se résignent mal à  ne plus le faire,   et les chiites, désormais majoritaires.

En tentant de remettre l’héritier du trône libyen dans le jeu, la coalition se doterait d’une carte supplémentaire. Elle pourrait au moins présenter une solution ayant une apparence de légitimité historique, plus en tous cas que  celle d’un clan opposé se substituant à  un autre clan,  d’un colonel succédant à un autre colonel. La monarchie a longtemps fait  rétrograde et à ce titre représenté une cause risquée, mais depuis 1990, qui sait où est le sens de l’histoire ?  

 

Roland HUREAUX

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 19:47

Réflexions  sur la  Passion du Christ

 

 

Le jour du Vendredi saint, tous les chrétiens fêtent la passion du Christ.

Passion, vient de pâtir, souffrir, du grec pathein qui a donné pathétique.

C’est le jour où sont remémorés  l’arrestation, le procès, les supplices et la mort de Jésus Christ,  qui ont eu lieu probablement le  vendredi 7 avril de l’an 30,  à Jérusalem, sous   l’empereur Tibère  représenté sur place par le préfet Ponce Pilate.

Cet événement est rappelé dans toute la chrétienté par l’image de la Croix, devenue le symbole du christianisme. Depuis des siècles, les terres chrétiennes sont parsemées de crucifix.

 

Qu’est-ce qui fait que cet événement  est si  important ?

On pourrait en effet objecter: des gens qui se prenaient pour des prophètes ou des agitateurs de foule arrêtés, condamnés et exécutés, il y en a eu beaucoup dans l’histoire.

 

Ce qui fait de la mort  de Jésus Christ un événement unique est :

 

-                    d’abord le caractère particulièrement atroce des supplices  (passage à tabac par les soldats, flagellation, couronne d’épines,  portement de croix, mise en croix et mort lente sur cette croix) et du contexte (condamnation par les autorités légitimes, caractère infâmant de ce  supplice réservé aux esclaves, haine de la foule, quolibets, lâchage par les proches – sauf les femmes - , mise à nu  publique).  A-t-on infligé des supplices pires à d’autres ? Peut-être mais ce n’est pas sûr.

 

-                    ensuite par  le caractère particulier de la  victime qui apparaît dans les Evangiles comme un homme absolument innocent,  d’une parfaite bonté qui va même jusqu’à pardonner à ses bourreaux,  mais aussi un grand homme : d’une intelligence supérieure,  d’une exceptionnelle autorité, d’une grande force d’âme. Il avait l’étoffe d’un grand chef. En inscrivait sur la croix « Jésus de Nazareth, roi des Juifs », Ponce Pilate le reconnait comme digne d’être roi ; il serait le descendant en ligne directe du roi David.

 

Cet événement est plus qu’émouvant. Il est un des sommets de ce que peut avoir l’humanité d’injuste et d’absurde. L’homme le plus parfait qui ait existé, ses contemporains ne trouvent rien d’autre à faire que de le mettre à mort dans des conditions abjectes dans la force de l’âge : 30-33 ans environ !

La littérature,  l’histoire et l’actualité  nous font connaître de nombreuses  victimes de l’injustice. Mais soit le supplice est plus doux (Socrate empoisonné), soit il s’agit de gens qui n’étaient pas irréprochables, soit   il s’agit de    « pauvres types » comme les innombrables victimes des guerres : des faibles, dirait Nietzsche, un philosophe antichrétien qui pense qu’il est normal que les forts écrasent les faibles. Beaucoup, à tort, se figurent le Christ  ainsi : un « pauvre diable » trop gentil : à tort,  car les évangiles nous montrent  au contraire un homme qui respire la force et l’autorité, un type accompli d’humanité.

Cet événement est-il invraisemblable ? Hélas non ! L’histoire, la littérature, l’expérience de  la vie   nous montrent   qu’il  n’est que trop en conformité avec ce que sont  les hommes. Les plus méchants sont ceux qui vous doivent le plus, les plus détestés sont les meilleurs, de parfaites canailles ont la Légion d’honneur et toutes les réussites terrestres etc.

On pense en général que les qualités, humaines ou morales sont récompensées. C’est vrai au premier niveau. Mais pas au niveau le plus élevé :   il est inévitable que ceux qui approchent les sommets de  la perfection rencontrent une hostilité, sournoise ou ouverte, plus grande que les autres. Cela semble être malheureusement la règle plutôt que l’exception.

Les juifs de l’Ancien Testament pensèrent, dans  un premier temps, que les justes qui respectaient la Loi de Moïse, réussissaient mieux que les autres. Le Psaume 1 exprime cette confiance naïve : «Heureux est l’homme  qui se plait dans la loi de Yahvé… tout ce qu’il fait réussit ». C’est ce qui arrive aux patriarches : Abraham, Isaac, Jacob, Joseph. Les premiers rois, Saül, David et Salomon sont punis parce qu’ils ont péché. Mais à mesure que le peuple juif approfondit sa foi  et qu’on avance dans la Bible, on voit de plus en plus de figures de justes persécutés : Job, les prophètes Isaïe ou Zacharie qui sont mis à mort. Puis Jean-Baptiste, le dernier des prophètes. Tous annoncent le Christ.

C’est la profondeur humaine du récit de la Passion, supérieure à celle de toutes les tragédies antiques ou modernes,  que nous devons ressentir en méditant dessus. Ce point est absolument  capital.

Inutile de dire qu’on ne trouve l’équivalent dans aucune autre religion : Hercule est mis à mort après avoir fait des travaux utiles à l’humanité mais ce sont des travaux de force, généralement guerriers et qui n’ont aucun caractère historique. Le prophète Mahomet, prêche une religion nouvelle, constitue une armée, gagne des batailles, commet des massacres et finit ses jours entouré de richesses et du symbole de la réussite, de nombreuses épouses…Il meurt dans son lit.

 

Le Vendredi Saint est-il  donc le jour le plus triste du monde ?  En un sens oui et la liturgie de ce jour exprime une infinie tristesse, en reprenant en particulier les admirables lamentations de Jérémie. Mais en un autre sens, c’est le contraire.

L’Evangile de saint Jean nous relate  en détail, aux chapitres 14à 17, ce que dit Jésus Christ à ses disciples la veille de sa mort : il répète à plusieurs reprises  «Le temps vient où  je serai glorifié », « Mon père me glorifiera et je glorifierai mon père »,   «  En étant glorifié, je vous glorifierai ».

La gloire est une notion politique : le signe de la victoire au combat contre l’ennemi.

La gloire est aussi une notion esthétique : le sommet de la beauté. La gloire de dieu, cela signifie la splendeur de Dieu.

Un roi glorieux, c’est un roi jeune et beau, qui  triomphe de ses ennemis.

Soit, en apparence,  le contraire du  Christ lors de sa  Passion.

On pourrait dire que l’Evangile de saint Jean parle de la gloire de la résurrection.  Non, en lisant le texte de  près, on voit que la glorification du Fils, c’est déjà  la Croix.

Ainsi, ce qui, aux yeux des hommes passe  pour le plus grand des échecs, est  pour l’Evangile, la plus grande gloire, la suprême victoire.

C’est là le centre du mystère chrétien.

Cette victoire, ce n’est pas le supplice en tant que tel, c’est le fait que ce supplice n’altère en rien la perfection du Christ, ni son amour des hommes. Il va même jusqu’à dire :   « Père pardonne leur, parce qu'ils ne  savent pas ce qu'ils font » ; il n’en veut pas à ses ennemis ; il n’en veut pas non plus à Dieu :   malgré un moment de désespoir  « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? »,  il ne se rebelle pas    « Que non pas ma volonté,  mais  ta volonté soit faite ». Et il  dit à la fin : « Tout est consommé », ce qu’on peut comprendre comme :   «malgré tout, tout est bien ».

De ce seul fait, il « sauve »  le monde, puisque même lui, qui a connu le comble de l’injustice et de la souffrance, a échappé à la  tentation de penser que le monde était radicalement mauvais, de le condamner. 

Longtemps les  théologiens ont été sensibles à la dimension morale de cet événement.  Au XXe siècle, un grand théologien suisse,  Hans Urs  von Balthazar a écrit une   œuvre magistrale qui s'appelle « La gloire et la croix »  et qui  met   l’accent sur la dimension esthétique de ce drame : la plus grande tragédie est aussi la plus sublime histoire. La tragédie et la beauté réunies, superposées, identifiées  sur la croix.

On ne sera pas étonné que, pendant des siècles, la Passion du Christ ait  inspiré des milliers d’artistes : peintres, sculpteurs, musiciens.

Par une extraordinaire coïncidence, un photographe a fait en 1899 pour  la première fois une photo  d’une vielle relique jaune qui se trouvait  à Turin  et qu'on identifiait au  Linceul  ayant  enveloppé le Christ après sa mort. Par la double technique du  négatif et de la surexposition qui accuse les contrastes, il a trouvé sur le cliché, sans l’avoir prémédité, une admirable image du Christ mort  sur la Croix, une image à la fois profondément pathétique et profondément belle.

Ce Linceul est il authentique ? Qu’importe : il date au minimum du Moyen-âge,  une époque où personne ne connaissait ni la photographie, ni le négatif, ni la surexposition. Mais l’essentiel n’est pas  là, c’est la qualité de l’image  qui résume à elle seule le drame de la Passion et qui est un signe pour notre temps.

Face au drame de la Croix,  on pense à la mort de Molière. Il est mort en jouant Le malade imaginaire. Le public  trouvait qu’il jouait si bien qu’on se disait : « ce n'est pas possible qu'on puisse jouer si bien, il doit être  vraiment malade ». Et en effet, il l’était.

Face au  drame du  Vendredi saint, on dira : un tel drame, ce n’est pas possible  qu’il ait été inventé comme un récit littéraire : il contient tellement de vérité humaine,  tellement de profondeur morale et  spirituelle, tellement de beauté  qu’il ne peut être que véridique.

C’est ce que ressent le centurion romain  Longus  qui a assisté à tout le drame et donné le dernier coup de lance pour achever le supplicié. Juste après que le Christ ait rendu le dernier souffle,  il ne dit pas : « Maintenant, c’est fini, on n’entendra plus parler de cet imposteur »,  mais il dit au contraire, ému par ce qu’il a vu :   «  Oui, cet homme était vraiment le fils de Dieu ».

 

Roland HUREAUX

  

 

 

 

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 15:01

 

 

Ce qui s’est passé à Caillac (Lot) le 18 avril dernier  a sans doute son pendant en bien des départements de France mais n’a pas encore attiré l’attention de la presse nationale.

Les élus de Cahors et des environs, soit une trentaine de communes ont refusé à l’unanimité le « schéma départemental de coopération intercommunale » que leur présentait le préfet.

Ce schéma  prévoyait de regrouper les structures de coopération intercommunales du département en sept ensembles, parmi lesquels  celui de Cahors représenterait 60 communes et un bon tiers de la population du Lot.

Les  grands notables socialistes  du département qui, en principe,  sont opposés  à un projet émanant du gouvernement, mais en réalité sont  favorables à ces regroupements  dont ils attendent des pouvoirs accrus,   donnent  des explications embarrassées : Martin Malvy, président du conseil régional et Gérard Miquel, président  du conseil général se contentent de dire qu’il ne faut  rien faire sans l’accord des élus de base. Aurélien Pradié, seul conseiller général UMP, lui,  est enthousiaste.

Pourquoi ces débats qui passent, il faut bien le dire, par dessus la  tête du grand public ?  Parce que la loi  du 16 décembre 2010 dite de  « réforme des collectivités territoriales » a   prévu, à l’article 16, l’ « achèvement et la rationalisation de la coopération intercommunale » passant notamment par  la disparition des communes isolées et des enclaves, le « renforcement de la solidarité financière »  et une taille minimale de 5000 habitants ?

Pourquoi cette rationalisation ? Parce que pour mieux  encourager  les communes à se regrouper,  les gouvernements successifs les  avaient laissées  libres, dans un premier temps, de le faire selon leurs affinités, culturelles ou politiques. Or  cette liberté a abouti parfois à des périmètres compliqués.

Mais au-delà de la loi, l’administration a fait, comme souvent, du zèle : le but que s’assignent beaucoup de préfets est d’aboutir au nombre minimum de structures.

La même loi prévoit à l’article 8  que les communes vivant en communauté pourront  fusionner en devenant des « communes nouvelles ». Ce n’est en principe qu’une option mais, là aussi, il faut attendre du zèle administratif des pressions discrètes en faveur des  fusions.

Au terme du processus, dans un département comme le Lot,  au lieu  des 340 communes,  aujourd’hui fédérées en une vingtaine de communautés, il n’y aurait plus que 7 communes. Au niveau national, en gardant la même proportion, on passerait de 36 682 communes à environ 700.

Résultat : la haute technocratie française, qui à travers les rapports Attali, Balladur etc. donne  des idées au gouvernement et l’opinion « éclairée » dans son ensemble, celle qui  se forme autour  du bois de Boulogne,  n’auront  plus honte de vivre dans un pays à 36 000 communes, comme autrefois on avait honte,   à l’école,  de perler patois.

Ce n’est pas là une question de gauche et de droite : l’apôtre infatigable de ces regroupement est un obscur idéologue socialiste, Jean-Louis Guigou ; les lois s’enchaînent depuis 20  ans,  promues tantôt par des ministres   de gauche tantôt par  des ministres de droite (Joxe et Chevènement aussi bien que Pasqua et Marleix )  et toutes ont le même but : réaliser au fil des ans une euthanasie des petites communes au travers  de toute une série de dispositifs insidieux et  en usant d’une   rhétorique moralisante : la  nécessité de coopérer, de ne pas rester en dehors du mouvement général, de sortir de l’esprit de clocher. Faute d’oser  contraindre ouvertement les communes, on multiplie les incitations : subventions proportionnelles au degré d’intégration, multiplication de vice-présidences porteuses d’indemnités, chantage aux subventions.

Après avoir proclamé bruyamment la rupture, l’actuel président a avalisé sans le moindre recul, dans ce domaine comme dans d’autres,  les projets que lui présentait la technocratie, le même qui inspire toutes  les réformes depuis vingt ans.

Pourquoi cette obstination ? Cela est dans le sens de l’histoire, cela permettra de faire des économies, dit-on.  

Sens de l’histoire ?  Il est vrai que le manifeste du Parti communiste   de Karl Marx prévoyait dès 1848   de « supprimer progressivement l’opposition ville-campagne ».  Ceaucescu avait prévu pour ce faire de raser les villages antiques pour les remplacer par des ensembles de type HLM.  Aujourd’hui, l’administration voudrait, au travers de ces regroupements, enfermer des milliers  de villages dans des structures de type urbain.  

Mais où est aujourd’hui le sens de l’histoire ? Nos communes, héritières  du  village gaulois et de la   paroisse médiévale, sont comme des familles. Il y a en France environ 20 millions de familles : est-ce le sens de l’histoire de les regrouper pour  qu’il n’y en ait plus que   500 000 ? 

Faire des économies ?  Mais  l’expérience des trente dernières années montre  que les regroupements dans la  sphère publique, comme  souvent dans la sphère privée, aboutissent toujours à une couche bureaucratique supplémentaire et à des frais de structure plus lourds  – en même temps qu’une perte en ligne de la vie démocratique.

Malgré ces faits avérés, la haute technocratie poursuit depuis vingt ans l’objectif de regrouper les communes de France, soi disant pour les moderniser.

Cela au rebours de la vraie modernité, qui suppose, comme l’a bien montré Jean-Jacques Rosa,  la petite dimension, la  flexibilité, l’autonomie : on sait , par exemple, que les PME créent des emplois là où les grands groupes les suppriment.

C’est dire que, depuis longtemps, cette entreprise de regroupement  est à contre-sens de l’histoire.

Alors pourquoi, pourquoi cette obstination ?

C’est bien sûr une question d’idéologie : celle du déracinement selon laquelle la modernité passe par la rupture des liens  traditionnels,   celle de la concentration, de la dimension, fondée sur l’idée simpliste que l’efficacité va avec la taille. Les gens qui dirigent la France depuis vingt ans appliquent ce schéma à tous les secteurs de la vie publique,  multipliant partout les désordres et  accroissant les charges de fonctionnement.

Mais par derrière l’idéologie, il y a, comme toujours,  des intérêts. Et pour percevoir lesquels  il faut regarder les choses en finesse, plus qu’on ne le fait généralement dans les bureaux parisiens : les intérêts en cause  ne sont pas ceux  des élus locaux en général  mais seulement  de leur strate supérieure : parlementaires, conseillers généraux, exécutifs locaux, ceux que Yvan Stéfanovitch appelle  la « caste des 500 » (1).  Le développement de l’intercommunalité depuis vingt ans  ne s’est pas seulement  traduite par un accroissement des dépenses – et des impôts - , mais aussi par un contrôle  beaucoup plus étroit exercé par ces « féodaux » sur les petits élus, en premier lieu les maires de communes  petites et moyennes dépossédés de presque toutes leurs prérogatives  au bénéfice des grands élus – et aussi de la technocratie locale.

C’est pourquoi le Parlement, expression de ces grands élus, a très peu combattu le volet communal des projets du gouvernement, alors qu’il a résisté des quatre fers  à la suppression du département.

Les petits élus ont toujours traîné les pieds face aux réformes. Mais on a su chaque fois les cajoler, les  circonvenir, les intimider et ils ont fini,  à reculons, par entrer dans le corral.

L’épisode de Caillac est significatif : en dépit des apparences, ce n’est pas le préfet qui est en cause, c’est le sénateur-président du conseil général, mis en difficulté aux élections cantonales et dont un des proches a été battu par un candidat de droite parce qu’il voulait intégrer le célèbre  bourg moyenâgeux de Saint Circq-Lapopie  dans  une  communauté d’agglomération !  

Il se peut  que, cette fois, les élus de terrain  ne se laissent plus faire. Parce que s’ils ne résistent pas enfin,  c’en sera fait définitivement de la commune. Parce que l'idéologie de la décentralisation, qui n’a en fait bénéficié qu’à une minorité de grands élus, longtemps incontestée, prend l’eau. Parce que dans la confusion qui règne aujourd’hui personne ne soit plus où est le sens de l’histoire !

Il se peut que le projet d’effacer les communes comme centre de décision automne dans notre pays qui est  l’alpha et l’oméga de la pensée administrative depuis trente ans,  apparaisse avec le recul aussi fou que le projet léniniste  d’abolir  la propriété privée !

 

Roland HUREAUX

 

 

1. Yvan Stéfanovitch, La  caste des 500, Lattès, 2010

 

 

 

 

 

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 14:54

 

La lettre de Marine le Pen aux préfets  apparaît moins choquante dans son contenu que terriblement maladroite.

Contrairement à Yannick Blanc, j’ai du mal à croire qu’elle ait été écrite par un membre du corps préfectoral, à moins que ce ne soit quelque  jeune  au fait des préoccupations de la maison intérieur mais  sans expérience.  On peut penser au contraire que si Marine le Pen avait consulté n’importe quel  préfet hors cadre ou en retraite, aucun ne lui aurait conseillé de l’écrire.

Si la présidente du FN voulait envoyer un message aux préfets, elle avait mille manières plus habiles de le faire : deux phrases lors d’un passage à la télévision, une formule bien frappée, un  article.

Les préfets auront horreur, c’est évident, qu’on ait  tenté ainsi de les compromettre, eux qui, sans cesse pris en sandwich entre les élus locaux et le gouvernement, pour ne rien dire des médias, se trouvent si  exposés au quotidien.

Ajoutons, que longtemps complexés par une propagande qui en faisait les représentants d’un Etat supposé archaïque, ils  ont  aujourd’hui  tendance à en rajouter dans le zèle en faveur de tout  ce que Marine le Pen dénonce : la décentralisation, la modernisation de l’Etat, la RGPP. Même si beaucoup n’en pensent pas moins, ils n’ont pas besoin de Marine Le Pen pour cela.

Si elle n’a trouvé aucun préfet pour la mettre en garde contre une démarche aussi évidemment  contre-productive,   c’est que sans doute elle n’en connaît pas.

Moins que son sens de l’Etat, la candidate aura ainsi révélé la principale faiblesse de son mouvement :   sa quasi-absence de l’appareil d’Etat. Et d’abord dans ses sphères les plus élevées. Tous les sondages faits au cours des dernières années chez les élèves de l’ENA montrent le niveau bas  de la représentation des extrêmes parmi eux. Il en est  à peu près  de même chez les polytechniciens et autres grands corps.

L’oligarchie française aime la modération. 15 à 20 % des intentions de vote sont sans doute pour le FN  un début de légitimité. Mais cela  ne suffit pas. Pour devenir un parti de gouvernement, il  faut aussi être pris eu sérieux par les gens sérieux, ou tenus pour tels. D’où les efforts que fait Marine le Pen pour mettre en avant ou laisser deviner la présence autour d’elle d’ experts de haut niveau. Sur le plan économique, elle a sans doute, à l’entendre,  fait quelques progrès. Sur la connaissance des subtilités de  l’appareil d’Etat, elle  a encore du chemin à faire.

Or cela compte : qu’on aime la chose ou pas, nous sommes, comme le dit Alain Cotta, au « temps des oligarchies ».

Il y a la grande oligarchie financière nationale ou internationale, le monde du CAC 40, des traders, du show business. Nicolas Sarkozy a été d’abord l’homme de ces gens là.

Mais il  y a,  par derrière, l’oligarchie moyenne, celle qui tient l’appareil d’Etat et nombre de postes importants dans le secteur privé. Elle vote   UMP ou PS, éventuellement  MODEM, guère au-delà.

Elle  est ce qu’Alain Minc appelle le « cercle de raison. »

Que ce cercle de raison soit devenu un cercle de déraison et cela sur beaucoup de sujets : la réforme de l’Etat, la réforme territoriale,  la politique économique et même la plupart des politiques publiques, c’est un fait.  Sinon les extrêmes n’existeraient pas. La dite oligarchie, qu’elle soit de droite ou de gauche -  à ce niveau là  ça n’a pas d’importance - ,   a   cautionné, et même se  trouve  à  l’origine des idées les plus folles du sarkozysme.   

Emmanuel Todd n’a pas tort de lier la montée  du Front national au maintien de l’euro. Mais au-delà de ses défauts économiques  que tous ceux qui ont une vraie culture économique - et donc très peu d’énarques - ,  connaissent,    la machine européenne semble avoir  un effet décérébrant sur notre élite,  aussi décérébrant  peut-être qu’autrefois la « diamat » sur la nomenklatura   soviétique, empêchée par l’idéologie de raisonner juste, au moins en public. 

Qu’ainsi  s’ouvre un espace pour le Front national, qui s’en étonnera ?  Il n’est pas bon que les gens raisonnables  se mettent à déraisonner, laissant ainsi, pour parler comme Michèle Tribalat, le « monopole du réel » aux extrêmes.

Mais quoi  qu’on  pense de ses errances, l’  oligarchie existe et  s’il faut espérer sur bien des sujets, à commencer sur le plan  économique et  social,  une autre politique,   elle ne viendra pas de son contournement, seulement de  sa conversion. Et cette conversion, ce sont les événements – par exemple l’ultime crise de l’euro - , qui la provoquera, non les appels  du pied de partis  qui demeurent culturellement éloignés d’elle.

 

Roland HUREAUX

 

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 14:52

L’été n’est pas seulement le temps des vacances. Il est pour beaucoup de fonctionnaires civils ou militaires et  même de cadres de grandes entreprises, celui  des trains de mutations et parfois, sinon pour les intéressés eux-mêmes, du moins pour leurs enfants, des déchirements.

Au fil des ans, curieusement, l’Eglise catholique elle-même a pris l’habitude de gérer son personnel de semblable manière. Pour les curés de paroisses, voire pour les évêques, l’été est aussi le temps des mutations, parfois  espéré, plus généralement redouté.

Manifestement, un certain modèle administratif de la gestion du personnel a ainsi, au fil des ans, déteint sur l’institution ecclésiastique.  On peut se demander si cette imitation est bien légitime et si, au contraire, l’Eglise n’a pas,  en la matière, plutôt que de s’inspirer passivement de ce que font l’Etat ou les multinationales, à affirmer  son particularisme.

Qu’il y ait osmose entre le modèle administratif civil et le modèle ecclésiastique n’est certes pas nouveau. N’oublions pas que les diocèses étaient au départ  des circonscriptions  civiles, l’équivalent de nos départements dans l’Empire romain réorganisé par  Constantin. A partir du moment où, dans presque tous l’Occident, la désignation des évêques est passée des chapitres aux rois, au XVIe siècle, il était prévisible que ces derniers procèderaient  de manière analogue  aux nominations civiles et ecclésiastiques. A la Révolution française, les nouveaux diocèses, reconnus par le Concordat, se calquèrent presque tous sur les départements.

Il  est vrai  que le modèle administratif tel qu’il existait jusqu’à une époque récente était moins rigide que ce qu’il est devenu.  Les charges territoriales de comtes, de vicomtes ou de marquis, instituées par Charlemagne tendirent vite à devenir des charges à vie et même des fiefs héréditaires.  La monarchie moderne dut les doubler d’intendants ou  de lieutenants généraux  révocables mais qui  pouvaient, eux aussi, demeurer longtemps en place. Au XIXe siècle, un préfet de la Marne resta à son poste 38 ans.  De même certains  grands officiers civils ou militaires.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la rotation s’est partout accélérée. Pour plusieurs raisons : d’abord des exigences de carrière. Pour que le maximum de sous-préfets puissent devenir préfets ou le maximum d’officiers supérieurs officiers généraux, il importe qu’un   roulement assez rapide soit assuré dans les fonctions de commandement. Comme on exclut que les fonctionnaires de rang N soient remplacés par des fonctionnaires de rang N-3 ou 4, seulement N -1,  chaque vague de départs en retraite entraîne toute la pyramide dans une cascade de promotions et donc de mutations. La règle est aujourd’hui de deux ans par poste pour le corps miliaire, y compris les chefs d’état-major.  Pour les préfets, la durée d’un poste est moins stricte mais elle a été généralement  ramenée de   trois à deux ans. De même pour les ambassadeurs. Cela au mépris de la voix  unanime des administrés qui déplorent cette brièveté et du sentiment largement partagé que ces fonctions gagneraient en prestige et en efficacité si elles étaient tenues plus longtemps par les mêmes hommes.

Les considérations de carrière ne sont pas tout. L’Etat a toujours aimé les serviteurs dévoués. Mais, aujourd’hui, s’affirme    une conception de plus en plus impersonnelle  de l’Etat  dont on considère que les grands serviteurs ne doivent pas s’attacher à telle ou telle province, et s’agissant des ambassadeurs,  à  tel ou el pays. Dès qu’ils s’incrustent, on craint qu’ils ne se lient trop aux intérêts locaux, qu’ils prennent de mauvaises habitudes, qu’ils cessent d’être les exécutants transparents et  totalement fongibles d’une  politique qui ne   décidée  au niveau central. On ne veut pas que, sous l’uniforme civil ou miliaire,  l’homme apparaisse.

A cette discipline d’Etat est venue s’ajouter  une conception apparemment  aux antipodes  mais aux effets analogues : celle de la philosophie   ultralibérale selon laquelle l’efficacité est  liée à la mobilité. Une grande mobilité, tant dans le secteur public que dans le secteur  privé, est, dans cette perspective,  un gage de faculté d’adaptation, de capacité à jeter un regard neuf sur les choses. A tous les niveaux,  une mobilité que nous n’hésiteront  pas à qualifier de vibrionnaire est aujourd’hui  encouragée. Cette mobilité va de pair avec la disponibilité mais aussi avec le détachement, la capacité à rompre.

On ne sera pas étonné de certaines affinités entre cette conception  moderne des responsabilités professionnelles et un nouveau  modèle familial où la fidélité n’est plus la valeur sacrée. On considère communément dans certains milieux que,  de même qu'une carrière accomplie passe par plusieurs changements d’entreprise, une vie accomplie passe par deux ou trois divorces.

Est-cl nécessaire de dire que la fidélité, est,  dans cette optique, la  valeur la moins prisée ? Certes, la plus stricte discipline est exigée des cadres  tant publics que privés: les bureaucraties sont de plus en plus contraignantes et des agents doivent être, peut-être davantage qu’autrefois,   des exécutants irréprochables : le service à la bonne franquette à la manière du sous-préfet d’Alphonse Daudet est mal vu au temps de la « culture de l’évaluation».  Mais si les mêmes cadres trouvent un autre poste, plus rémunérateur, dans une autre entreprise, si les hauts fonctionnaires  « pantouflent »  dans le privé, nul ne leur en fera   grief. Sur ce terrain comme sur d’autres,  l’infidélité est tenue pour un signe de dynamisme.

 

L’Eglise n‘a pas à suivre les modèles civils

 

Est-il vraiment dans la vocation de l’Eglise de s’inspirer d’un tel modèle, en mutant par exemple les curés  tous les trois ou quatre ans ? Parfois avec une froideur et une inhumanité  que les pires bureaucrates eux mêmes ne pratiquent pas.

Nous ne le pensons pas. 

Il n’y a  pas seulement  là une question d’efficacité  ou d’humanité.  Il y a d’abord  une question théologique. La théologie du sacerdoce diffère de la théorie  du fonctionnaire de bien des manières. Le prêtre n’est pas d’abord quelqu’un qui transmet des directives ou qui applique un programme. Il n’est que secondairement un « agissant » ; il est d’abord un «étant », le témoin de l’amour de Dieu pour son peuple. S’il s’inscrit dans une chaîne, le relais qu’il passe, ce ne sont pas d’abord des consignes, c’est  la charité. Pas n’importe quelle charité, celle du Père, du Père pour le Fils, du Fils pour les apôtres, des apôtres pour les disciples et les fidèles.  L’évêque de manière principale,  les curés de manière subsidiaire,  sont  successeurs des apôtres, et donc du Christ. L’ « administration »  des sacrements n’a rien à voir avec celle d’un service administratif ; le sacrement est la forme concrète de la charité de Dieu, des dons qu’il fait à son Eglise ; communion, pardon, guérison etc. Le  prêtre n’est pas seulement dans un rapport fonctionnel   à son troupeau mais aussi dans un rapport d’amour.  

Or le Christ est, par rapport à l’Eglise, dans le même rapport,  nous dit saint Paul, que l’époux à l’égard de l’épouse. « Maris,  aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise » (Ep,  5 25). C’est ce type de rapport, véritablement nuptial qui doit  inspirer celui du pasteur à ses ouailles. La disponibilité à un lien aussi exigeant est d’ailleurs la principale  justification du célibat ecclésiastique.

L’image du mariage comme symbole de l’union de Dieu à son peuple, présente tout au long de la Bible, notamment chez le prophète Osée et dans le  Cantique des cantiques interprété par la tradition,  ainsi que dans plusieurs passages du Nouveau Testament, nous incite à penser que la fidélité constitue un caractère essentiel de cette relation.  

Certes le modèle du mariage, qui s’applique parfaitement à  l’union du Christ et de son Eglise, n’est qu’une image imparfaite du lien de l’évêque à son diocèse ou du curé et de sa paroisse. Le droit canon n’a,  pour cette raison, jamais dit qu’il était  indissoluble : seuls sont liés à vie à leur siège, et encore pas de manière absolue,  les papes et les abbés bénédictins. Mais   ce lien n’est pas pour autant passager. Il implique, sinon la fidélité absolue, du moins un minimum de stabilité.   Il n’est pas non plus impersonnel. De même que dans le mariage  l’homme n’aime pas une femme abstraite et interchangeable, le curé qui aime sa paroisse  l’aime dans sa particularité. Le sentiment  d’un curé pour sa paroisse n’a pas  à être plus impersonnel que celui d’un mari pour sa femme. L’affection du curé pour ses ouailles   n’a donc rien de blâmable comme pourrait l’être l’attachement  excessif d’un  préfet à son département ou d’un ambassadeur au pays-hôte. Qu’un curé de paroisse s’attache à elle,   qu’il y prenne d’habitudes de la même manière qu'un homme et une femme s’habituent l’un à l’autre au sein de leur ménage, ne saurait donc être  tenu pour une faiblesse, mais au contraire pour une valeur positive conforme à une donnée essentielle de la Bible et de l’ecclésiologie. Les évêques managers qui se croient obligés de briser systématiquement ces liens, comme le  ferait  un gouvernement pour ses grands commis  ou un patron de grande entreprise pour les directeurs de ses filiales feraient bien d’y réfléchir à  deux fois avant de décider leurs « trains de mutations ».

Ce caractère charnel du rapport entre le responsable et la communauté qu’il a  en charge n’est d’ailleurs pas propre à l’ordre ecclésiastique. Il se peut que, dans l’ordre civil lui-même, l’impersonnalité propre à l’Etat moderne ait le caractère  d’une regrettable dérive.

 

Une  double dérive ?

 

Même si elle n’a pas de valeur historique, la célèbre tirade  du  Soulier de satin de Claudel  dans laquelle le Roi d’Espagne fait le portrait robot du vice-roi des Indes qu’il appelle de ses vœux  mérite d’être rappelée :

« Qu’ai-je à faire  d’un homme raisonnable et juste, est-ce pour lui que j’ arracherai cette Amérique  et ces Indes prodigieuses dans le soleil couchant s’il ne les aime de cet amour injuste et jaloux,

Est-ce dans la raison et la justice qu’il épousera  cette terre sauvage et cruelle,  et qu’il la prendra toute glissante entre ses bras, pleine de refus et de poison ?

Mais celui que je veux, quand il a passé ce seuil que nul homme avant lui n’a traversé,

D’un seul éclair il a su  que c’est à lui, et cette sierra toute bleue il y a longtemps quelle se dressait à l’horizon de son âme ; il n’y a rien dans cette carte, sous ses pieds qui se déploie, qu’il ne reconnaisse et que d’avance je ne lui aie donné par écrit » [1]

 

Il se peut en définitive que le caractère charnel de la relation  du chef à son peuple ou à son territoire ait autant sa place dans l’Etat que dans l’Eglise.  La dérive dépersonnalisante que  l’on observe aujourd’hui ne tiendrait pas seulement à une contagion indue du modèle civil sur le modèle ecclésiastique  mais à une commune dérive de l’une et l’autre institution.

Saint Rémi fut évêque de Reims pendant 74 ans. Ordonné à vingt-deux ans, il mourut presque centenaire. On n’a jamais entendu dire que l’Eglise de Gaule s’en soit plus mal portée. Son disciple Clovis régna moins longtemps mais la monarchie véhiculait avec  elle  un idéal de stabilité et de fidélité. Cet idéal n’est  plus  d’actualité, dira-t-on. Voire :   l’actuelle  reine d’Angleterre règne déjà depuis 58 ans.  Mais elle ne gouverne pas, il est vrai !  Il est en revanche remarquable que l’instabilité croissante des fonctions n’affecte que celles qui procèdent de la désignation par une autorité hiérarchique. Cette instabilité va de pair avec l’alourdissement des bureaucraties de toutes sortes, qui n’est pas forcément le signe du progrès . Malgré la rhétorique réactionnaire sur le caractère volage  des peuples, on observe au contraire que, dès qu’on leur demande leur avis, ils peuvent reconduire pendant un temps très long des responsables locaux : Edouard Herriot, fut maire de Lyon 49 ans, Jacques Chaban-Delmas fut maire de Bordeaux  48 ans.  Dans bien des cas, les mutations inconsidérées sont ressenties comme une blessure par ceux que l’on mute mais aussi par le peuple chrétien.

Ce dernier ressent certaines décisions comme une absurdité. Il n’est pas exclu  qu’il en ressente aussi parfois la perversité. Jacques Lacan[2], dans un article célèbre, avait montré la secrète connivence qu’il percevait entre la froideur inhumaine de la règle kantienne – on pourrait en  dire autant de toute règle administrative – et la philosophie du marquis de Sade.  Passe encore pour l’Etat moderne, mais est-il vraiment dans la vocation de l’Eglise  de se faire « le plus froid des monstres froids » ?

Au cœur du message chrétien se trouve le primat absolu   de la relation entre des personnes,   relation singulière entre  des personnes singulières,   relation qui transcende toute considération fonctionnaliste ou  utilitariste. Cette relation, qu’elle soit celle des personnes de la Trinité, de Dieu avec son peuple, des pères (et des mères) avec leurs enfants, du mari et de la femme, des chefs avec leurs nations, des pasteurs avec leurs ouailles, n’est en aucune manière le moyen de réaliser quelque chose d’ autre que cette relation elle-même , que ce soit  une œuvre, le  développement d’une institution,  la réalisation d’un programme,   elle est une fin en soi, et à vrai dire la seule fin : tout le reste, notamment la dimension institutionnelle des choses,    les règles de droit, les instructions, et même les sacrements,  ne sont  que le moyen de cette fin . Car à la fin des fins, le ciel et la terre passeront mais la charité, autre nom de la relation, elle,  ne passera pas.

 

 Roland HUREAUX



[1] Paul Claudel, Théâtre complet, tome 2, Pléiade, p. 675.

[2] Jacques Lacan, Ecrits II, Points- Seuil,  1971, p.119.

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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 14:49

 

Article publié dans Marianne2

Cela fait tout drôle de se trouver pour une fois d’accord avec Nicolas Sarkozy, Bernard-Henri Lévy et Joschka Fischer sur le principe d’une intervention armée en Lybie,  quand on a désapprouvé celles qui ont eu lieu en Yougoslavie, en Irak et en Afghanistan !

Pour une fois, une « guerre juste »… 

Pour la première fois, en effet, en Lybie,  les conditions d’une « guerre juste » semblent réunies.  Pourquoi ?  

 D’abord parce qu’il y avait, il y a toujours, une menace immédiate sur  les habitants des villes révoltées si  le régime les reconquiert : compte tenu de l’état d’esprit du despote vieillissant, des représailles en forme de massacres de masse y sont à craindre.  

Parce que  le  régime  de Kadhafi  est  de nature véritablement totalitaire, ce qui est finalement  rare  aujourd’hui.  Seuls en Afrique, le Rwanda de Kagame et l’Erythrée  d’Afeworki  contrôlent  au même degré leurs  populations.   

Parce que depuis quarante ans qu’il existe, ce régime  n’a cessé d’étendre sa malfaisance à l’extérieur : en tentant de renverser presque tous les autres régimes arabes (qui ne s’attristent pas de ses malheurs !), en suscitant de multiples guerres en Afrique, notamment au Tchad,  en détenant illégalement les malheureuses infirmières bulgares et en soutenant des actions terroristes. Les deux plus spectaculaires furent l’attentat de Lockerbie du 21 décembre 1988 contre le Boeing 747 de la Pan Am, Londres-New York (270 victimes) et  l’attentat du Ténéré  du 19 septembre 1989 contre le DC-10 d’UTA Brazzaville-Paris (170 victimes),  mais il y en eut sûrement  d’autres.

L’esprit évangélique n’ayant pas sa place dans les relations entre Etats, il n’est pas mauvais que les trois pays visés par ces attentats : la France,  le Royaume-Uni et les Etats-Unis se  vengent, même si c’est à retardement : ils n’en seront que plus respectés. Il est seulement regrettable que leurs dirigeants, en tous les cas les Français et les Anglais aient eu, entre temps, des complaisances coupables envers le guide de la Jamahiriya libyenne :   on se souvient de la ridicule parade qu'on lui permit de faire à Paris en décembre 2007. Le souci de jauger un futur ennemi en serait la seule excuse.

En définitive, c’est au régime nazi que celui de Kadhafi s’apparente le plus. Il ne saurait donc  être mis sur le même plan que ceux de Moubarak en Egypte et de Ben Ali en Tunisie qui avaient le caractère de dictatures  classiques, mais  sans complaisance pour le terrorisme et sans agressivité extérieure. On peut, comme nous l’avons fait, recommander la plus grande réserve vis-à-vis des affaires intérieures de ces pays et, au contraire, approuver le principe d’  une intervention armée en Libye. Dernière raison  qui justifie une  intervention en Libye : bien davantage que celui l’Afghanistan, hôte très hypothétique d’Al Kaida,   le devenir de la Lybie nous importe parce qu’elle se situe, elle, à nos portes et que les agissements de  Kadhafi ont à plusieurs reprise interféré avec nos intérêts directs.

Compte tenu de ces arguments, on ne pourra que se féliciter de l’esprit d’initiative du président français,   d’autant que pour la première fois depuis  son élection, il ose prendre, nettement,  ses distances avec  l’Allemagne d’ Angela Meckel dont le comportement dans cette affaire est rien moins qu’inquiétant : quelles obscures collusions cachent donc  ces réticences à approuver l’intervention  en Lybie (réticences que ne partage pas l’ancien ministre vert,  Fischer) ? On se le demande.    Müll Pacha, le personnage emblématique de « Tintin au pays d’or noir »,  serait-il de retour ?   

…mais bien mal engagée  

Fondée dans son principe, l’intervention n’en est pas moins plombée dans sa réalisation par plusieurs difficultés.

D’abord par les termes de la résolution 1973 du Conseil de sécurité,  extrêmement restrictive,   car il a fallu, pour qu’elle soit votée, composer  avec les réticences de la Russie, de la Chine, de l’Allemagne  et d'autres. Elle ne permet d’intervenir que pour protéger les civils, imposer une zone d’exclusion aérienne ou faire respecter l’embargo sur les armes. Elle interdit  en particulier  « le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen ».

Or si le vrai but de guerre  est de détruire le régime de Kadhafi (que pourrait-il être d’autre ? Imagine-on un seul instant de lui demander, sans ridicule, de  le  « démocratiser » ? ),  seule une opération chirurgicale à Tripoli, avec des troupes terrestres,  le permettrait dans un délai rapide. Ce serait d’ailleurs le meilleur moyen d’éviter de couvrir le pays de bombes aux effets durables sur l’environnement. Non-ingérence, non-ingérence !   Encore une fois, il s’avère que l’enfer est pavé de bonnes intentions et qu’en l’occurrence, il risque de l’être de milliers d’obus et de missiles occidentaux. Sans compter la  possibilité  d’un enlisement qui serait déjà une victoire de Kadhafi.

Faute d’un feu vert franc de l’ONU, les « Alliés » ne peuvent compter , pour venir à bout du « Guide » que sur les insurgés : hélas, la  désorganisation politique et militaire de ceux-ci  est par trop patente.

On dira légitimement que l’on  ne s’était pas tant soucié de respecter  le droit international pour bombarder la Yougoslavie en 1999 ! Mais alors, les dirigeant  occidentaux étaient solidaires ( une explication qui n’est nullement une excuse ! ), ce qui n’est pas le cas dans l’affaire libyenne : les hésitations américaines (qui effectuent cependant la majorité des  « frappes »), le refus de l’Allemagne, les réticences de la Turquie, de l’Italie et de bien de pays arabes laissent en définitive la France et l’Angleterre seules en première ligne. Avec le risque que, si elles étaient  prématurément désavouées comme elles l’avaient été en 1956 à Suez, l’opération ne tourne court.

Car le temps joue contre nous  dans cette affaire.

Fortes de l’appui allemand, la Russie et la  Chine pourraient  hausser assez vite le ton.

Les pressions pour y impliquer  l’OTAN risquent de donner  une allure de « guerre des civilisations » à une opération qui serait sans doute  mieux passée auprès du monde arabe si elle était restée sous direction française. Que des ministres français mal inspirés parlent de « croisade » n’arrange rien.

Si les pouvoirs arabes (à l’exception de l’Algérie) n’ont aucune raison d’avoir la moindre indulgence envers Kadhafi, les foules arabes verront en lui, si le conflit se prolonge,    un héros de la lutte contre l’Occident.

Dans  cette entreprise,  Sarkozy   n’a pas droit à l’erreur. L’affaire étant engagée, il lui  faut, coûte que coûte,  la finir vite et bien.

 Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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