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Roland HUREAUX

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 17:01

PLUS DE QUESTIONS QUE DE REPONSES

 

Stephen Hawking,  Brèves réponses aux grandes questions, Odile Jacob, 2018, 236 pages

28/05/2019

La vie de Stephen Hawking est  une belle histoire. Atteint à vingt ans de la maladie de Charcot qui entraine  une paralysie presque générale , il n’en a pas moins eu  une femme qui l’a soutenu tout au long de son existence et deux  enfants  et  il a poursuivi, des prothèses sophistiquées aidant, une belle carrière scientifique à  Cambridge.

Mort  à 76 ans, alors que la médecine  ne lui en promettait  que 25,    il a écrit peu avant sa mort  un ouvrage de   vulgarisation :  Brèves réponses aux grandes questions.

Sur un certain plan, le lecteur sera désappointé . A la plupart des questions  qu’il pose , il n’apporte  pas de réponse nette ou alors elle est décevante :

Comment l’Univers  a-t-il commencé ? Par le  Big bang mais , nous y reviendrons,  il ne  nous en dit guère plus.

Y a-t-il de la vie  intelligente ailleurs ?  Au premier abord probablement,  vu le  nombre incommensurable de   planètes qui , comme la nôtre , pourraient  la  voir émerger, mais   pas certain  pour autant : « Il se  peut que  la probabilité d’apparition de la vie soit si faible que la terre soit le seul endroit où cela s’est produit ». 

Peut-on prévoir l’avenir ? Clairement  non.

Qu’y a-t-il dans un trou noir  ( sa spécialité) ? On ne sait pas.

Peut-on voyager dans le temps ? Très probablement non.  Toutes ces mises au point ne sont pas inutiles.  

Faut-il coloniser l’espace ? Optimiste invétéré, comme il se qualifie, Hawking dit que oui et il a sans doute raison  mais il ne s’agit que de la Lune et de Mars, plus certains  satellites de Jupiter et de Saturne  (Titan) où il fait  - 200 ° . Aucun espoir de voyager aussi  vite que la lumière et donc de jamais   sortir  du système solaire. Il ne le dit pas,  mais cette colonisation  du système solaire servira plus  à   entretenir notre moral  qu’à déverser un trop plein de population.   

Sur d’autres aspects du futur , Hawking est plus inquiétant.  Clairement  transhumaniste, il pense que les robots  qui n’ont pour le moment que le cerveau d’un ver de  terre, seront vite , vu  leur vitesse de progression, plus intelligents que l’homme  et qu’en outre, l’homme arrivera  nécessairement à créer d’autres  hommes ayant plus de  capacités que lui.  Mais il ne s’en réjouit pas.

Le seul sujet sur  lequel  Hawking est catégorique est que Dieu n’existe  pas . Il    le  pensait déjà avant sa maladie : nul ressentiment dans cette opinion donc.   En tous les cas,  Dieu ne n’est pas selon lui   nécessaire  à la compréhension du monde.  Le  Big bang,  qu’il reconnait,  est une « singularité » où l’espace et le temps apparaissent ensemble ,  mais il y en a d’autres comme les trous noirs où ils disparaissent ensemble.  Se demander  ce qu’il y avait avant le Big bang est  comme se demander ce qui est  au sud du pole  sud : le  temps  a un commencement , il faut le prendre comme  tel .  La première particule est née de rien, mais la théorie quantique montre que des  particules apparaissent à partir de rien[1]. Il en va de même du monde. « Je pense que l’univers s’est créé spontanément à partir de rien, en obéissant aux lois de la nature ». Peut-être rationnel  mais peu convaincant.  

« Il parait extraordinaire que  l’univers soit si finement ajusté » . Notre monde est fondé sur des constantes indépendantes et pourtant  assez cohérentes pour qu’il  fonctionne mais, si elles n’étaient pas cohérentes , dit-il,   nous ne serions pas là pour en parler .C’est ce qu’on appelle le principe  anthropique :  nous n’en sommes pas plus avancés.

Cet athéisme obstiné se fonde , il faut bien le dire, sur une connaissance  limitée de la philosophie et de la théologie.  Pour Hawking , la foudre s’explique par la colère de Jupiter ou par les lois  de la physique , rien d’autre. Il fait  à juste titre l’éloge d’Aristarque qui,    300 ans avant notre ère,  expliqua scientifiquement  les éclipses . Mais saint Augustin , pourtant  père  de la théologie chrétienne , ne cachait pas qu’il préférait  ces explications rationnelles  aux  spéculations fumeuses mêlant science et croyance.

Hawking  ignore  tout  du mystère fondamental du christianisme : celui de la double  détermination naturelle et surnaturelle, de l’Homme-Dieu d’abord, du reste du monde ensuite, « sans confusion,  ni séparation »  telle qu’elle  a été définie au Concile de Chalcédoine ,  où Marcel Gauchet a vu  à juste titre la matrice de la pensée occidentale.   

Il célèbre Newton , initiateur de la physique mathématique  - et qui était croyant - mais ignore que le philosophe français Kojève, tout aussi athée que lui , a montré comment cette émergence de la  science moderne n’avait été possible que dans la matrice du christianisme.   

Plus pertinente l’idée qu’« il  est difficile à un chrétien de réconcilier deux mille ans de christianisme avec un univers de 14 milliards d’années. ». Mais le psalmiste ne dit-il pas que « Mille ans sont à tes yeux comme un jour » (Ps 90, 4) ? Mille et donc un milliard ? Et saint Pierre : « en ces temps qui sont les derniers »  ( IP  1,20).

Passons  plus  vite sur les positions politiques qui apparaissent  ici ou là . Rien qui dépasse la doxa d’un universitaire  de gauche du mainstream  anglo-saxon dans sa banalité :  il ne doute  pas que le Brexit soit mauvais et Trump méchant, que la planète se réchauffe  et que la population mondiale explose (alors que , de fait, sa croissance se ralentit) .   Que ceux qui pensent comme lui [2]  soient à l’origine  des principales guerres  des  trente dernières années lui a échappé.

Dire que « l’histoire est en grand partie celle de la bêtise  humaine » , une formule facile que l’on trouve souvent chez les savants qui philosophent, est  faire bon marché de cinq  millénaires  de civilisation.

Hawking dit  lui-même que  le  savoir est devenu si immense que chacun  doit   se limiter. Dès lors pourquoi  pontifier hors  de son domaine   strict de compétence, qui est déjà immense ?

Il reste , outre un grand savant, un homme sympathique qui, par son enthousiasme pour la recherche et son  héroïque combat  contre la maladie ,  a témoigné  plus que bien d’autres  que, malgré tout , le monde était bon. 

 

Roland HUREAUX

 

 

  

 

[1] Mais dans un champ électromagnétique déjà existant . Hawking semble considérer que notre univers se situe lui-même dans un champ beaucoup  plus vaste,  mais sans la moindre preuve .

[2] Par exemple Tony Blair

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 16:37

LE CONCORDISME DES ATHEES

 

Comment l’évolution des idées scientifiques sur le temps a rencontré la   résistance des positivistes. 

Paru dans la Revue Résurrection, mars 2019

Dès que quelqu’un spécule sur les liens qu’il pourrait  y avoir entre la science et  la foi et croit découvrir des convergences  entre elles, les hauts cris fusent de toute parts : « surtout pas de concordisme ! » .

Concordisme : le fait de chercher des concordances entre les données de la science et les vérités de la foi.    Il a été surtout pratiqué,  à partir du XIXe siècle, dans l’exégèse de l’Ecriture , de manière souvent caricaturale :  des archéologues  en herbe ont inlassablement exploré les pentes du mont Ararat pour y trouver des restes de l’arche de Noé ;  d’autres ont tenté d’expliquer  la sortie des Hébreux d’Egypte  à partir du mouvement des marées de  la Mer Rouge. 

Plus près de nous les tenants de l’intelligent design voulant réconcilier , à partir d’ une théologie sommaire, l’idée d’évolution  et celle de Providence ont négligé que si le dessein de Dieu ( design) était vraiment intelligent, il  ne serait pas forcement détectable au microscope.

L’intention de ces spéculations  est généralement  apologétique mais il vaut parfois mieux pas d’ apologétique du tout que de la  mauvaise. Comme nous l’ont enseigné Claude Bernard  ou  Gaston Bachelard, la science est évolutive , toujours sujette à revoir ses hypothèses au vu d’observations nouvelles, et tel argument qui semble aujourd’hui corroborer les données de la  foi  peut s’avérer obsolète demain.

Le professeur Stephen Jay Gould  , historien des  sciences, a  renvoyé dos à  dos le concordisme et ce qu’il appelle  le « discordisme »  en formulant  en 1997 le principe de Noma (Non-over lapping magisterial), à savoir de non empiétement des magistères , un principe  d’ailleurs  admis depuis longtemps  par les   scientifiques et   les théologiens reconnus.

L’Eglise catholique s’ est autant méfiée du concordisme que les savants laïques. Saint Augustin le premier, critiquant les enseignements de Faustus,  un gnostique qui l’avait d’ abord  séduit , dont les spéculations fumeuses  mêlaient théologie et science, dit qu’il préférait à  tout prendre les explications des savants païens pour ce qui touchait  la compréhension de la marche de l’univers visible[1].

Plus près de nous, n’est-ce pas parce qu’il mêlait  trop allègrement paléontologie et  théologie que le père Teilhard de Chardin fut interdit de publication  ? L’abbé Georges Lemaître , prêtre et astrophysicien,  fut  particulièrement scrupuleux  à ne pas laisser interférer les problématiques cosmologiques et  théologiques , allant jusqu’à mettre en garde le pape Pie XII contre cette tentation. Les plus indulgents vis-à-vis de la regrettable condamnation de Galilée  allèguent,   à tort ou à raison,  que l’illustre savant florentin  se serait trop laissé aller à tirer des  conséquences théologiques des  découvertes scientifiques. 

Malgré ces précautions, les chrétiens,  autant les évangélistes américains  tenant du créationnisme que les catholiques,  généralement plus prudents , ne se sont jamais libérés  du soupçon d’être de parti pris en  ces  matières, de vouloir   tordre les données scientifiques pour  les faire coïncider avec leur  foi.

Pourtant cette attitude  concordiste , et c’est là-dessus que nous voudrions insister, n’est pas le propre des croyants . Les  athées  et les agnostiques des deux derniers siècle n’ont pas été exempts de la tentation concordiste, de vouloir plier les données de la science à leur préjugés philosophiques , jusqu’à récuser a priori celles qui semblaient conforter la vision judéo-chrétienne du monde.  Les exemples  que nous en donnerons tournent autour de la conception du temps. 

 

La loi de Carnot

 

Il est bien connu que  l’athéisme moderne au cours des deux ou trois derniers siècles, a  repris à son compte  la vieille conception grecque  de l’éternité  du monde alors que  les croyants , au moins ceux des trois religions dites abrahamiques : juifs, chrétiens et musulmans , ont toujours tenu,  à partir  de la  Genèse, que le monde  avait un commencement.

La croyance  sereine   de beaucoup d’athées en l’éternité du monde   , a  connu un premier ébranlement avec la découverte du deuxième principe de la thermodynamique par le jeune savant français Nicolas Sadi Carnot (1796-1832).

Fils  du conventionnel régicide Lazare  Carnot ,  Sadi Carnot , par ailleurs oncle du président de la République du même nom, n’était pas précisément un pilier de sacristie. Eut-il  seulement conscience   qu’à partir   sa découverte  de l’entropie  universelle , on  pouvait , selon le physicien écossais Maxwell,  démontrer l’existence  de Dieu ?

Dans un ouvrage au titre anodin paru en 1924 , Réflexions  sur la puissance motrice du feu et sur les  moyens propres   à développer cette puissance ,  Carnot démontre que tout système fermé ( comme l’est , peut-on supposer,  l’univers) est soumis à une évolution irréversible   vers de  moins en moins  d’énergie et d’organisation . Au terme, un univers froid , fragmenté  et dispersé  dont aucun retour en arrière   ne serait à attendre. Autrement dit, l’univers que nous connaissons a une fin – et donc , peut-on en tirer, un commencement. 

La thèse de Carnot resta un quart de  siècle inaperçue , plus  en raison  de la solitude de son auteur, mort jeune,  que d’une quelconque hostilité. Elle fut récupérée d’abord par  un  Allemand , Rudolf Clausius (1822-1888) qui la démontra  expérimentalement  en 1849, puis par  un Britannique , William Thomson (1824-1907)   anobli par la reine sous le nom, plus connu,  de lord Kelvin.  La thèse de Carnot se répandant, les difficultés commencèrent. Il fallut attendre le début du XXe siècle pour  qu’elle  soit pleinement reçue  par la communauté scientifique.

Parmi les adversaires les plus acharnés de cette thèse, un étonnant personnage,  l’allemand Ernst Haeckel (1864-1919) , médecin, naturaliste et botaniste , disciple de Darwin,  sinon athée , du moins panthéiste , niant un Dieu transcendant et adepte  acharné , dans la lignée de Spinoza, de l’ idée de l’éternité de l’univers. Militant actif du positivisme, il créa l’Union moniste  universelle  ( moniste : ceux qui croient qu’il n’y a dans l’ univers qu’une seule substance, la matière). Il organisa en 1904 un grand  congrès à Rome, réunissant 2000 savants positivistes  pour provoquer le pape Pie X . Lors du banquet de clôture, il fut proclamé par ses pairs  antipape.

Ce savant, avait publié en 1897, Les Enigmes de la science  où il écrivait :   "Le monde n'a pas plus commencé qu'il ne finira" [...] "La seconde proposition de la théorie mécanique de la chaleur ( la théorie de Carnot) contredit la première et doit être sacrifiée" .

Sacrifiée : voilà un scientifique  de premier rang prêt à sacrifier une théorie parce qu’elle ne cadre pas avec sa philosophie !  

En plusieurs  circonstances , Haeckel  guerroya contre  la  théorie de Carnot. Une partie  du monde scientifique  le suivit.

Un  autre personnage, philosophe et non scientifique  celui-là,  avait aussi perçu le danger de la théorie de Carnot : Nietzsche, qui avait déduit de son athéisme radical l’idée de l ’éternel retour :  ayant l’éternité devant lui, le monde ne peut que revenir à un moment ou à un autre , sans doute très éloigné, à un état antérieur pour recommencer un cycle identique.

Lui aussi eut connaissance de la théorie de Carnot-Clausius-Thomson et  lui aussi tenta de la supprimer : : « Si le mécanisme  ( nous dirions la mécanique ou la physique) ne peut pas échapper à la conséquence d'un état de finalité, tel que Thomson le lui a tracé, le mécanisme est réfuté ! »   Etonnant déni   de la part de ce philosophe athée : si la physique aboutit  à    l’idée d’un état final irréversible, c’est  que  la physique est fausse !  

Nietzche tombe ainsi  dans la faute que lui-même dénonce, le déni d’une vérité trop dure  : « Le degré de vérité que supporte un esprit, la dose de vérité qu’un esprit peut oser, c’est ce qui m’a servi de plus en plus à donner la véritable mesure de la valeur. »[2] A sa décharge,   on dira  seulement qu’il n’était pas, lui,  soumis à la rigueur  de la méthode scientifique.

 

Le Big bang

 

L’affaire recommença avec la découverte que l’Univers était en expansion, prévue de manière théorique  en 1922 par le russe Alexandre Friedmann (1888-1925)  ,  formalisée en 1927   par le belge Georges Lemaitre (1894-1966) ,  vérifiée expérimentalement  en 1929  par l’américain Edwin Hubble (1889-1953).

Malgré Carnot, l’idée que l’univers était éternel demeurait dominante dans les milieux scientifiques au début du XXe siècle . Même s’il a toujours cru en un Dieu  horloger, Einstein  qui venait de découvrir le relativité,  y adhérait plus ou moins.

C’est pourquoi , déjà démontrée vers  1930, l’idée  d’un univers en expansion  ne  fut admise de manière presque unanime par la  communauté scientifique que vers 1970. Quarante années de réticences devant une théorie qui semblait donner à l’univers un commencement absolu. Malgré les efforts du chanoine Lemaître  pour prendre ses distances avec la théologie et  répéter  que l’idée d’une  expansion  de l’univers , donnée scientifique,   ne constituait en aucune manière une confirmation de la   Création,    dogme révélé, les adversaires de la Révélation  ne  s’y trompèrent pas et virent  dans la théorie de l’expansion de l’univers  un argument de poids en faveur d’une vision religieuse du monde, qu’il fallait à   toutes force écarter. Même Einstein , inventeur  de la théorie de la relativité  dont Alexandre Friedmann avait tiré le modèle théorique de l’expansion fut longtemps réticent  ( comme il le fut aussi à l’égard du principe d’incertitude issu de la  théorie des quanta) , ayant même pris dès  1917 la précaution d’introduire une « constante cosmologique », jamais confirmée, destinée à préserver le caractère statique  de l’univers.   

Les adversaires les plus acharnés   de la théorie  de l’expansion  se trouvaient à Cambridge, haut lieu depuis le XIXe siècle du positivisme agnostique. Parmi eux,   l’anglais Fred Hoyle . Le fait   de  base à   l’origine de la théorie de l’expansion de l’univers  ( il vaudrait  mieux mieux parler de constat que de théorie)  , est le décalage  vers le rouge de la lumière des galaxies  qui signifie que  les objets vus dans  le ciel s’éloignent de nous d’autant  plus vite qu’ils  sont    loin . Et que donc , en remontant  le temps de 13,8 milliards d’années, on  peut imaginer qu’ils étaient  alors    rassemblés en un seul point ou  « atome primitif » selon  l’expression de  Lemaitre. Hoyle mit au point  une théorie sophistiquée , aujourd’hui obsolète, pour rendre compte de cette observation  tout en restant dans le cadre d’un univers stationnaire.

Lors d’un congrès scientifique  international tenu  en 1949 , Hoyle,  voyant entrer l’abbé Lemaitre avec sa soutane, dit  «  This is the big bang man »,  une expression  qui  se voulait narquoise mais qui, très vite , désigna la  théorie de l’expansion de l’univers. Cela n’empêcha pas Hoyle et Lemaitre , deux bons vivants,  d’avoir  dans le privé  des relations amicales.

A partir de 1964, de nouvelles  observations vinrent confirmer la théorie  du Big  bang : la découverte par Penzias et Wilson  du bruit de fond de l’univers ( dit aussi rayonnement fossile ) , sorte d’écho électro-magnétique de l’explosion primitive qui nous poursuit à la  vitesse de la lumière. En 1998, deux  équipes, menées respectivement  par Perlemutter et Riess,  ont  démontré   par des expériences  complexes  que cette  expansion était elle-même en voie d’accélération, sous  l’effet d’une « force sombre »  inconnue  à ce jour , ce qui semble exclure que le Big bang ne soit   qu’un moment  d’une pulsation cosmique.

Pourtant la communauté scientifique ne se satisfait pas de cette situation ;  le Big bang reste ce qu’elle appelle une « singularité » , un fait en discontinuité avec sa manière habituelle de penser. Un fait  susceptible en outre  de nourrir les argumentations   théologiques  quelles  que soient les  précautions qu’aient pris , après Lemaître,  les hommes d’Eglise, pour ne pas mélanger les genres.  C’est pourquoi une grand partie des  cosmologistes spéculent  aujourd’hui pour, comme le dit l’un d’entre eux, Gabriele  Veneziano ,  « réduire la singularité du Big bang », c’est  à dire  trouver une théorie qui le banalise à un point qu ’on ne puisse en tirer des conséquences métaphysiques.  

C’est ainsi qu’à la fin du XXe siècle a été propagée   par le même  Veneziano  la « théorie des cordes », trop complexe pour que nous nous hasardions  à l’exposer  : elle se fonde sur un univers à 10  dimensions ( ou 26 selon les approches) , dont  4 seulement,  les trois dimensions de l’espace et le temps,   seraient  déployées . Le  temps apparait ainsi comme une variable parmi d’autres ; qu’il n’aille pas d’un infini à l’autre serait banalisé.

Cette théorie semble  dépassée , mais  les cosmologistes  continuent de tenter de « réduire la  singularité du Big bang ». Etienne Klein a beau jeu de dire que toutes les théories cosmologiques actuelles conduisent  à ce que    « la singularité initiale disparaît  (…) ,  le Big Bang n'est plus l'origine explosive qui aurait créé tout ce qui existe, l'espace, le temps, la matière, l'énergie, mais il devient une sorte de transition de phase qui fait passer d'une situation antérieure à une situation postérieure qui correspondrait à notre univers[3] » : comment s’en étonner  puisque presque  toutes ces théories s’assignent précisément ce but ?  Le problème est qu’aucune n’a reçu la moindre confirmation expérimentale.    

Ce n’est   pas seulement  l’idée d’  un commencement absolu du temps qui trouble les scientifiques.  L’univers tel que nous le connaissons ne trouve  sa cohérence qu’en admettant   une quinzaine d’équations ( la plus connue est e= mc2 )  indépendantes les unes des autres qui le rendent possible  . Pour rendre compte de cette coïncidence autrement qu’en invoquant la Providence,  , Stephen  Hawking, professeur à Cambridge lui aussi,  a émis  l’hypothèse , sans aucune preuve évidemment, que notre univers ne  serait qu’un  parmi des  milliards d’autres éclosant comme des bulles chacun dans son espace propre ( ces espaces n’étant  nullement réductibles  à un seul) , seuls ceux qui sont cohérents subsistant.

Nul doute que ces tentatives ont quelque part le projet de revenir  à un équivalent de l’univers  éternel, sans aucune  singularité susceptible d’ interroger   l’homme à  partir de données purement scientifiques.

De même les investissements  considérables réalisés depuis quelques années  pour découvrir des exoplanètes , avec le secret espoir qu’elles seraient habitées, ne sont pas étrangers  à l’ambition  de réduire la singularité de l’homme lui-même. Espoir d’autant plus entretenu  que son émergence  apparait de plus en plus improbable à mesure que l’on approfondit la complexité du  mystère de  la vie, improbabilité  compensée,   il est vrai , par la découverte que les sites planétaires   que l’on  peut supposer  propices à la vie se démultiplient.

Comme il est normal  que les scientifiques   cherchent,  chaque fois qu’ils le peuvent,  une explication naturelle à    ce qu’ils observent, tous  ces efforts sont légitimes.  En outre , le principe  de la séparation des domaines , de l’interdiction de se situer à la fois dans le champ scientifique et dans  le champ philosophique demeure inchangé , aussi bien dans le camp de l’Eglise que dans celui des scientifiques laïques.   

 

Par-delà la science, l’épistémè

 

Mais tout ne se passe pas dans le rationnel.  Les idées tant philosophiques que scientifiques qui émergent    à une époque donnée  déterminent  une architecture culturelle propre à cette  époque  qui sous-tend, au-delà de toute légitimité scientifique ,  une certaine vision du monde et induit même une sorte de   circulation des  modèles entre les  sciences. Erwin Panofsky[4] avait montré  les consonances entre l’architecture gothique et la pensée scolastique , deux domaines en principe rigoureusement  indépendants.  Michel Foucault[5] a qualifié cet  ensemble de correspondances interdisciplinaires l’ épistémè (ἐπιστήμη) ,   : « Ce sont tous ces phénomènes de rapport entre les sciences ou entre les différents discours dans les divers secteurs scientifiques qui constituent ce que j’appelle l’ épistémè d’une époque »[6] . La plus typée qu’il ait décrite est  celle  de l’âge  classique (XVIIe-XVIIIe siècle) où il montre les correspondances, non  scientifiques mais  réelles,   entre le  cartésianisme,  l’opposition tranchée   du rationnel et de l’irrationnel,  l’enfermement des fous et des pauvres  , mais aussi entre  la taxinomie zoologique et botanique et   la taxinomie linguistique, le  souci général de  classer , d’ étiqueter ,d’  organiser.  Evoquant le XXe siècle , il montre comment  autour du structuralisme , se regroupèrent un certain nombre de savoirs sur l’homme  indépendants les uns des autres ( c’est ce qu’il appelle la « mort de l’homme », le fait qu’il ne soit  plus un  objet de science dans sa  globalité)  mais cultivant tous l’idée de causalité structurale , distincte de  la causalité directe  et  fondée sur  l’appartenance  des objets étudiés  à un même champ  ( par exemple les  modèles linguistiques  ou familiaux) .

Dans cette perspective, il est clair que les théories de  Carnot  et   de Lemaître ne sont pas sans effet dans le champ du savoir contemporain.  Quoi qu’on en pense, elles  rendent l’idée de Création moins étrange. Quand Nietzsche disait « Dieu est mort », c’est à ce champ civilisationnel  qu’il  se référait ayant le sentiment qu’à son  époque, l’idée de Dieu,   devenue inutile , n’avait plus de sens. D’où sa révolte devant le théorie de Carnot-Thomson.  Les  militants athées, nombreux dans la communauté scientifique,  ont pu légitimement s’inquiéter de l’impact tant du second principe de la thermodynamique  que  de l’idée  de Big bang dans la culture dominante.  Comme ces deux théories  sont toujours d’actualité, aucune   n’ayant été  encore validement réfutée, ni près, il est incontestable que l’épistémè  contemporaine  se trouve plus ouverte que  ne l’étaient les  précédentes  à l’idée judéo-chrétienne   d’une Création venant  « au commencement ». 

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

[1] Saint Augustin, Confessions, Livre V, chapitre VI

[2] Nietzsche, Ecce homo, Préface, § 3.

[3] https://information.tv5monde.com/info/l-univers-ne-commence-pas-avec-le-big-bang-entretien-avec-etienne-klein-3847

[4] Erwin Panofsky, Architecture gothique et pensée scholastique  ( préface de Pierre Bourdieu) , 1951

[5] Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1966

[6] Entretien de 1972

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 16:33

 

LE CYNISME DE MACRON DANS L’AFFAIRE VINCENT LAMBERT

           21/05/2019

La décision de la Cour d’appel  de Paris   obligeant le CHU de Reims    à reprendre  l’alimentation de Vincent  Lambert apporte un immense  soulagement, non seulement à  ceux de ses proches qui se préoccupaient de son sort , sa mère en tête, mais aussi à tous ceux qui  sentaient confusément combien la France se serait reniée par une exécution  aussi inhumaine    

Mais le combat n’est pas terminé et il exige une pleine lucidité. 

Il fallait un singulier cynisme au président Macron pour répondre à l’interpellation de Mme Lambert mère qu’il ne pouvait  interférer avec une décision de justice et donc interrompre la  mise à mort du malheureux Vincent .

D’abord parce que la justice n’a,  à notre connaissance,  pas obligé  de  mettre fin à ses  jours; elle s’est contentée, avant que la Cour d’appel n’en décide autrement ,  de ne pas   tenir cela  pour illégal.  La décision de mettre à mort Vincent Lambert  émanait en principe de l’hôpital et nul doute que  si le chef de service s’y était opposé,  la question de se serait  pas posée. Une partie du personnel infirmier  a d’ailleurs  manifesté sa  répulsion en arrêtant le travail  le lundi 20  mai, début de la procédure  létale.  Il  reste que,  dans un pays comme la France,  l’hôpital se  trouve dans  une chaîne  hiérarchique qui remonte au ministre de la santé et par-delà  au  président de la République. Quand Mme Buzyn, ministre de la  santé  annonce que la France  ne suivra  pas l’avis du  Comité spécial  de l’ONU pour   la   protection des droits et de la dignité des handicapés  demandant  le maintien en vie , au moins provisoire,  de Vincent  Lambert,  tous ceux qui connaissent les procédures diplomatique savent que ce n’est pas un  ministre technique qui peut statuer sur les rapports de la France et de l’ ONU.   Une telle  décision ne  pouvait émaner que  du président de la  République.

Comment s’étonner d’ailleurs que le président ait pris une telle position ? N’avait-il pas avait inscrit le droit à l’euthanasie  dans son  programme ?

Tous  les  bien-pensants qui , avant son élection et après, avaient  pris l’actuel président pour un enfant  de Marie devraient enfin faire  preuve de lucidité .

Aux Bernardins , Macron n’avait pas caché sa position : « Cette voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. »  Sous cette rhétorique à l’eau bénite, quel mépris !

Sur  tous les sujets sensibles, le président est proche des positions que le pape Jean-Paul II appelait la culture de mort, la meilleure  illustration en étant   le projet gouvernemental d’ouvrir la procréation artificielle aux femmes seules ou lesbiennes,   et peut-être de faciliter  l’adoption d’enfants ayant fait l’objet, en France ou à l’étranger, d’un contrat de gestation pour autrui. 

Macron qui se proclame haut et fort  européen   est  sur les questions sociétales pleinement en phase avec les instances de l’Union européenne. Il est loin le temps où on pouvait dire que celle-ci était une construction chrétienne ,   fruit d’initiatives de Pères fondateurs croyants .  Elle est aujourd’hui  le lieu principal d’où se diffuse  une culture hostile , non seulement à l’héritage chrétien mais à la  simple morale naturelle.    Les  institutions européennes  harcèlent au nom des droits de l’homme les quelques pays qui n’ont pas  pleinement légalisé  l’avortement. Au Parlement européen , les motions les plus extravagantes promues par une majorité pro-LGBT font florès.

Espérons  que  la France, grande nation européenne , saura résister aux sirènes d’une pseudo-modernité qu’ont suivies  de  petits pays sans repères comme les Pays-Bas ou la Belgique  et échapper  à la tentation de légaliser l’euthanasie , si redoutée  des personnes âgées .  L’émotion qui a suivi l’annonce de la fin  de Vincent  Lambert , comparable à bien des égards à  celle qui a suivi l’incendie de Notre-Dame, est à  cet égard un heureux présage.

 

Roland HUREAUX

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 15:29

Roland Hureaux -  La France et l’OTAN en Syrie, le grand fourvoiement, Ed. Bernard Giovanangeli .

Revue des anciens élèves de l'ENA , 02/05/2019

Roland Hureaux , vous avez écrit  la France et l’OTAN en Syrie : qu’est-ce qui vous a amené à écrire un livre sur ce sujet ?

Bien qu’ayant fait essentiellement une carrière de bureaucrate, comme beaucoup  de mes camarades, j’ai toujours eu  en moi un baroudeur qui sommeillait. Faisant ma mobilité dans  une ambassade africaine, j’avais déjà  , avec l’accord du Quai d’Orsay,  été le premier diplomate français à visiter un camp de l’ANC, le mouvement de résistance sud-africain.

Quad a éclaté la guère de Syrie, j’ai ressenti le besoin d’aller sur place , ni comme diplomate, ni comme humanitaire, ni a fortiori comme militaire, mais  comme une sorte de correspondant de guerre sans titre, si vous voulez.

Mais ce qui m’a motivé le plus c’est l’indignation  devant l’absurdité de cette guerre  et devant   les mensonges dont elle a été entourée. 

Quand vous parlez d’absurdité , est-ce cela le grand fourvoiement ?

Oui, l’engagement de l’OTAN et singulièrement  de la France n’avait aucune justification en termes d’intérêt  national. Or sans cet engagement nous aurions eu quelques échauffourées, une répression  sans doute musclée de  Bachar el Assad mais pas 350 000 morts ( ou plus)  et 6 millions de réfugiés.

Pour la France,  c’est  particulièrement  grave ; de  temps immémorial , même au temps de la Terreur montagnarde ou  de la  république anticléricale ,   elle se faisait forte  de protéger  les chrétiens d’Orient , pas seulement pour  des raisons spirituelles mais  parce qu’ils étaient un relais important de notre influence. Or là , nous avons choisi pour la première fois depuis 750 ans le camp contraire à leurs intérêts.

Le régime de Bachar el-Assad ne justifiait-il   pas cette guerre ?

C’était une dictature,  ni meilleure,  ni pire qu’une autre,  que l’Arabie saoudite par exemple où on vient de décapiter 45 personnes en public.

Il faudrait  une singulière naïveté  pour penser  que les droits de l’homme ont été la raison de la guerre ; ils sont venus la justifier après coup.

Pour la France , et  même pour les Etats-Unis, le bilan  de cet engagement  est entièrement négatif.

 

Vous parlez aussi de mensonge ?

Oui, je ne crois pas qu’on ait dit clairement que  l’intervention de la  France, comme du reste de l’OTAN,   s’est fait d’abord du côté des djihadistes ; les Français croient que nous sommes allés  là  bas combattre le terrorisme . D’où leur indignation devant  les djihadistes fançais  qui veulent rentrer en France. Mais ils étaient la plupart du temps du côté de  nos forces , modestes au demeurant puisqu’il s’agissait  essentiellement de conseillers techniques . Ils n’étaient pas en tous  cas en face de nous. 

L’hystérie internationale  qui a suivi les attaches chimiques imputées au régime part aussi de  faits qui sont loin d’être établis    :  de plus en plus,  des doutes apparaissent tant sur la réalité    de ces attaques que sur leur cause véritable. 

Enfin je ne crois  pas  qu’on   ait dit non plus qu’en définitive , il s’agit d’une défaite de l’Occident . La Russie se retrouve renforcée dans cette région.  C’est pourquoi  certaines forces des deux côtés de  l’Atlantique voudraient ne pas en rester là , espérant renverser la situation.  Je ne souhaite pas  au peuple syrien que  cela arrive : il y a déjà assez souffert.

Pourquoi le régime a-t-il résisté malgré les pronostics de tous ceux qui disaient qu’il i n’en avait plus que  pour quelques  jours ? Est-ce seulement  grâce à l’aide  russe ?

Le régime  ne  s’appuyait pas seulement sur les minorités mais sur les parties les plus évoluées de l’économie  et de la société y compris sunnites. En outre l’Etat syrien,  construit sur le modèle français  et qui s’est doté d’une ENA il y a vingt ans,     a montré une grande capacité de  résilience.  

En définitive, c’est un pamphlet que vous avez écrit ?

C’est,  si l’on veut,  un ouvrage engagé, mais j’ai voulu aussi exposer le plus clairement  possible les enjeux  géopolitique  en m’efforçant de   ne rien oublier d’essentiel. Pamphlet peut-être,  mais tout autant manuel.

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 15:25

 

LE CATHOLICISME ET LA SCIENCE

12/12/ 2018

De manière étonnante, demeure dans les esprits l’idée que l’histoire des rapports du catholicisme et de la science (au sens moderne du mot) serait celle d’un affrontement permanent, une vue excessivement partielle, partiale et donc largement fausse.

S’il est un sujet où l’arbre cache la forêt, c’est bien celui-là. L’arbre, c’est l’affaire Galilée, non point en tant que telle mais par le retentissement que lui donnèrent à partir de la fin du XVIIe siècle les adversaires du catholicisme.  Nous y reviendrons.

La forêt, ce sont deux mille ans de coopération où l’Eglise a peu à peu constitué la matrice, mis en place le terreau d’où devait surgir   l‘admirable édifice de la science moderne.

Il est vrai que l’Antiquité grecque avait déjà posé les fondements de la méthode scientifique moderne et abouti à des résultats extraordinaires si l’on tient compte des moyens limités de l’époque : ainsi le calcul du diamètre de la terre par Eratosthène (IIIe siècle avant J.C.).  

Il est vrai aussi que l’intérêt pour la science semble   s’affaiblir dans le courant des IVe et   Ve siècles, au moment où le christianisme se répand dans l‘Empire. Ce n’est sûrement pas à cause de saint Augustin qui, combattant les théories gnostiques de Mani, note : « je ne trouvai chez cet auteur l’explication rationnelle ni des solstices, ni des équinoxes, ni des éclipses, ni de rien de ce que m’avait fait comprendre la sagesse profane »[1].  

Très tôt l’Eglise établit la distinction entre la vraie science (la « sagesse profane ») et les théories gnostiques fumeuses, qui tout en révérant le savoir, sont de la fausse science. N’opérant pas cette distinction, les positivistes de l’époque récente, qui croient reconnaitre   leurs ancêtres dans ces gnostiques dont ils ne connaissent pas les doctrines, imputent à tort au christianisme d’avoir toujours combattu la science.

Le christianisme a, d’ailleurs, dès le commencement, repris à son compte les anathèmes sans concession de la Loi juive à l’encontre de la sorcellerie (Lv 20, 6-8,  Dt 19, 31) et vivement déconseillé  le  recours à  l’astrologie, la magie, la chiromancie ( saint Augustin , Confessions IV, 3,4)  - et plus tard l’alchimie, déblayant ainsi le  chemin pour le véritable esprit positif. Il s’en faut de beaucoup que la philosophie comme la science païenne, non plus que les gnoses, se soient alors pleinement déprises de ces faux savoirs au sein d’une société antique où les pratiques superstitieuses étaient communes à tous les niveaux de la société.

Pour les mêmes raisons et du fait que l’astronomie ne s’était pas encore nettement détachée de l’astrologie ou la chimie de l’alchimie, certains hommes d’Eglise furent amenés à suspecter les unes comme les autres, faute de bien les distinguer.

C’est dans ce contexte que se produisit un des évènements les plus importants de l’histoire, le concile de Chalcédoine en 451.  L’objet immédiat en était la définition de la double nature du Christ : « Un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des natures n'étant nullement supprimée à cause de l'union, la propriété de l'une et l'autre nature étant bien plutôt gardée et concourant à une seule personne. » 

Marcel Gauchet[2] a montré comment ce texte a des  implications au-delà de la personne du Christ car il   a déterminé, plus largement, les relations entre la nature et le surnaturel dans l’espace chrétien.  En reconnaissant que les deux natures du Christ coexistent sans confusion et sans séparation, il autorise l’interprétation autonome de l’ordre naturel, en d’autres termes l’approche   scientifique, ne liant pas le surnaturel mais le laissant   dans son ordre propre, en même temps qu’il interdit toute approche préscientifique de type magique, fondée sur une confusion entre les deux ordres. Il en résulte entre autres que l’ordre   surnaturel (par exemple la prière) ne fait pas nombre avec la causalité naturelle.

Le philosophe Alexandre Kojève est allé plus loin en montrant que le dogme chrétien de l’incarnation a seul rendu possible la naissance de la physique mathématique (et donc de la science moderne).  « Peu de faits historiques sont aussi difficilement contestables que celui de la connexion entre la science et la technique modernes et la religion, voire la théologie chrétienne. » En tenant pour divine une parcelle   de l’univers physique, l’incarnation légitimait la possibilité   de découvrir des lois mathématiques dans le monde réel, ce que la philosophie   grecque (et les autres pensées, chinoise, indienne, juive, arabe) croyait   réservé aux réalités célestes. C’est pourquoi « la physique mathématique à vocation universelle est née au XVIe siècle en Europe occidentale et qu'on ne la trouve ni avant, ni ailleurs. Sans doute la retrouve-t-on de nos jours un peu partout dans le monde. Mais il n'en reste pas moins qu'elle ne se trouve que là, où se présente aussi sinon le christianisme en tant que religion, du moins la civilisation -   que nous n'avons aucune raison de ne pas appeler chrétienne. » [3]       

Le christianisme n’aurait-il pas néanmoins, à partir du Ve siècle, contribué au déclin des sciences, au moins en Occident ?  Il est vrai qu’au sein du mouvement monastique alors en pleine essor, beaucoup ne veulent connaitre que ce qui a trait au salut, soit l’Ecriture et les Pères d’Eglise, tenant pour inutile tout le reste, notamment la philosophie grecque.  Cette position ne fut toutefois pas unanime. Certains hommes d’Eglise s’attachèrent au contraire à préserver, dans un temps de barbarie, ce qui restait du savoir antique.  Ce savoir demeurant circonscrit, certains purent même en faire le tour, sachant tout ce qu’il y avait alors à savoir. Ainsi Isidore de Séville (550-636) qui écrivit ses Etymologies pour recenser tout le savoir de son temps ou Gerbert d’Aurillac (946-1003) devenu pape en 998 sous   le nom de Sylvestre II.

C’est par les manuscrits inlassablement recopiés   par les clercs que nous est parvenu le   savoir antique, avec des pertes il est vrai considérables, sans que l’on puisse dire que ces pertes   ont affecté davantage la science que la littérature, ni qu’elles aient été dues plus aux chrétiens qu’aux derniers païens, les uns et les autres victimes des désordres croissants de ce temps.

Dès les débuts du second millénaire, l’Europe désormais entièrement chrétienne se dégage peu à peu de l’obscurité où le déclin de la civilisation antique l’avait plongée, s’attachant notamment à reconstituer le savoir antique, avec l’aide de Byzance et, dans une moindre mesure, de l’Espagne musulmane.  

Ce retour progressif à la lumière (sinon aux Lumières) ne se sépare jamais d’une volonté de diffusion.  C’est au sein de l’Eglise   qu’ont été instituées   les premières universités (Italie, XIIe siècle), les premiers collèges secondaires (Ordre des Jésuites, XVIe siècle) et le premières écoles primaires (Saint Jean Baptiste de la Salle, XVIIe siècle).  C’est pour répandre les lumières de l ’Eglise que, en coordination avec les Lassaliens, le roi Louis XIV, par l’Ordonnance du 13 décembre 1698 obligea toutes   les paroisses de France à se doter d’une école élémentaire et les parents à y envoyer leurs enfants jusqu’à 14 ans.  De l’Eglise catholique sont sortis aussi les premiers hôpitaux.

On ne saurait comprendre l’essor de la science moderne sans cet effort progressif de l’Eglise pour éduquer peu à peu toutes les classes de la société, constituant ainsi un terreau    qui n’apparait dans aucune des civilisations jugées comparables comme l’Inde ou la Chine.  

 Comme l’a montré Kojève, c’est dans l’ombre du christianisme que la science moderne émerge aux XVIe et XVIIe siècles. Aussi ne sera-ton pas étonné que les premiers savants, Tycho Brahé, Kepler, Galilée, Pascal, Descartes, Newton, Harvey, Leibniz, aient fait profession d’être chrétiens, catholiques ou protestants, même si Newton refusa la Trinité et s’adonna avec passion à l’astrologie et à l’alchimie.   

Au cours des derniers siècles , au moins trois grands savants dont les découvertes ont été essentielles, furent des  prêtres, tout ce qu’il y a de plus  orthodoxes : le polonais Nicolas Copernic (1473-1543),  qui avait étudié aux universités  de Bologne et de Padoue, inventeur de la théorie héliocentrique du système solaire, cela un siècle avant  Galilée et sans que personne, de son temps,  ait objecté, le tchèque Grégor Mendel (1822-1884), moine augustin, découvreur des  lois de la génétique, le belge Georges Lemaître (1994-1966) , principal inventeur de  théorie du Big bang. Leur simple existence montre l’interconnexion profonde entre   l’histoire des sciences et l’institution ecclésiastique. 

Reste la malheureuse affaire Galilée, passée inaperçue en son temps, mais à laquelle, plus tard, la polémique protestante, puis la philosophie des Lumières donnèrent un retentissement qui se prolonge jusqu’à nos jours et qui n’a pas fait peu pour accréditer l’idée que l’Eglise catholique était ennemie du progrès des sciences.  

Des études récentes[4] ont relativisé cette manière de poser le problème.  Galilée (1564-1642) était profondément catholique : deux de ses filles se firent religieuses. Il put jusqu’ à près de 70 ans exercer ses activités scientifiques (ce n’était pas un métier, il était assez riche pour ne pas en avoir) sans rencontrer de problèmes majeurs. Son procès s’inscrit dans une querelle qu’il eut avec les Jésuites, l’un d’eux, le père Grassi, découvreur des taches solaires, ayant la chaire d’astronomie à l’université grégorienne. Tout en étant par ailleurs extrêmement éclairés, les Jésuites, tenaient   à ce qu’avait   dit Ignace de Loyola: « ne jamais s’éloigner d’Aristote », Aristote pour qui le soleil tournait autour de la terre. Cet attachement à Aristote fut peut-être plus important que la référence à la Bible où on cherche en vain une négation claire de la thèse héliocentrique.   La querelle fut envenimée par le tempérament de Galilée arrogant et indiscret.  Quand un de ses proches amis     fut élu pape sous le nom d’Urbain VIII, il le mit en difficulté en faisant ostensiblement état de sa proximité avec lui dans un contexte politique difficile, en pleine guerre européenne : le parti espagnol critiquait le pape pour ses orientions plutôt profrançaises et dénonçait son laxisme envers Galilée. De guerre lasse, le pape se crut obligé de le déférer au tribunal de l’Inquisition, où il se rendait chaque matin en carrosse, logeant chez l’ambassadeur de Florence. Les jésuites   l’avaient attaqué en sous-main pour sa supposée croyance en la théorie atomiste de Démocrite. Cela aurait été une accusation grave non seulement parce que les atomistes, anciens et modernes, étaient généralement    athées mais aussi parce que l’atomisme affaiblissait la théorie aristotélicienne distinguant l’essence des   choses de leur apparence, théorie qui permettait à la scolastique de rendre compte de l’eucharistie :    que devenait celle-ci si, au lieu de l’essence supposée divine du pain consacré, ne se trouvait qu’un tourbillon d’atomes ? Le pape écarta cette accusation pour ne retenir que la question de l’héliocentrisme jugée plus bénigne.   Galilée fut condamné à   une assignation à domicile (son palais de Florence), c’est à dire à se tenir éloigné de Rome et à une rétractation aussi humiliante que déplorable. Dès 1741, l’Eglise devait retirer de l’index l’œuvre de Galilée.

Moins qu’une opposition de principe entre la foi et la science, il faut voir dans cette affaire un règlement de comptes à la cour de Rome, une retombée de la guerre franco-espagnole et aussi une querelle entre écoles scientifiques, comme il y en a eu beaucoup dans l’histoire des sciences.

Formellement la théorie géocentrique   des épicycles de Ptolémée, issue d’Aristote, ne contredisait pas l’observation mais   elle était moins simple que la théorie héliocentrique et violait donc le principe d’Ockham selon lequel entre deux explications, la science doit choisir la plus simple. L’attitude de l ’université de Rome fut-elle différente de celle de la communauté scientifique refusant pendant 50 ans la seconde loi de la thermodynamique de Carnot-Clausius parce qu’elle semblait annoncer une fin du monde ou   celle de la très républicaine Académie des sciences écartant avec mépris la découverte de la pénicilline par Ernest Duchesne en 1897 (l’invention devait nous revenir d’Angleterre 35 ans plus tard)  ?

L’Eglise au demeurant avait quelques raisons de se méfier : des théories gnostiques qui assimilaient le Soleil à Dieu le Père, la Terre au Fils et l’éther entre les deux au Saint-Esprit (auxquelles aurait adhéré Kepler lui-même) étaient alors en circulation. Nous savons aujourd’hui que le soleil, pas plus que la terre, ne sont au centre du monde. 

Contrairement à ce que beaucoup croient, l’Eglise catholique n’a jamais formellement condamné la théorie de l’évolution – même si elle laissa ici et là quelques vicaires se déchaîner contre elles [5]; seuls professent une interprétation littérale de la Genèse de la création en sept jours les protestants évangélistes et les musulmans.  Comment aurait-il pu en être autrement ?  Origène et saint Augustin ne croyaient pas qu’il faille prendre à la lettre le début de la Genèse, qui conserve au demeurant le mérite de présenter, de manière symbolique, quelque chose comme une émergence progressive du monde qui converge avec les données contemporaines de la science. Le grand théologien anglais John Newman marqua de l’intérêt pour la théorie de Darwin, son contemporain. La mise à l’index des écrits de Teilhard de Chardin ne concernait   pas son adhésion à la théorie de l‘évolution mais l’évacuation du péché originel dans son système. L’encyclique Humanis generis (1950) marque l’adhésion, discrète il est vrai, de l’Eglise à la théorie de l’évolution, dont Jean Paul II devait déclarer plus tard qu’elle était « plus qu’une hypothèse ».

L’Eglise n’en a pas moins continué à combattre les gnoses, c’est à dire les fausses théories à prétention scientifique  dont la version moderne est l’idéologie, cela avec d’autant plus de détermination qu’elle y a vu un danger majeur pour les sociétés. La condamnation au bûcher de Giordano Bruno en 1600, pour contestable qu’elle soit,  ne fut pas celle d’un vrai scientifique mais d’un gnostique aux idées brumeuses.  L’Eglise n’a eu aucune réticence à s’opposer aux théories à prétention scientifique potentiellement destructrices pour la société comme le matérialisme dialectique, l’inégalité de races humaines ou aujourd’hui la théorie du genre.

Au fil des ans, elle a affiné sa formulation des relations entre   la foi et la science, inscrites elles-mêmes dans la problématique des relations de la foi et de la raison.

Les idées des Lumières relatives à l’opposition de science et de la foi s’étant plus ou moins imposées sous la Révolution française, la génération romantique revenue à la tradition s’engagea sur la voie du fidéisme, l’idée que la foi, qu’elle voulait retrouver, était une adhésion totalement irrationnelle à des idées non démontrables. Le Premier Concile du Vatican (1870) réagit en proclamant que la raison pouvait conduire à certaines vérités de la foi, comme l’existence de Dieu.   La théorie catholique sur ce sujet est claire : la raison et la révélation ont la même origine :  toutes deux viennent de Dieu et traitent du même sujet : le monde réel, physique ou métaphysique. Elles se sauraient donc se contredire. Si elles semblent le faire à un moment donné, la prudence du croyant doit l’amener à suspendre son jugement relatif à la théorie scientifique   qui semble aller contre  les données de la foi en attendant que la question soit    approfondie, précisément ce   que saint Robert Bellarmin avait conseillé à Galilée : présenter la théorie héliocentrique comme une hypothèse et non une certitude.

Encore faut-il s’entendre sur la notion de vérité scientifique.  Karl Popper a justement montré, après Claude Bernard et d’autres, qu’une théorie scientifique était une interprétation des faits à caractère toujours provisoire et que donc elle pouvait être un jour remise en cause. Ce qui ne doit pas nous amener à mépriser la solidité quasi-définitive de certaines théories.

Un exemple de l’intérêt de cet approfondissement :   dans Humanis generis, déjà citée, Pie XII refusa le polygénisme, l’idée que l’humanité actuelle pourrait descendre de   plusieurs lignées distinctes. Malgré son caractère très politiquement correct, cinq ans après la chute du nazisme, cette prise de position fut vivement contestée par le monde scientifique. Pourtant   l’évolution de la connaissance fait aujourd’hui pencher la balance vers le monogénisme, l’idée que l’humanité actuelle provient sinon d’un couple unique, du moins d’un très petit nombre d’hommes vivant ensemble.

Disons enfin qu’on ne saurait confondre  le refus du progrès des sciences qui, quoi qu’on dise, n’a jamais été la position  de l’Eglise , avec le refus de certaines méthodes de recherche attentatoires à ce qu’elle juge être la dignité de l’ homme , dans le but, non point de faire obstacle au progrès mais de  préserver cette dignité : au Moyen-Age, le  respect de cadavres conduisit certaines autorités ecclésiastiques  (pas toutes)  à interdire  la dissection ;  au XXe et XXIe siècles, le respect de l’embryon  humain fonde l’Eglise  à interdire    toute expérience sur lui. Pour respectable qu’elle soit, la recherche scientifique est une fin qui ne justifie pas tous les moyens.

A l’autre bout de la chaîne de la connaissance, on peut adhérer à certaines théories scientifiques sans approuver   toutes les applications qui peuvent en être faites : par exemple adhérer à la théorie d’Einstein selon laquelle la matière et l’énergie sont équivalentes et être hostile à l’arme nucléaire.  

Au total on retiendra que l’Eglise catholique et la science ont en commun une longue histoire qu’on ne saurait réduire à des schémas simplistes, marquée au contraire par de constantes synergies.      En censurant dès l’origine, dans la suite du judaïsme, toutes les formes de superstitions, en combattant les fausses sciences de type gnostique, en écartant à Chalcédoine toute confusion entre l ’ordre naturel et le surnaturel, en développant les universités et les autres formes d’enseignement de différents niveaux, le catholicisme (et plus largement le christianisme) a peu à peu mis en place ce qui devait être le berceau de la science moderne et de la civilisation scientifique.

 

 

 

 

 

[1] Saint Augustin, Confessions , Livre V, chapitre III

[2] Marcel Gauchet , Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985.

[3] Alexandre Kojève, L’origine chrétienne de la science moderne, in   Mélanges Alexandre Koyré, publiés à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, vol. I, 1964. Kojève ne se revendiquait pas chrétien.

 

[4] Pietro Redondi, Galilée hérétique , Gallimard 1985 ; Aimé Richard, La vérité sur l’affaire Galilée, F.-X. de Guibert, 2007.

[5] Seul un Décret de la commission biblique interdit  de mettre en doute une lecture littérale des principaux points de  la Genèse (1909) . On voit cependant  qu’il s’agit d’un texte de niveau hiérarchique inférieur .

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 15:21

 

Augustin Cochin, La machine révolutionnaire, Œuvres , préface de Patrice Guenifey , textes réunis, présentés et annotés  par Denis Sureau,  Tallandier.

Paru dans la revue Commentaire n°164, hiver 2018-2019

 

Ce n’est évidemment pas l’histoire officielle  laquelle,   de Michelet  à  Soboul en  passant par Aulard et Mathiez , a célébré  la gloire de la Révolution française, qui pouvait  nous aiguiller vers les études d’Augustin Cochin sur le même sujet.  Pas davantage les historiens contre-révolutionnaires   qui , tel Gaxotte, en sont restés à une approche  littéraire  de l’histoire.

C’est François Furet qui l‘a tiré de l’oubli  où il était tombé. C’est  Taillandier qui s’est récemment risqué à publier ses œuvres  principales .

Une des grande originalités d’Augustin Cochin, mort prématurément  en 1916, c’est que tout  en ayant un point de vue clairement contre-révolutionnaire, il étudie la Révolution avec une culture « moderne » :  il est  chartiste certes  mais aussi philosophe et sociologue .  Il n ’hésite pas à faire   appel à Durkheim ou Lévy-Bruhl pour comprendre ce qui  s’est  passé. Bref un homme de droite  intelligent, apte à croiser les cultures,  ce qui n’est  pas si fréquent. Comme son père, il s’est tenu à l’écart de l’Action française, peut-être parce qu’il était  plus subtil  que Maurras. 

Fils d’un député de centre-droit de la IIIe République ,  vivant dans une honnête aisance , il était,   avec beaucoup de  conviction mais dans la discrétion,  catholique.  Il en est mort : de multiples blessures l’auraient fondé à rester chez lui comme le lui conseillait sa famille. Il demanda au chauffeur de  son père de le conduire une dernière fois au front  car il considérait qu’ il  était du devoir de la bourgeoisie  de partager jusqu’au bout   les épreuves du peuple. Il n’en revint pas. Il fut incontestablement    un chercheur , parcourant la Bourgogne avec son automobile – à une époque où il n’y avait évidemment pas de routes goudronnées -  allant de village en village à la recherche des  sources. Il était en même  temps un philosophe de l’histoire.  

Parmi ses idées les plus originales, le rôle de sociétés de pensée ( maçonniques ou pas) dans  l’avènement et le développent de la Révolution  française. Analyse  sociologique d’abord :  il montre comment ces sociétés  qui se multiplièrent à partir de 1770, préparèrent – pour ne pas dire manipulèrent -  les élections aux Etats-généraux, puis se trouvèrent être  par  épurations successives le moteur principal de l’accélération du processus révolutionnaire jusqu’à  thermidor. Pour Cochin, comme pour Burke, 1794 est déjà en puissance  dans 1789 et même 1788.

Analyse philosophique surtout .  Cochin récuse toute théorie du complot ; il démonte le fonctionnement  de   ces sociétés ,  fondées au départ sur une libre  discussion sans prétention à l’application pratique,  ce qui les  conduisit à l’abstraction théorique,  et qui se trouvèrent  amenées peu à peu à mettre  ces idées en œuvre  sans renoncer  pour autant à leur abstraction.  La résistance du réel , nécessairement complexe, aidant , les hommes de ces sociétés  , la principale étant le Club des Jacobins,  en  tous les cas ceux qui n’avaient  pas été jetés du train  en route,    furent   conduits à imposer leurs schémas abstraits  par la terreur.

Augustin Cochin n’ emploie pas le mot idéologie, mais c’est  très précisément le processus idéologique qu’il décrit avec une rare sagacité  quarante ans avant Hannah Arendt . En étudiant cet évènement  emblématique que fut la Révolution française, Cochin nous initie à un de phénomènes les plus pervers qui aient marqué la modernité, phénomène dont  nous ne sommes peut-être pas autant sortis que nous pensons.

 

Roland HUREAUX

 

 

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 15:19

INQUIETANT MACRON

           05/10/2018

Il est permis de considérer que  les difficultés internes de la présidence Macron portent  sur de sujets d’une gravité relative. L’affaire Benalla pose la question d’un favori promu à des responsabilités disproportionnées par rapport à son âge et à  ses capacités, celle d’ anomalies de procédure dans l’enquête qui est menée sur lui  et  de  l’affleurement de  connexions  équivoques. A côté de cela, la CSG de personnes âgées, l’alourdissement des impôts sur les classes moyennes, le ralentissements économique, principales sources du mécontentement, tout comme  les excentricités du président  ( Fête de musique, visite à Saint Martin )  qui portent atteinte à l’image de sa fonction  n’ont rien de bouleversant .

N’oublions pas cependant que  l’affaire Benalla a   commencé  parce que l’intéressé  s’acharnait sur un homme à terre : étranges mœurs.

Mais le plus inquiétant dans le personnage touche aux affaires étrangères et n’est pas forcément connu du grand public ; c’est sur ce champ que l’on peut déceler  un curieux attrait pour ce qui touche  à la mort.

Le signe le plus flagrant est la nouvelle amitié de Macron avec  Kagame , le dictateur  du Rwanda . En termes d’ intérêt national, rien ne justifie que  le président français  soutienne la candidature de la ministre des affaires étrangères de ce pays au poste de secrétaire général de la francophonie.  Kagame a amplement montré à quel point il détestait la France.  Depuis 25 ans , il charge à jet continu , sans nul fondement, l’armée française des crimes qu’il a commis , lui. Il remplace le français comme langue d’enseignement  et officielle par l’anglais, il adhère au   Commonwealth.

Sa tyrannie est effrayante , ce qui n’empêche pas beaucoup de fonctionnaires internationaux, naïfs ou   voulant l’être,   d’admirer la gouvernance d’ un pays où les rues sont aussi propres qu’en  Corée du Nord.

Il est surtout   aujourd’hui de mieux  en mieux  établi  que le tyran Kagame n’est pas seulement, comme il l’a longtemps fait  croire,  l’ homme qui a sauvé  l’ethnie tutsi à laquelle il appartient d’un génocide  opéré  par les milices  de l’ancien président  hutu, Juvénal Habyarimana. Il  est d’abord  celui qui a déclenché les massacres du Rwanda en envahissant sans légitimité ce pays en 1990. Il est ensuite celui qui  a   fait  abattre l’avion qui   transportait le même  Habyarimana et le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira , deux hutus , le  6 avril 2014, attentat qui a marqué le point de départ des massacres les plus connus.  Il est surtout celui qui, une fois vainqueur, a engagé des représailles de masse contre les  Hutu    ( 93 % de la population  ) .  Massacres des Tutsi  proches de Kagame : entre 300 000 et 400 000 victimes ; massacres de Hutus et aussi de Congolais par les soldats de Kagame :  entre 4 et 8 millions .

Que le Rwanda sente la cadavre, qui le sait mieux que nos militaires de l’opération Turquoise , envoyée en interposition à l’été 1994 et  qui ont dû , dans des conditions effroyables,  évacuer et  enterrer  de milliers de cadavres ?

Kagame est pourtant  le nouvel ami de Macron :  il lui a déroulé le  tapis rouge  à l’Elysée, le 23 mai dernier l’Elyse, il l’a à nouveau  rencontré à l’ONU fin septembre,  tout cela pour préparer  l’élection de sa candidate  francophobe  à la tête de la francophonie.

Autre terrain miné : le frégate française Auvergne bombardait il y a quelques jours la Syrie du côté de Lattaquié ; il semble que cela se soit fait dans le cadre d’une opération conjointe avec des avions israéliens et  des forces britanniques. Dans quel but ? Pour soutenir les derniers djihadistes retranchés à Idlib que le gouvernement syrien d’apprête à réduire ?  Pour les faire gagner  ? C’est évidemment trop  tard . Seule explication : cet engagement   a pour but de  prolonger la guerre  et par là les souffrances  du peuple syrien.  Au risque de déclencher un conflit majeur avec la Russie : lors de l’opération évoquée,  un avion russe a été touché  - sans doute par une riposte syrienne mal ciblée mais qu’importe , pourquoi  jouer avec le feu   ?  Macron est cohérent avec cette ligne mortifère  quand il s’oppose au retour des réfugiés   syriens du Liban.

Inutile de dire que, pas davantage que dans l’ affaire rwandaise, il ne sert les intérêts de la France qui ferait mieux  de jouer l’apaisement et mettre ses entreprises   en ordre de bataille pour  reconstruire le pays.

Au vu de ces agissements  inquiétants , on se prend à dire : heureusement    que la France n‘est  plus qu’une  puissance moyenne qui ne peut  influer sur le destin du monde, heureusement qu’elle n’est dirigée que par  un personnage d’envergure moyenne qui , malgré ses goûts macabres, n’a pas les moyens de faire seul beaucoup de mal -  mais qui sait ?  Heureusement  en tous les cas que Trump et Poutine semblent, eux, rechercher    l’apaisement.

Macron n’en est  pas moins un homme inquiétant.  

 

Roland HUREAUX

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 15:17

 

Publié dans le Figaro du 24 juin 2018 sous le titre « La fiscalité locale, moins libérale que jamais »

 

Le gouvernement promet un « big bang » en matière de fiscalité locale ; les propriétaires ne doivent en attendre rien de bon.

Elu sur une image de libéralisme qui a paru confirmée par l’Ordonnance travail, Macron mérite-t-il cette réputation ?  

C’est douteux en matière  de   fiscalité locale. Un sujet loin d’ être négligeable puisque les collectivités consomment 11 % du PIB et assument 85  % des investissements civils del ’Etat (c’est à dire à peu près tous le investissements de proximité).

Or  le programme fiscal de l’actuel  nouveau président  va mettre la France  exactement dans l’état où se trouvait le Royaume-Uni à l’arrivée de Margaret  Thatcher.  

Rappelons où en étaient nos amis britanniques après vingt années dominées par la gauche : en majorité entre les mains des travaillistes, les collectivités  locales étaient devenues très dépensières et pour cause : la fiscalité,  essentiellement foncière,  était concentrée  sur 20-30 % de la population, celle  qui   votait conservateur. La majorité   profitait des services  locaux et de  programmes d’assistance  sans  y  contribuer. Autrement dit, les uns élisaient,  les autres payaient.

Le système n’était pas seulement  ressenti comme injuste, il constituait une incitation à la dépense. Appauvrissant les classes moyennes, notamment dans les grandes    villes industrielles du Nord de l’Angleterre et de l’Ecosse, il avait fait fuir les uns et découragé les autres . Le ressort de l’initiative avait disparu.

Qui ne se souvient de l’aspect  lugubre qu’avaient  les villes britanniques des années soixante-dix, y compris Londres ?

Une des réformes capitales de Margaret Thatcher fut celle des finances locales :  considérant qu’une collectivité locale était  une sorte de  club auquel tous les usagers des services publics devaient cotiser, elle introduisit un impôt qui serait payé par tous.  Elle poussa certes le bouchon un peu loin, inventant la  poll tax (contribution uniforme  par tête ), rappelant la  capitation d’Ancien régime  . Le tollé qui s’en suivit causa sa perte. Mais le principe d’ un impôt local qui serait  payé par tous , avec des  modulations,  fut maintenu.  On sait  comment les réformes  thatchériennes, celle-là et d’autres,  ont revitalisé le Royaume-Uni en particulier les villes de l’Angleterre noire

Revenons à la France : nous avions depuis toujours un impôt que toute le monde  payait , c’était la  taxe d’habitation, une des « quatre vieilles », héritées de l’impôt sur  les portes et   fenêtres instauré en 1789 . Elle  était proportionnelle la surface occupée, mais aussi fonction de la  pression fiscale de la commune,   s’ajoutant  pour les propriétaires-occupants  à la  taxe foncière .  Certes les  réformes de Jospin en  avaient exonéré les plus démunis mais elle restait  payée par environ 80 % de la population.

Le projet du gouvernement est de supprimer la taxe d’habitation en deux ans , ce qui conduira  à faire porter  l’ensemble  du poids de la fiscalité locale sur la taxe foncière. La charge qui va peser sur les propriétaires  sera d’autant plus écrasante que les dotations vont diminuer , que la taxe professionnelle , devenu CFE , n’est plus modulable et que les collectivités locales sont presque toutes incapables de faire des économies à court terme .  Ceux qui ont un patrimoine foncier important paieront l’IFI ( impôt sur la fortune immobilière ) au lieu de l’ISF , forcément plus lourd  pour compenser l’exonération des fortunes mobilières . Ne contribueront  plus en particulier les étrangers  qui sont rarement propriétaires , et d’une  façon générale ceux qui ne payaient déjà pas l’impôt sur le revenu.  Contribueront plus au contraire  les propriétaires fonciers,  les classes moyennes au sens large, presque exclusivement autochtones,  y compris les petits retraités ayant  épargné toute leur    vie pour acheter  un pavillon et qui , dans certaine communes, n’arrivent plus  à payer les taxes.  Un traitement particulièrement  défavorable sera appliqué aux résidences secondaires.   

Même causes, mêmes effets : le  dévoiement de la démocratie qu’avaient  connu  les villes anglaises avant Thatcher est à attendre de la réforme Macron :  si les contributeurs aux budgets locaux sont désormais une minorité, la porte sera grande ouverte à la  démagogie et à la dépense.

Il n’y que de mauvaises  raisons  à cette  réforme irresponsable.

La première, la moins grave, témoigne de l’emprise inégalée des logiques purement techniques.  La taxe d’habitation était la  plus lourde à recouvrer : beaucoup de petites cotes, le plus fort taux d’impayés.  Bercy qui compte sur des économies de fonctionnement l’a imposée  au détriment de toute considération  de  citoyenneté et d’équilibre social.

La seconde est plus grave : au motif de dégeler la fortune française, excessivement portée sur le foncier, dit-on,  ce sont les classes moyennes que l’on veut  laminer un peu plus, au bénéfice  d’un côté des  fortunes financières désormais  libérées  de l’ISF , de l’autre des  classes populaires  bénéficiaires de transferts .

Ceux qui appellent la France à plus de libéralisme -  et ils ont raison -  ne savent pas qu’il y en a de plusieurs sortes : celui qu’avait incarné  Margaret Thatcher était un libéralisme national,  soucieux d’épargner les  classes moyennes britanniques et , pour cela,  de limiter   les dépenses publiques et les transferts. Celui qu’incarne Macron est à l’opposé :  très favorable au   grand capital international qui trouve son intérêt   dans la réforme du Code du travail   et la suppression de l’ISF, il ne craint   pas  d’écraser un peu plus les classes moyennes, sans doute  coupables au travers de la propriété foncière, même modeste, d’avoir un enracinement , et ne se préoccupe  donc sérieusement   de réduire ni  les  dépenses publiques , ni  les   transferts, pompe aspirante de  l’immigration.

Il y a libéralisme et libéralisme. Celui qu’on prête  à Emmanuel Macron est aux antipodes des attentes des Français  et les  expose à bien  déconvenues.

Roland HUREAUX

 

 

 

 

Le gouvernement promet un « big bang » en matière de fiscalité locale ; les propriétaires ne doivent en attendre rien de bon.

 

 

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 15:14

MACRON EST-IL VRAIMENT INTELLIGENT ?

 

https://www.causeur.fr/macron-reformes-lepre-sondages-popularite-152849

29/07/2018

Depuis qu’il a été élu président de la France, il virevolte avec ce qui semble du brio. Ses discours, comme celui qu’il a récemment prononcé devant le Congrès réuni à Versailles, ont du style.  Beaucoup de Français pensent que notre pays est mieux représenté par lui.  Il a, à un degré caricatural, l’assurance bien connue des hauts fonctionnaires français -  qui, sur la scène internationale, ne plait pas à tout le monde et  ne signifie pas non plus qu’il ait des idées.   

L’OPA magistrale[1] qu’il a réalisée sur la France au printemps 2017 était assurément le signe d’une certaine intelligence.  En ce temps de confusion de toutes les valeurs, avoir violé les règles républicaines fondamentales qui tiennent chez nous   les juges éloignés des processus électoraux passe non pour une faute mais pour un exploit : bravo l’artiste, dit-on  !  La subversion du clivage gauche-droite qu’il a opérée n’est pas nouvelle mais jamais elle n’avait été poussée aussi loin.

Macron  fait preuve d’une incontestable habileté politicienne. Il est vrai que la bêtise d’une certaine droite, contaminée par les logiques techniciennes, lui facilite la tâche : en lançant des réformes qui plaisent à celle-ci comme celle du code du travail ou de la SNCF ou encore la sélection à l’entrée des universités, il conduit une partie de l’opposition républicaine à l’approuver et dès lors les Français à se demander à quoi elle sert.     

Il reste que l’intelligence, la vraie intelligence politique, ce n’est pas de savoir vibrionner au jour le jour ou de gérer sa « com », c’est la capacité à s’adapter au monde tel qu’il est.  

Ses nombreux faux-pas diplomatiques,  tant  à l’égard des Etats-Unis que  de l’Italie ou des pays du groupe de Visegrad, tout comme le conformisme de ses réformes, amènent à douter que  le nouveau président soit  vraiment aussi intelligent qu’on le  dit et qu’il le croit.

 

 

Une vision de l’Europe déphasée

 

Or sur ce plan, Macron donne, il faut bien le dire, des signes inquiétants de psychorigidité. D’abord, sur l’Europe. Discours après discours, il présente un plan de relance de l’Europe supranationale, d’un idéalisme exalté, sans paraître voir que cela  n’intéresse plus personne : ni aucun de nos partenaires, ni personne en France. Le président en est resté   sinon à Jean Monnet, du moins aux années 2000, au temps des grands débats sur la Constitution européenne et il n’a sûrement jamais compris   pourquoi le non l’avait emporté en 2005. Depuis, il y a eu le Brexit qu’il n’a pas avalé non plus ; et il y a l’opposition forcenée du groupe de Višegrad à tout approfondissement : loin de tendre la main à ces vieux pays, amis historiques de la France, il les insulte et se les met à dos.   La classe politique allemande, paralysée, s’arc-boute pour empêcher la montée de l’AFD, parti eurocritique. Les Italiens viennent de montrer qu’ils ne veulent pas de l’Europe de Bruxelles : Macron les rappelle à l’ordre avec arrogance, ignorant visiblement   combien les Italiens détestent les leçons de morale venues de France -   surtout après avoir été contraints d’accueillir seuls près de 800 000 réfugiés.  Irrité de voir que les choses ne vont pas comme il le souhaiterait, il ressort la vieille rengaine que l’Europe n’aurait pas dû être élargie, et va même jusqu’à qualifier de « lèpre » le « populisme » de ceux qui résistent    au projet européen. Demain des « vipères lubriques » ? On le dit ouvert mais il refuse le pluralisme , moderne mais il refuse l’histoire. 

 L’évolution de l’opinion publique n’est pas le seul signe de l’usure du projet européen : pour maintenir l’euro à flot, la Banque centrale européenne poursuit sa fuite en avant inflationniste (c’est le sens du quantitative easing) : jusqu’où ? Le vaisseau Europe fait eau de toute part ; Macron seul ne semble pas s’en apercevoir : est-ce le fait d’un homme intelligent ? Dans la défunte Union soviétique nul doute que Macron aurait été plutôt du côté de Brejnev (ou de Souslov[2] !)  que de Gorbatchev.

Le projet européen de Macron pourrait intéresser l’Allemagne sous un seul angle : la récupération de notre industrie de défense. Après le démantèlement d’Alstom dont il porte largement la responsabilité et au motif de faire l’Europe de la défense, le GIAT (le char Leclerc), la DCN (le Charles de Gaulle) sont en train de passer subrepticement sous pavillon allemand. Aveuglement ou volonté délibérée de laminer  la singularité française ? Beaucoup  se le demandent. 

 

Macron sur les rails

 

Même oubli de l’intérêt national au bénéfice de l’idéologie dans les rapports avec la Russie :  si le front ukrainien semble un peu calmé - grâce à Trump plus qu’à Macron  - ,  les sanctions à l’encontre de la Russie que Fillon voulait lever ne sont pas près   de l’être et lèsent toujours autant  les intérêts de la France. Si les Russes avaient apprécié l’invitation surprise du nouveau président à  célébrer la visite du tsar Pierre le Grand à Versailles, par-delà les ronds de jambe,  rien n’a changé quant au fond dans la relation franco-russe : les Russes s’en sont certainement aperçus.

De tous temps, les changements à la tête de l’Etat ont servi    à corriger la ligne politique d’un pays    quand elle était mal engagée, sans que le nouveau président ait à se désavouer.  Or elle l’avait été rarement  aussi mal  qu’en  Syrie sous Sarkozy et Hollande : la rupture totale des relations diplomatiques,  le soutien constant aux milices djihadistes, les  mêmes qui se félicitaient bruyamment des  attentats en France (  quand elles  ne les avaient  pas organisés) , la  diabolisation  hystérique et – infantile quand on sait comment se manipule aujourd’hui l’opinion internationale, - du gouvernement syrien,  tout en constituant une trahison des chrétiens d’Orient,  nous  ont aliéné inutilement  un pays , ancien mandat français, qui avait été au cours des deux  dernières décennies un partenaire précieux. Or Bachar a aujourd’hui pratiquement gagné la guerre, les augures du Quai d’Orsay (la « secte » néoconservatrice) qui prédisaient en 2011 sa chute en huit jours   en sont pour leurs frais.  Visiblement Macron reste sur la même ligne que ses prédécesseurs ; au lieu de s’adapter à la nouvelle donne, il laisse son ministre des affaires étrangères, le médiocre Le Drian, accuser toujours aussi   stupidement Assad de massacrer son peuple. Des forces spéciales françaises, armées d’hélicoptères [3],  sont présentes dans le nord de la Syrie, on se demande pour quoi y faire : même Sarkozy et Hollande n’étaient pas allés jusque là. Alors que Trump retire ses forces du pays, Macron y augmente  les siennes ; prétendant de manière ridicule avoir convaincu Trump de rester, il s’attire un démenti cinglant.  Tout aurait pu changer sur ce front et rien ne change [4]. Loin de déplacer les lignes, comme Trump a su le faire à sa manière avec la Corée du Nord, Macron reste sur le même rail.

 

Des réformes sans imagination

 

Dans les affaires intérieures, beaucoup louent le  dynamisme du nouveau président, ses multiples efforts pour faire « bouger la France ». Il   donne le vertige par la multiplication des projets de réforme.

Mais    quelles réformes ?  La vérité est que loin d’être originaux, les projets Macron étaient tous dans les cartons des ministères et ne sont que le prolongement des réformes effectuées au cours des quinze ou vingt dernières années, lesquelles ont si bien réussi à la France comme on sait !

 Au titre de la réforme de la fonction publique, il annonce la rémunération   au mérite de fonctionnaires ; sait-il qu’elle a été instaurée dès 2001 par une loi bien connue appelée « Lolf », mise en œuvre par Sarkozy et dont on connait déjà les   effets pervers ?   Faute de critères de rendement fiables, la porte a été ouverte à l’arbitraire, parfois à la   promotion (ou prime) canapé, l’ambiance s’ en est trouvée détériorée et le zèle découragé. Les  deux piliers de l’Etat  que sont le ministère des finances et  la représentation locale de l’Etat ont  été gravement désorganisées.  Macron veut aller encore plus loin…

Les Ordonnances  travail, auxquelles certains trouvent cependant  quelques aspects positifs, sont-elles autre chose qu’une   mise aux normes européenne ?  Comme l’est l’adhésion au Ceta, laquelle intervient      au moment   où un Jacques de la Rosière, ancien patron du FMI, remet en cause une partie des dogmes libre-échangistes.

La réforme de la SNCF est la transposition mécanique d’un règlement de Bruxelles.   Déjà affaiblie par la séparation, économiquement absurde mais imposée par le dogmatisme de la commission, des réseaux et de l’exploitation, la SNCF le sera plus encore.

En décembre dernier, le gouvernement s’est réuni au grand complet à Cahors pour marquer son intérêt ou la « France périphérique ». Il n’en est pas sorti une seule idée. Est annoncée, au contraire, la fermeture de milliers d’écoles   rurales pour renforcer les ZEP et sans doute celle de nombreuses petites lignes de chemin de fer. L’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km à l’heure, va d’abord toucher ces zones.

La réforme annoncée du bac est dans les cartons du ministère depuis des années. Elle s’inscrit dans la progressive déconstruction du système éducatif : course à la facilité, dilution de la notion de discipline scientifique, notes de gueule. 

Il est vrai que, par exception,  l’enseignement primaire semble géré par le ministre Blanquer plus intelligemment que par ses prédécesseurs :  il faudrait voir dans ce retour au bon sens l’influence de Brigitte Macron. Dommage qu’on   ne la voie pas ailleurs !

 

La communication d’abord

 

De cette réformite sans imagination, deux lectures.  Celle de l’oligarchie économique, médiatique, technocratique, des think tanks libéraux qui tous font chorus : la France a besoin d’être réformée ; tout le monde sait quelles réformes il faut faire.  Si on ne les a pas encore faites, c’est que les gouvernements successifs ont manqué de « courage ».

L’autre lecture se réfère à   Guy Debord : la société du spectacle (disons de communication) dans laquelle nous sommes entrés a besoin de s’étourdir de réformes, lesquelles, au point où nous en sommes, ne sauraient faire aller les choses que de mal en pis : « Le société du spectacle dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière »[5] . Dans cette optique, la réforme est d’abord un produit de communication (de « spectacle »).

Les réformes de type technocratique   ne font que suivre les logiques de celles qui les ont précédées et qui sont précisément les causes des problèmes. Avec Macron, nous les voyons  à l’œuvre de manière caricaturale. Comment espérer trouver les remèdes aux maux de l’Education nationale dans les cartons d’un ministère   qui est le responsable de ces maux ? La   technocratie française   élabore des   projets de réforme   qui, chacune dans son domaine, suit un schéma simple, voire simpliste, ignorant la  complexité des choses, en général le même depuis quarante ans : regrouper   les communes, fusionner   les services, étendre le mode de gestion privé, flexibiliser l’emploi, mettre aux   normes européennes ou internationales (celles de l’OCDE pour le bac). Face aux résistances, jamais, au grand jamais, leurs initiateurs se demanderont si dans ces résistances, il n’y aurait pas quelque chose de légitime.  On se contente d’y voir l’effet   de l’archaïsme, de la routine, d’un   conservatisme « bien français ». Nul   n’imagine que ce pourrait être à la technocratie de s’adapter.  Penser qu’il pourrait y avoir  de bonnes et de mauvaises   réformes comme il y a de bons et de  mauvais remèdes, est une question hors du champ  épistémologique de ceux qui nous dirigent, comme dirait Foucault. Réformer est devenu intransitif comme communiquer ou changer. Face à ces blocages, « enfin Macron vint »[6] , selon une expression dont on peut penser qu’elle était ironique.  Cette fois, ça passe où ça casse.

Macron, c’est jusqu’à  la caricature l’incapacité à critiquer à partir d’une connaissance du terrain  (qu’il n’a pas) ou  d’idées neuves (qu’il n’a pas non plus) les projets des administrations  que  la plupart du temps, le gouvernement  avalise. Loin d’apporter la touche du vrai chef (« l’œil du maitre ») comme le faisait par exemple un Pompidou, homme supérieurement intelligent, lui, et critique lucide des logiques technocratiques, Macron ne doute pas que les services aient, sur tous les sujets, raison. Comme en politique étrangère, il est sur les rails et il y reste. 

Tragique malentendu : les Français étaient las d’une classe politique usée, et en réalité d’une technocratie dont les projets étaient avalisés passivement par les politiques. Voulant du nouveau, ils élisent  quelqu’un qui ne   propose   rien d’autre que de donner un coup d’accélérateur aux réformes qu’inspire  la dite    technocratie.

Or la France d’aujourd’hui   rencontre des problèmes graves qui, comme jamais jusqu’ici, conditionnent son avenir. Ces problèmes :  démographie, désindustrialisation, dépenses publiques excessives, justice et insécurité, déliquescence de l’éducation nationale   Il y a là de quoi être inquiet :   Macron, prisonnier des logiques du passé, ne semble armé intellectuellement pour se saisir sérieusement d ’aucun de ces problèmes. Bien au contraire, la plupart de ses projets font craindre leur aggravation.

Comment s’étonner qu’au bout d’un an, s’installe le doute   sur la    capacité de Macron à vraiment réformer la France . Les Français ne vont pas tarder  à comprendre, avant lui sans doute,  qu’il se situe aux antipodes de ce qu’ils attendent. 

 

Le bon élève de Sciences po

 

Il  y a, disaient les Romains, pour chacun, un sommet, une acmé, un moment de la vie où il atteint sa pleine réussite.   Pour le jeune Macron, ce fut ses années Sciences po-ENA-Inspection des finances, sous l’égide    d’un Richard Descoings à l’heure de sa gloire.  La plupart des thèmes évoqués plus haut, de l’Europe supranationale à la privatisation des services publics et à la philosophie libérale–libertaire, connaissaient alors leur plus grande faveur, ils étaient si évidents que bien peu osaient les remettre en cause surtout s’ils voulaient sortir dans les premiers  de l’ENA, temple du politiquement correct. Typique de cette école, la rhétorique balancée du « en même temps ». Le mépris ostensible de la francophonie qui pousse Macron à faire ses discours en anglais avait déjà entrainé la multiplication des cours en anglais à la rue Saint-Guillaume, sans que la cote de l’école y ait d’ailleurs gagné. Dans le milieu fermé  qu’il  fréquentait  alors, la criminalisation de la France  coloniale, familière aux   universités américaines,  ce n’était pas une  provocation, c’était une évidence.

Macron est comme un animal  parfaitement adapté à un certain   milieu mais inadaptable ailleurs. Dans ce milieu, il peut certes faire preuve de brio. Mais il détone dès que l’environnement  change tant soit peu. Le nouveau président est aussi déphasé aujourd’hui  que l’était Mitterrand en 1981 avec son lourd  programme de nationalisations. Mais Mitterrand, vieil animal politique, avait su s’adapter. On ne voit pas à ce jour, le moindre indice que Macron en soit capable.

Comprendra-t-il que ce qu’il a appris à l’Institut d’études politiques de Paris il y a vingt ans est complétement à côté de la plaque dans une planète dominée par Poutine, Trump, Xi et qui voit partout la révolte des peuples contre les logiques technocratiques et le retour des stratégies nationales ?    On peut craindre que non.  

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]Olivier  Piacentini , OPA sur l’Elysée, Editions de Paris, juin 2018

[2] Idéologue marxiste qui représentait dans les années soixante-dix  le conservatisme le plus étriqué au Bureau politique du parti communiste soviétique.

[3] Forces modestes au demeurant, de l’ordre de la centaine.

[4] Hors la nomination récente d’un ambassadeur spécial, qui n’implique pas la reprise des relations diplomatiques.

[5] Guy Debord, La société du spectacle, 1966

[6] Commentaire, n°158, été 2017

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4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 15:13

FISCALITE LOCALE : MACRON, L’ANTI-THATCHER

 

Une politique fiscale régressive

 

Revue politique et parlementaire

24/5/2018

Elu sur une image de libéralisme qui a paru confirmée par l’assouplissement du Code du travail, Macron mérite-t-il cette réputation ?  Elu sur une image d’homme moderne, l’est-il vraiment ? 

On peut en douter en matière de   fiscalité locale. Un sujet loin d’être négligeable puisque les collectivités dépensent 11 % du PIB et assument 85 % des investissements civils del ’Etat (c’est à dire à peu près tous les investissements qui conditionnent la vie quotidienne des Français).

Si l’on considère que Margaret Thatcher constitue encore une référence en matière de libéralisme, il faut savoir que le programme fiscal d’Emmanuel Macron va mettre la France exactement dans l’état où se trouvait le Royaume-Uni à l’arrivée de la « Dame de fer ».  

 

 Une réforme libérale de fiscalité locale : l‘exemple de   de Mme Thatcher

 

Rappelons où en étaient les Britanniques après vingt années dominées par la gauche : en majorité entre les mains des travaillistes, surtout les grandes villes du Nord et de l’Est, et de l’Ecosse, les collectivités locales (essentiellement les bourgs ou comtés, les autres niveaux ne pesant guère alors) étaient devenues très dépensières et pour cause : la fiscalité, principalement foncière, était concentrée sur 20-30 % de la population, celle qui précisément votait conservateur. La majorité de la population jouissait des services et de programmes d’assistance locaux sans y contribuer. Autrement dit, les uns élisaient, les autres payaient.

Le système était ressenti comme injuste par une partie de la population ; il constituait aussi une incitation à la dépense. Pourquoi les municipalités travaillistes se seraient-elles   privées d’alourdir la fiscalité locale puisque cela ne gênait vraiment que ceux qui ne votaient pas pour elles ?  Appauvrissant les classes moyennes, elles avaient fait fuir les uns et découragé les autres. Le ressort de l’initiative avait disparu.  Qui ne se souvient de l’aspect sinistre qu’avaient les villes britanniques des années soixante-dix, y compris Londres ?

Une des réformes capitales de Margaret Thatcher fut celle des finances locales :  considérant, selon sa vision du libéralisme, qu’une collectivité locale était une sorte de club auquel tous les usagers des services publics devaient cotiser, et non un moyen d’opérer des transferts sociaux, elle introduisit un impôt local qui serait payé par tous.  Elle poussa certes le bouchon un peu loin, inventant ce qu’on a appelé la  poll tax (contribution uniforme  par tête ), rappelant la  capitation d’Ancien régime. Cela était évidemment exagéré et injuste,  notamment pour les familles nombreuses. Le tollé qui s’en suivit causa sa perte : elle dut céder sa place en 1992 à John Major. Mais le principe d’un impôt local qui serait payé par tous, avec de légitimes   modulations en fonction du revenu et de la situation familiale, fut maintenu.  Cette réforme, avec d’autres, a contribué à revitaliser le Royaume-Uni, en particulier les villes de l’Angleterre noire (anciennes régions industrielles).

 

La France fait le chemin inverse

 

Avec la réforme Macron, la France va faire le chemin inverse. Nous avions depuis toujours un impôt que toute le monde payait, quelle que soit sa situation de fortune, son revenu ou sa nationalité, c’était la taxe d’habitation, une des « quatre vieilles », héritées de l’impôt sur les portes et   fenêtres instauré en 1789. Au départ impôt d’Etat, elle était devenue au début du XXe siècle un impôt exclusivement local. Elle était proportionnelle à la surface occupée, mais aussi fonction de la pression fiscale de la commune, s’ajoutant pour les propriétaires-occupants à la taxe foncière.  Certes les réformes de Jospin en avaient exonéré les plus démunis mais elle restait payée par environ 80 % de la population.

Le projet du gouvernement est de supprimer la taxe d’habitation en trois ans. Qui va payer à la place des résidents ?  Pas les entreprises, et c’est heureux, puisque la taxe professionnelle, devenue la CFE, n’est plus modulable par les conseils municipaux. Il ne faut bien entendu rien attendre de l’Etat dont les dotations sont chaque année en diminution.  La réforme Macron conduira, de fait, à faire porter l’ensemble du poids de la fiscalité locale sur la taxe foncière. La charge qui va peser sur les propriétaires sera d’autant plus écrasante que les collectivités locales sont presque toutes incapables de faire des économies à court terme.  Ceux qui ont un patrimoine foncier important paieront, au lieu de l’ISF, l’IFI (impôt sur la fortune immobilière), forcément plus lourd    pour compenser l’exonération des fortunes mobilières. Ne contribueront plus en particulier les étrangers qui sont rarement propriétaires, et d’une façon générale ceux qui ne payaient déjà pas l’impôt sur le revenu.  Contribueront plus au contraire les propriétaires fonciers, les classes moyennes au sens large, presque exclusivement autochtones. Transfert de la population dans son ensemble vers les seuls propriétaires, des immigrés vers les Français indigènes, des travailleurs et retraités vers les non-travailleurs, rentiers ou assistés, voilà à quoi aboutira la réforme projetée.  N’imaginons pas que l’impôt foncier soit un impôt de riches : combien de petits retraités ayant épargné toute leur    vie pour acheter un pavillon doivent le mettre en vente au moment de la retraite car, dans certaines communes, ils n’arrivent plus à payer les taxes.  Quant aux immigrés, ils contribuaient, dès leur arrivée sur le sol français aux dépenses du pays, au travers de la taxe d’habitation. Ils ne le feront plus désormais. Une partie de la population, celle qui ne paye déjà pas l’impôt sur le revenu, ne contribuera désormais plus d‘aucune manière aux charges de la nation.  Elle ne sera   plus que bénéficiaire de prestations, certaines de ces prestations, comme les allocations familiales ou le logement social leur étant de plus en plus réservées, en application de la vieille ritournelle de l’Inspection des Finances selon laquelle il faut « cibler ceux qui en ont le plus besoin », qui a conduit Macron, d’abord comme ministre des finances, puis comme président, à exclure les ménages de revenu moyen ou supérieur de la politique familiale.

Toujours dans le même esprit « social », un traitement particulièrement défavorable sera, en matière d’impôt foncier, appliqué aux résidences secondaires.   

Comme la barque était déjà chargée, il y a des chances que nous ayons échappé à un autre projet évoqué par Macron dans sa campagne : augmenter le revenu imposable des propriétaires d’un loyer fictif sur le logement qu’ils occupent. Ce serait pour eux la double peine. Triple même pour les retraités touchés par l’alourdissement de la CSG.

 

Des risques économiques et sociaux

 

Même si elle ne touche que la taxe d’habitation, une telle réforme ne pourra qu’approfondir le fossé entre les « communautés ». Les « Français de souche » qui ont tendance à penser qu’ « il n’y en a que pour les étrangers » se verront confirmés dans leurs frustrations avec les conséquences électorales que l’on sait. 

Quant aux étrangers ou Français d’origine étrangère, en dehors des plus dynamiques, encore peu nombreux, qui accèdent à la propriété, ils ne connaitront désormais l’Etat français que comme bénéficiaires de prestations et plus du tout comme contribuables : est-ce bien le meilleur moyen de développer chez eux le sens de la citoyenneté ?  

On peut craindre en outre de la réforme Macron le dévoiement de la démocratie qu’avaient connu les villes anglaises avant Thatcher :  si les contributeurs aux budgets locaux sont désormais une minorité, la porte sera grande ouverte à la démagogie et à la dépense.

L’impact économique de cette réforme est déjà sensible dans le ralentissement du marché de l’immobilier, reflet des inquiétudes des accédants à la propriété qui peuvent, de proche en proche, s’étendre au reste de l’économie.

 

Contre les classes moyennes

 

Quelles raisons ont pu inciter Macron, d’abord à promettre, puis à réaliser une telle réforme ? Il faut bien le dire : il n’y en que de mauvaises.

La première, la plus simple, est la démagogie pure et simple : en exonérant de tout impôt près de la moitié de la population, sans dire ce qu’on ferait à la place, on ne pouvait évidemment qu’espérer récolter des voix, celles qui ont permis au président actuel de faire la différence.

L’autre raison est le suivisme aveugle par rapport aux propositions du ministère des finances, qui est le commun dénominateur à presque toutes les réformes de l’actuel quinquennat. Il témoigne de l’emprise inégalée des logiques purement techniques.    La taxe d’habitation était la plus lourde à recouvrer : beaucoup de petites cotes, le plus fort taux d’impayés.  Bercy qui compte sur des économies de fonctionnement l’a imposée au détriment de toute considération de citoyenneté et d’équilibre social, lesquelles ne sont visiblement pas son problème.

Mais par derrière ces considérations techniques, se cache toute une philosophie :  au motif de dégeler la fortune française, excessivement portée sur le foncier, dit-on, ce sont les classes moyennes que l’on veut laminer un peu plus, au bénéfice d’un côté des fortunes financières désormais libérées de l’ISF, de l’autre de la partie des classes populaires qui bénéficie des transferts, et d’abord de celle qui ne travaille pas.

 

Il y a libéralisme et libéralisme

 

Beaucoup appellent avec raison la France à plus de libéralisme. Savent-ils qu’il y en a de plusieurs sortes ? Celui qu’avait incarné Margaret Thatcher était un libéralisme national, soucieux d’épargner les classes moyennes britanniques tenues pour la colonne vertébrale de l’Angleterre et, pour cela, de limiter   les dépenses publiques et les transferts. Celui qu’incarne Macron est à l’opposé :  très favorable au   grand capital international qui trouve son intérêt   dans   la suppression de l’ISF financier, il ne craint   pas d’écraser un peu plus les classes moyennes, sans doute coupables au travers de la propriété foncière, même modeste, d’avoir un enracinement et des repères, et ne se préoccupe donc sérieusement   de réduire ni les dépenses publiques, ni les   transferts, pompe aspirante de l’immigration.

Poursuivre la politique de transferts, ne rien faire pour réduire les dépenses publiques, équilibrer les budgets par un alourdissement des impôts qui pèse surtout sur les classes moyennes, actifs et retraités, comment ne pas voir la continuité entre la politique Macron et celle de Hollande - dont il a été le conseiller économique et le ministre des finances ? 

Il y a libéralisme et libéralisme. Celui qu’on prête à Emmanuel Macron se situe clairement aux antipodes des attentes d’une grande partie des Français.

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

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