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Roland HUREAUX

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6 juin 2022 1 06 /06 /juin /2022 15:37

DEFENDRE LE QUOTIENT FAMILIAL

 

2012

 

Que François Hollande ait proposé de supprimer le quotient familial  déjà plafonné depuis  1981, témoigne d’abord  de son manque d’imagination : il a sans doute demandé des idées à ses correspondants de Bercy et on sait que l’illustre maison,  depuis trente ans, propose cela  dès qu’il manque de l’argent dans la caisse,   ce qui arrive souvent.

Mais il  n’est  pas le seul. Bruno Le Maire, en charge du programme de l’UMP,   avait  déjà,  il y a deux mois,  suggéré  d’imposer les allocations familiales.  La cible était la même.  Comme le célèbre barde gaulois, il fut immédiatement  ligoté et  bâillonné ! La proposition fit long feu.

Il  y a deux ans, il avait été question de supprimer la carte de famille nombreuse de la SNCF. Là aussi, devant le tollé, on la rétablit, plus avantageuse. Réussie parce que faite en catimini  fut par contre la  réduction des bonifications de retraites en fonction du nombre d’enfants,  suppression qui est une absurdité démographique

L’idée de réduire  les avantages familiaux, que la non-revalorisation régulière et le pompage continu  du régime famille au  bénéfice du régime vieillesse érode déjà au fil des ans, est récurrente. Mais elle  suscite heureusement de fortes résistances  dans la société française, bien au-delà d’associations familiales affaiblies. Juppé s’y était cassé les dents en 1995, Jospin en 1997. La leçon n’a pas encore été comprise apparemment : on oublie vite,  de nos jours.   

« Le quotient familial a pour objet de favoriser la natalité en général. Pas favoriser la natalité chez les classes modestes uniquement, mais chez tous les Français dans leur ensemble. », dit un blogueur pourtant  hostile  à la proposition de Hollande.

Non, il  ne s’agit,  à la base de ne  rien favoriser du tout, mais    d’établir une  simple  justice : serait-il juste, à revenu  égal, d’imposer de la même manière ceux qui élèvent des enfants et ceux qui n’en élèvent pas ?

Ce qu’on dit très peu : la politique familiale est en fait  la contrepartie des retraites obligatoires.  Ceux qui travaillent ont,  tous ensemble,  la charge du troisième  âge et celle du premier âge. La charge du troisième âge est largement mutualisée du fait des retraites par répartition. Qu’en compensation,  celle du premier âge fasse l’objet d’une  prise en charge collective au moins  partielle  est aussi une mesure de justice. D’autant que pour que demain le troisième  âge soit soutenu, il faut que  le premier le soit aujourd’hui. Les pays européens – presque tous sauf la France – qui ont perdu de vue cette logique  démographique  élémentaire   vont   le payer cher.

Quant au quotient familial lui-même, voté à l’unanimité en 1945, socialistes  et communistes compris, on peut en effet dire  qu’ il favorise les revenus élevés. Mais à l’âge où les enfants sont encore à charge – disons entre 25 et 45 ans,  bien peu gagnent des cent et des mille,   hormis  quelques golden-boys qui se targuent souvent  de ne pas avoir d’enfants et peut-être même votent à gauche.  Les revenus vraiment  élevés ne viennent, quand cela arrive,  dans notre société gérontocratique, que sur le tard , à un moment où les enfants sont  déjà grands.

A vrai dire, toute  proposition, quelle qu’elle soit,  qui tendrait à affaiblir le système d’aide aux enfants (nous préférons  cette  expression qui rappelle que  beaucoup   sont aujourd’hui  élevés dans des familles monoparentales ou recomposées ) aggraverait un double déséquilibre :

  • L’évolution conjuguée de l’impôt sur le revenu, qui , depuis trente ans, n’a cessé de baisser, des prestations familiales qui n’ont cessé d’être érodées et du quotient familial, qui, lui, a été plafonné , font que pour les  classes moyennes , les impôts  nets  payés  n’ont cessé de baisser pour ceux qui n’avaient pas d’enfants et d’augmenter  pour ceux qui en avaient.
  • Du fait du chômage, de la  baisse relative des salaires dans la valeur ajoutée,  et surtout de la fin de l’inflation ( qui  favorisait  les  jeunes qui achètent une maison), le rapport des revenus entre la partie médiane de la population : jeunes foyers, jeunes parents, jeunes salariés et la partie ancienne,  salariés en haut de l’échelle, retraités, n’a cessé de se dégrader au détriment des premiers. Que les référendums sur l’Europe aient donné le maximum de non chez  les jeunes actifs est significatif.  

Mais il est un paradoxe plus profond : le souci de rigueur  budgétaire « à l’allemande »  qui  sous-tend la politique de l’euro  est celui d’une société déjà  vieille et  frileuse pur qui la stabilité, notamment monétaire, est la valeur absolue. En revanche,  les tranches les plus âgées de la  population sont  les plus favorables à la monnaie unique, gage de  stabilité.  En « tapant », pour sauver celle-ci,  et  pour trouver des économies  sur les  transferts – ou déduction d’impôts - réservés au   soutien des plus jeunes, c’est dans une véritable spirale de mort que s’enfoncerait  la France.

On connaît la situation catastrophique de la démographie allemande. Depuis 2000 et pour  la première fois depuis 1870, il y a plus de naissances en France qu’en Allemagne. S’il y a quelque chose à prendre du modèle allemand, ce n’est sûrement  pas son évolution démographique. En envoyant un signal négatif, quel qu’il soit,   à ceux qui se préoccupent de reconduire les générations, c’est cette mauvaise voie que nous emprunterions.

 

Roland HUREAUX *

 

 

 

Vient de publier La grande démolitionla France cassée par les réformes, Ed. Buchet-Chastel, janvier 2012

 

  •  
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6 juin 2022 1 06 /06 /juin /2022 15:19

Chers Amis,

Après quelques mois de suspension dont je vous prie de bien vouloir m'excuser, je reprends mon blog.

Il commencera par tous les articles en retard, en principe en ordre chronologique ( les plus récents à la fin).

Certains sont datés , en particulier par rapport à la campagne présidentielle. Mais la plupart ont un intérêt général qui dépasse les circonstances qui les ont vus naître  et je pense  que vous y trouverez des enseignements  à caractère général qui retiendront  votre intérêt.

Ecrire prend du temps, tenir un blog, dans son aspect technique, aussi.

C'est pourquoi je recherche une personne qualifiée qui m'aiderait  à tenir le blog, sachant que c'est moi qui écrirai les articles. Je remercie par avance celui ou celle qui se proposera (roland.hureaux@orange.fr).

Bien cordialement.

Roland Hureaux

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4 mars 2022 5 04 /03 /mars /2022 16:51

Paru dans Liberté politique, mai 2021

 

Depuis la prise de fonction de Joe Biden, l’agressivité américaine vis-à-vis de la Russie   monte dangereusement, sans que cela doive nous étonner au vu des positions antérieures des démocrates.  Que le nouveau président ait qualifié Poutine de « tueur » le 17 mars dernier est assez stupéfiant :  c’est sans précédent dans les relations entre les deux pays.  Moscou a immédiatement rappelé son ambassadeur. Le   nouveau secrétaire d’Etat, Antony Blinken, avait déjà dit : « Nous allons travailler pour faire rendre des comptes à la Russie pour ses actes antagonistes et ses violations des droits de l’homme. »

L’exercice Defender Europe 2021 des forces de l’OTAN en Europe orientale qui commence s’est accompagné de provocations verbales du président de l’Ukraine qui ont obligé Poutine à faire une démonstration de force à la frontière des deux pays. Biden le matamore a dû composer.

 

Atmosphère de guerre à Washington

 

Dans leur cocon introverti, les Français ne se rendent pas compte de l’atmosphère qui règne à Washington vis-à-vis de la Russie. La plupart des décideurs démocrates sont persuadés que Poutine est Hitler et qu’il faudra l’arrêter comme les Européens auraient dû arrêter Hitler en 1936-38.   Les Européens qui devraient être mieux informés, au moins les Britanniques, ont une vision analogue.  La Pologne, les pays baltes et même l’Allemagne ne sont pas loin de raisonner de même.  L’hystérie antirusse règne tout autant dans les bureaux de Bruxelles et au Parlement européen.

Les think tanks américains   se livrent à des simulations dans l’hypothèse d’une guerre nucléaire limitée en Europe.

Que l’oligarchie américaine   se soit persuadée que le régime russe actuel était comparable au socialisme national allemand ( dit nazisme) explique la haine extraordinaire qui règne aujourd’hui en son sein vis-à-vis de la Russie. Les Russes, qui ont tendu   la main à plusieurs repises, en vain, aux Européens et même aux Américains ont fini par se rendre compte qu’il n’y avait rien à tirer ni des uns ni des autres.

Cette haine faisant craindre le pire, il importe de l’analyser pour la comprendre.

Le rejet du président Trump[1] par l’establishment qui a abouti à la désignation de Biden s’explique en partie par le fait qu’il fut suspecté de vouloir trouver un arrangement avec Poutine. Mis en accusation devant le Congrès pour cette supposée collusion, il parvint non sans mal à être innocenté mais sans éliminer tout soupçon. Il ne fait pas bon avoir aujourd’hui une attitude pacifique envers la Russie à Washington.

 

Puissance et valeurs

 

On pourrait se contenter d’expliquer cette attitude des Américains et de leurs alliés européens par leur ignorance abyssale de l’histoire et de la science politique. Bien qu’elle ait enseigné dans les universités de Princeton et de Columbia, nul d’entre eux ne semble avoir lu Hannah Arendt et donc compris la différence entre un régime totalitaire et idéologique et un simple régime fort qui défend   son intérêt national. Aussi bien dans le socialisme soviétique que dans le socialisme national allemand, prévaut une ambition universelle :  étendre la révolution prolétarienne dans le monde entier pour le premier, faire un homme nouveau à partir de la race supérieure, pour le second. L’ambition universelle entraine l’impérialisme, même si celui du socialisme soviétique fut contenu par la guerre froide. Il est clair que, par rapport à ces catégories, qui devraient être enseignées en première année de sciences politiques, Poutine n’a pas la volonté de répandre ses deux références majeures : le christianisme orthodoxe et le culte de la patrie russe et n’est donc pas un idéologue. S’il est normal qu’il se défende, il est aussi clair qu’il n’a nullement l’intention de partir à la conquête du monde.

En revanche, les Américains d’aujourd’hui, spécialement, ceux de la tendance dite « néo-conservatrice » et qui sont en réalité de gauche[2] ,  dès lors qu’ils veulent répandre les valeurs américaines à travers le monde, en obligeant par exemple les petits pays d’Afrique et l’Amérique latine à adopter le mariage homosexuel, ou en voulant, comme ils l’ont fait en 2011, démocratiser de force  les pays arabes, sont naturellement enclins à l’impérialisme. Qui d’autre a déclenché neuf guerres depuis 1990[3] ?   Il faut l’abyssale bonne conscience du puritanisme américain pour ne pas se rendre compte de ce que le reste de la planète sait : ce sont eux qui menacent la paix du monde.

Un pays est d’autant plus dangereux qu’il se croit investi de la mission de répandre des valeurs universelles. C’est pourquoi la Russie orthodoxe est bien moins dangereuse que la Russie communiste.   

Ne pas vouloir conquérir le monde ou y répandre ses idées ne signifie pas qu’on doive se laisser marcher sur les pieds.  Hors de l’idéologie,  reste le politique classique : tout pays indépendant veut être « prospère à l’intérieur et respecté à l’extérieur », spécialement dans son environnement immédiat. Toute grande puissance a le droit d’exiger un glacis de sécurité minimum, ce qui ne signifie pas qu’elle veuille l’élargir au monde entier. La France respecte l’indépendance de la Belgique mais elle prendrait sans doute mal que celle-ci reçoive sur son sol des batteries de missiles chinois pointés sur  Paris.

Tenir la Russie pour un Etat agressif et l’Amérique pour une championne de la paix alors que les armées de l’OTAN cernent la Russie tout autour : Pays baltes, Pologne, et même un temps Géorgie, témoigne d’un aveuglement singulier. Que dirait-on si c’étaient les armées russes qui stationnaient au sud du Rio Grande avec des missiles pointés sur les Etats-Unis ?

Poutine a certes commis une violation du droit international en annexant la Crimée.  Plus grave que l’indépendance conférée par les Etats-Unis au Kosovo ?  On peut en discuter. Il reste que la révolution dite de la place Maidan qui avait eu lieu en Ukraine en 2014, téléguidée de Washington[4], conduisait à ce que l’Ukraine rejoigne le nouveau cordon sanitaire établi par l’OTAN autour de la Russie. Que Poutine n’ait pas accepté que Sébastopol, base navale historique de la Russie, devienne une base de l’OTAN n’en fait pas un nouvel Hitler. Rien à voir entre l’annexion  de la Crimée et celle des Sudètes que sous-tendait un plan de conquête du monde.  Les Occidentaux ont aussi cru en 2011 que la Russie allait lâcher la Syrie, dernier allié qui lui restait au Proche-Orient, des neuf qu’elle avait du temps du communisme[5]. Même un homme aussi averti que Brezinski dit sur sa fin que la politique de Poutine était incompréhensible. Il nous semble au contraire qu’il n’y a en a pas de plus claire.

 

Rome et Carthage

 

Une autre raison de l’incompréhension des Etats-Unis pour la nouvelle Russie tient au vieux fantasme issu de la géopolitique de Mackinder (1861-1947) l’idée contestable que le pays qui tient la charnière entre l’Europe et l’Asie, le heartland, tient la clef de la domination du   monde. Pour le même Brezinski, la Russie cesse d’être une grande puissance si elle ne contrôle plus l’Ukraine. Sous les apparences scientifiques, cette théorie tient du fantasme. Elle n’en a pas moins conduit à l‘actuelle guerre d’Ukraine.  Pour les néo-conservateurs américains, si l’Ukraine et les anciennes républiques soviétiques échappaient au contrôle de Moscou, l’étape suivante serait un démantèlement progressif de la Russie en provinces plus ou moins indépendantes[6].  Qui s’étonnera que Poutine, très au courant de ces théories fumeuses, ne se soit pas laissé faire ?

Derrière cette volonté de réduire à néant la puissance russe qui s’exprime dans les sphères dirigeantes américaines, l’image de la rivalité entre Rome et Carthage. Curieusement, alors que durant la guerre froide, l’enjeu idéologique de la rivalité était essentiel, l’habitude avait été prise en Occident de penser que le communisme soviétique était une réalité pérenne avec laquelle, tout en la contenant, il fallait composer. Depuis que la Russie n’est plus porteuse d’une idéologie expansionniste et qu’il est donc possible de composer avec elle, c ‘est alors qu’on veut l’anéantir.

Mais ces considérations ne nous ont pas encore amené à la pointe extrême de l’explication de l’hostilité hystérique des  cercles dirigeants occidentaux à l’égard de la Russie de Poutine.  Pour la comprendre pleinement, il faut prendre en compte le fait idéologique.

 

Le fait idéologique

 

Les Russes le connaissent parfaitement : ils en sortent. Pendant 73 ans, de 1917 à 1990, ils ont vu chez eux les effets désastreux de l’idéologie marxiste-léniniste : oppression totalitaire, goulag, inefficacité économique, clochardisation morale sous l’effet de la destruction des valeurs traditionnelles, notamment religieuses. Ayant vécu une telle expérience, les ex-soviétiques sont, si l’on peut dire, vaccinés et n’ont nullement envie de la refaire. Ils savent que c’est l’attachement officiel à la religion orthodoxe, principale cible du marxisme et aux principes d’une politique purement nationale qui les en préserve.

Ils ne manquent pas de voir, avec bien plus de lucidité que nous, à quel point le fait idéologique, sous un nouvel avatar, s’est emparé aujourd’hui de l’Occident : démocratie et libéralisme mensongers, prétention de répandre des valeurs tenues pour universelles, prétention de faire un homme nouveau par la négation de la nature (au travers par exemple de la théorie du genre), négation des valeurs spirituelles et matérialisme antichrétien, recul des libertés.

Qu’est-ce que l’idéologie ?  Nous dirons qu’il s’agit d’une théorie politique ayant le double caractère d’être simplifiée et de se vouloir messianique. Simplifiée parce qu’elle enferme la réalité sociale dans des idées trop simples : lutte des classes ou lutte des races , suppression de la propriété, de la famille ou de la nation, libre-échange tenu pour un absolu. Inadaptés à une réalité sociale nécessairement complexe, ces principes ont toujours des effets pervers qui suscitent la dissidence des peuples.

Mais l’idéologie se veut également messianique : elle ambitionne  de faire avancer l’humanité vers un stade supérieur, une « fin de l’histoire », ce que l’on appelle de manière édulcorée le « progressisme ». L’enjeu du combat politique n’est donc pas seulement politique mais moral et métaphysique.  Même si le royaume de l’idéologie est de ce monde, il suscite, compte tenu de son enjeu, un fanatisme religieux qui a de nombreux effets : le manichéisme, la politique conçue comme une lutte du bien contre le mal, la légitimation, au nom de l’idéologie, de toutes les entorses aux principes les plus sacrés : lois constitutionnelles, régularité électorale, morale commune, libertés, démocratie, vérité. Entorses fondées sur l’idée que les peuples, naturellement rétrogrades , n’avanceront dans le sens du supposé progrès que si on les y contraint.   Comme on le voit aujourd’hui en Occident, l’idéologie (autrement dit le « politiquement correct ») refuse le débat et même le pluralisme, tout opposant à l’idéologie dominante « ne méritant pas d‘exister ». Les vrais ennemis de l’idéologie sont la common decency chère à Orwell, le bon sens, la, nature, la raison et, la plupart du temps, le fait religieux.

 

L’héritage des Lumières

 

Le fait idéologique, aujourd’hui si répandu, n’a pas toujours existé. Il est une suite de la philosophie des Lumières.  Tout dans les Lumières n’est pas idéologique. Mais elles ont pu, dans certains contextes, dégénérer en idéologie. Le rationalisme porte en lui la folie quand il part de schémas simples, trop simples, point de départ d’une logique implacable qui ne sait pas s’arrêter. Comment l’arrêter en effet sans basculer sur une autre logique, ce que l’idéologue est incapable de faire ? La déraison idéologique n’est pas le contraire de la raison, elle est la raison devenue folle dès lors qu’elle part de prémisses fausses – ou au mieux ultra-simplifiées - et que de là elle poursuit une démarche logique dont les conséquences ultimes sont folles. En tout état de cause, l’idéologie ne saurait appréhender la complexité du monde ou la complexité de ce qu’il faut prendre en compte pour gérer une société selon les voies de la politique ordinaire. Elle se réfère néanmoins à la science, une fausse science. Karl Marx, athée militant, disciple de Hegel et dont le système avait une prétention scientifique, s’inscrivait clairement dans la suite de la philosophie des Lumières. Malgré les apparences, Hitler aussi, au moins en partie, en ce que, déjà transhumaniste, il croyait à la possibilité de faire émerger par une démarche scientifique de type darwinien, le surhomme annoncé par Nietzsche. L’idéologie ultra-libérale et libertaire moderne a également  des présupposés scientifiques faux, comme la théorie du genre.

Les idéologies ont un caractère fusionnel : fusion de individus dans l’Etat fasciste et nazi, fusion des classes sociales et des propriétés individuelles dans le communisme, fusion des Etats, des sexes (genres), des races dans la théorie « libérale » libertaire et mondialiste. Elle suit ainsi la démarche inverse de la Genèse où Yahvé crée le monde par des dissociations progressives : la lumière et les ténèbres, la terre et le ciel, la terre et l’eau, les plantes et les animaux, les animaux et l’homme, l’homme et la femme. Elle s’oppose plus largement  à  la vie qui est différence. Le but de l’idéologie est au contraire l’indifférenciation, autre nom de la mort.

L’autre caractère de l’idéologie est la prétention à faire le salut de l’homme, non par un Royaume de cieux au caractère eschatologique, mais dès ce monde ci en faisant accoucher une société parfaite ou, au moins, en suscitant le « progrès » vers cet horizon – progrès qui rejette, sans débat, aux « poubelles de l’histoire »[7],  au statut de vil réactionnaire, tout ce qui pourrait s’y opposer. La croyance à un progrès séculier, voire   à un salut terrestre, opposé au salut eschatologique judéo-chrétien est aussi une conséquence des Lumières.

L’actuel régime russe, issu de la chute du communisme, lequel avait    montré les conséquences funestes d’une démarche idéologique issue des Lumières, est fondé, sur le rejet de toute idéologie et sur le retour aux valeurs traditionnelles du christianisme russe et de la tradition nationale. C’est en un sens une négation des Lumières, non pas pour un retour à un obscurantisme supposé   comme le disent ses opposants idéologues, mais pour des réalités humaines à la fois traditionnelles et fondamentales, comme la famille, plus naturelles et moins dangereuses que les raisonnements abstraits et pour finir criminels des idéologies.

A partir de là, Il est clair que la Russie actuelle s’inscrit comme une négation de toutes les idéologies, notamment du communisme et de l’ultralibéralisme libertaire. Ce que la guerre froide n’a pas permis de voir : la parenté profonde du communisme et du libéralisme occidental, qui ne sont que deux branches des courants issus des Lumières ; en définitive, la Russie de Poutine, si elle est bien moins dangereuse pour la paix du monde, représente une contestation beaucoup   plus radicale du libéralisme libertaire que ne l’était le communisme. Nous le voyons dans les anciens pays de l’Est où les adeptes les plus motivés de l’Europe supranationale (branche du mondialisme idéologique) et de ses prolongements libertaires   sont les anciens communistes alors que les anciens dissidents, comme Orban, soutiennent au contraire les voies traditionnelles.

On pourrait considérer la voie choisie par la Russie comme une voie parmi d’autres laquelle, après tout, ne devrait gêner personne et n’empêcherait pas de suivre leur propre chemin les pays ayant adopté des régimes idéologiques dits « progressistes », comme l’ont fait les pays occidentaux, en tous les cas leurs dirigeants ; mais, avons-nous dit, l’idéologie est à la fois universaliste et intolérante.  Ajoutons que sa capacité à s’étendre hors de sa sphère d’origine est, pour ses tenants, la preuve de sa vérité. C’est pourquoi l’existence même des choix traditionnalistes, comme celui de la Russie de Poutine, constitue une contradiction insupportable pour les adeptes du progressisme libéral libertaire occidental. Pout les adversaires les plus enragés de la Russie, comme Hillary Clinton, si Poutine a raison, alors   tout ce sur quoi ils ont fondé non seulement leur carrière mais leur vie perd sons sens. Poutine est haï parce que ses choix remettent en question à leur racine les bases de l‘idéologie sur laquelle fonctionne aujourd’hui l’Occident : leurre, l’Etat mondial, leurre, le libre-échange généralisé, leurre, la croyance au progrès (en dehors du progrès scientifique et technique), leurre la fin de l’histoire par la généralisation de la démocratie libérale (qui n’est plus ni démocratique ni libérale), leurre la théorie du genre etc.  Poutine pose aux dirigeants occidentaux une question de vie et de mort, non parce qu’il les menacerait militairement mais parce qu’il remet en cause radicalement tout ce qu’ils croient et en définitive ce qui fait leur raison d’être et leur pouvoir.

 

Idéologie et autisme

 

Ajoutons que la démarche idéologique engage ses adaptes dans une vision autiste du monde, encadrée par des concepts simplifiés, comme nous l’avons vu, et les rend radicalement incapables de comprendre ceux qui ne sont pas dans le même système, à fortiori ceux qui ne sont dans aucun système.

C’est ce qui explique l’invraisemblance bonne conscience du mainstream américain incarné aujourd’hui par le parti démocrate : les Etats-Unis ont des troupes tout autour de la Russie et c’est la Russie qui est agresseur.  Tous les médias soutiennent Biden, les opinions dissidentes sont pourchassées par les Gafams, et c’est l’Amérique qui est le pays de la liberté     et la Russie qui ne l’est pas.  Biden a été le vice-président d’Obama qui a décidé de centaines d’assassinats sans jugement à travers le monde   et c’est lui qui traite Poutine    de tueur ! Biden est soupçonné d’une gigantesque fraude électorale dont seule l’ampleur est incertaine et il ne doute pas d’ incarner la démocratie, C’est ce qu’on appelle l’inversion accusatoire, propre à tout système idéologique mais particulièrement inquiétante quand elle est de bonne foi. 

Il est bien connu que les Américains ont toujours eu du mal à comprendre le reste du monde. Cette incapacité n’a fait que s’accroître (en exceptant la parenthèse Trump), au fur et à mesure que le régime américain est devenu de plus en plus idéologique. A cet égard, la situation n’est pas la suite de ce qu’elle était du temps du communisme. Les universités et les think tanks américains savaient comment fonctionnait le communisme. La CIA aussi. Les Soviétiques, loin d’être aveuglés par leur idéologie, connaissaient leur adversaire libéral, surtout depuis que Staline avait tempéré le léninisme pur et dur en réhabilitant certaines réalités naturelles comme la patrie ou la famille.  Autre dissymétrie :   l’oligarchie soviétique, dès les années cinquante ,  avait   perdu la foi dans le communisme ; elle vivait dans le mensonge en le  sachant , ce qui lui permettait de comprendre le reste du monde ,   alors que l’oligarchie mondialiste d’aujourd’hui , elle,  croit toujours à son idéologie ; elle  croit  que Poutine est  Hitler, elle croit , contre l’évidence, qu’elle défend la démocratie libérale et la paix,  elle croit que l’avenir est à un Etat mondial, elle se ment à elle-même mais elle ne le sait pas.  « Nous pouvons instaurer la justice raciale et faire en sorte que l’Amérique redevienne la première force du Bien dans le monde » dit en toute bonne foi Biden.  A la différence des dirigeants américains de la guerre froide, l’Amérique n’est guère armée intellectuellement pour comprendre la Russie.   Alors que, sous la guerre froide, ils se comprenaient réciproquement, aujourd’hui, les Russes comprennent très bien les Américains car ils savent comment fonctionne l’idéologie, mais les Américains ne comprennent pas les Russes. Est-il nécessaire de dire qu’une telle situation est porteuse des plus dangereux malentendus ?

 

Roland HUREAUX

 

[1] Il fait peu de doutes que les démocrates se sont livrés à une fraude  gigantesque dans cette élection. A-t-elle renversé le résultat ? Il est difficile de le dire.

[2] Le néo-conservatisme est un terme fallacieux :  désignant un impérialisme idéologique fondé sur les valeurs dites « libérales », il a été fondé par des trotskystes qui se sont d’abord appuyés sur les Républicains, puis sur les Démocrates.

[3] Koweït (la plus excusable, en théorie défensive), Rwanda (selon Boutros-Ghali), Kosovo, Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Ukraine, Yémen.

[4] « Un coup d’Etat de la CIA » (Valéry Giscard d’Estaing)

[5] Syrie, Irak, Libye, Algérie, Yémen du Sud, Ethiopie, Somalie, OLP, Afghanistan après 1979.

[6] Zbigniew Brezinski, Le grand échiquier, 1998.

[7] Une expression aujourd’hui perdue de vue, issue de la doxa marxiste du temps de Staline.

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19 novembre 2021 5 19 /11 /novembre /2021 14:06

« C’EST CELUI QUI LE DIT QUI L’EST »

 

Discours de haine et inversion accusatoire

 

Les Antifas tentent d’empêcher une réunion publique d’Éric Zemmour à Nantes tout en demandant, impunément, qu’on l’assassine . Cent cinquante journalistes appellent dans Mediapart à faire le black-out sur sa campagne au nom de la lutte contre le fascisme, le racisme, l’homophobie : « nous ne serons pas complices de la haine » disent-ils.

Ces positions suscitent bien entendu une indignation légitime, surtout quand elles sont adoptées par des hommes de gauche qui cultivaient autrefois les valeurs la liberté, de tolérance, d’ouverture au débat auxquelles ils ont aujourd’hui manifestement tourné le dos. De telles prises de position, qui sont loin d’être isolées, laissent augurer une campagne présidentielle d’une extrême violence, porteuse de tous les dangers, analogue à celle qui a eu lieu il y a un an aux Etats-Unis.

 

Le fait idéologique

 

Il est difficile de comprendre cette montée aux extrêmes sans faire référence à l’idéologie au sens que Hannah Arendt donnait à ce terme. Par rapport à ce critère, non, Zemmour et ses adversaires ne doivent pas être mis dans le même sac.    Seuls ses adversaires de gauche adoptent, et cela sur presque tous les sujets, des postures idéologiques. Idéologie :  conjonction de la simplification de la pensée et du messianisme, projet politique qui ambitionne de reconstruire le monde à partir d’une vision erronée de la société et de l’histoire. Simplification, l’idée que le monde sera meilleur si les nations, mais aussi les cités, les tribus, n’ont plus droit à l’existence, simplification la conviction  que le masculin et le féminin ne sont que des constructions culturelles destinées à cacher la domination masculine et que le salut du monde passe par leur abolition. Simplification l’idée que le monde doit aller vers une suppression de la police (ce qui arrive aux Etats-Unis dans certaines villes démocrates, livrées à l’anarchie ) et que ce qui se joue dans les tribunaux n’est qu’un rapport de domination. Simplification que de penser que le monde doit aller  vers un métissage généralisé.  Contrairement à ce que croient les idéologues, le monde est complexe.

A partir de ces simplifications, ils construisent une utopie   de portée quasi-métaphysique : fin de l’oppression de classe, de race, de sexe, des frontières etc.  Ce qu’on appelle paresseusement le progressisme, c’est cela : fixer une direction à la société vers un mieux utopique qui parait à ses adeptes si évidente et si nécessaire qu’ils n’imaginent pas que tout le monde ne s’y rallie pas.  Dès lors nait une intolérance absolue : ceux qui ne se rallient pas sont soit bornés soit pervers.  Pour que le projet se réalise, il faut qu’ils soient éliminés par tous les moyens, y compris la force, et ne méritent surtout pas que l’on discute avec eux.

Dans une compétition électorale, le débat peut rester serein si aucun des deux camps n’est dans une démarche idéologique. Il tournera à la guerre civile si les deux le sont : par exemple dans l’Espagne de 1936.  Il le sera aussi si un seul des deux camps fonctionne sur un mode idéologique. C’est ce qui se passe aujourd’hui.

C’est dire que dans les débats pré-présidentiels actuels, il ne faut pas établir de fausse symétrie. Même si Darmanin découvre  toutes  les semaines  un groupuscule radical   qu’il situe à l’extrême droite, ce groupuscule   n’a aucun rapport avec Eric Zemmour ; et si ce dernier  n’existait pas, nul doute que les idéologues trouveraient un nouvel adversaire à diaboliser car l’idéologie a besoin d’une bête noire. Dans les années soixante, c’est le général de Gaulle lui-même qu’on traitait , à jet continu, de fasciste.

Pour savoir qui est l’idéologue, il faut chercher qui est le premier à user de méthodes violentes, ou qui est le plus violent. Dans la situation actuelle, la réponse est claire : c’est l’extrême-gauche qui ne veut pas jouer le jeu.

 

L’inversion accusatoire   

 

Mais alors pourquoi ces gens prétendent-ils lutter contre la haine ?   C’est que la démarche idéologique revêt un autre caractère, ce qu’on peut appeler l’inversion accusatoire : le fait d’accuser l‘autre de ses propres turpitudes avec tant de véhémence que l’opinion non prévenue peut s’y tromper. Si l’un des deux camps accuse l’autre, sur un ton hystérique, d’être haineux, une chose est certaine, c’est que lui l’est. « C’est celui qui le dit qui l’est » dit-on dans les cours de récréation.

On peut reconnaitre la démarche idéologique à différents symptômes que nous avons relevés : simplification, utopie, sens falsifié de l’histoire, manichéisme – il y en a d’autres.  Mais il y a un  symptôme sûr :  l’inversion accusatoire.

Dès qu’elle apparait dans la confrontation, rien ne sert de s‘indigner, et il ne faut   surtout pas se laisser intimider, il faut comprendre que c’est là le signe le plus manifeste de la démarche idéologique avec tout ce qui va avec : intolérance, refus du débat, violence verbale conduisant à la violence physique, remise en cause de toutes les règles du jeu, éthiques ou juridiques, et … haine.

Dès lors qu’on ne la confond pas avec les oppositions religieuses ou le souci légitime de l’identité, la vraie haine raciste est rare en France. Elle n’atteint pas en tous les cas le degré de fureur de la haine antiraciste ou prétendue telle.   C’est peut-être le plus grand inconvénient de la « diversité » promue par certains, c’est qu’elle ouvre la porte à la haine antiraciste laquelle, comme toute haine idéologique est hyperbolique – souvenons nous des « vipères lubriques » de Staline.  C’est là aujourd’hui le danger ; il faut le conjurer et pour le conjurer le bien comprendre.   Il en va de l’avenir de la démocratie.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

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9 novembre 2021 2 09 /11 /novembre /2021 19:59

MACRON EST-IL VRAIMENT INTELLIGENT ?

 

https://www.causeur.fr/macron-reformes-lepre-sondages-popularite-152849

29/07/2018

Depuis qu’il a été élu président de la France, il virevolte avec ce qui semble du brio. Ses discours, comme celui qu’il a récemment prononcé devant le Congrès réuni à Versailles, ont du style.  Beaucoup de Français pensent que notre pays est mieux représenté par lui.  Il a, à un degré caricatural, l’assurance bien connue des hauts fonctionnaires français -  qui, sur la scène internationale, ne plait pas à tout le monde et  ne signifie pas non plus qu’il ait des idées.   

L’OPA magistrale[1] qu’il a réalisée sur la France au printemps 2017 était assurément le signe d’une certaine intelligence.  En ce temps de confusion de toutes les valeurs, avoir violé les règles républicaines fondamentales qui tiennent chez nous   les juges éloignés des processus électoraux passe non pour une faute mais pour un exploit : bravo l’artiste, dit-on  !  La subversion du clivage gauche-droite qu’il a opérée n’est pas nouvelle mais jamais elle n’avait été poussée aussi loin.

Macron  fait preuve d’une incontestable habileté politicienne. Il est vrai que la bêtise d’une certaine droite, contaminée par les logiques techniciennes, lui facilite la tâche : en lançant des réformes qui plaisent à celle-ci comme celle du code du travail ou de la SNCF ou encore la sélection à l’entrée des universités, il conduit une partie de l’opposition républicaine à l’approuver et dès lors les Français à se demander à quoi elle sert.     

Il reste que l’intelligence, la vraie intelligence politique, ce n’est pas de savoir vibrionner au jour le jour ou de gérer sa « com », c’est la capacité à s’adapter au monde tel qu’il est.  

Ses nombreux faux-pas diplomatiques,  tant  à l’égard des Etats-Unis que  de l’Italie ou des pays du groupe de Visegrad, tout comme le conformisme de ses réformes, amènent à douter que  le nouveau président soit  vraiment aussi intelligent qu’on le  dit et qu’il le croit.

 

 

Une vision de l’Europe déphasée

 

Or sur ce plan, Macron donne, il faut bien le dire, des signes inquiétants de psychorigidité. D’abord, sur l’Europe. Discours après discours, il présente un plan de relance de l’Europe supranationale, d’un idéalisme exalté, sans paraître voir que cela  n’intéresse plus personne : ni aucun de nos partenaires, ni personne en France. Le président en est resté   sinon à Jean Monnet, du moins aux années 2000, au temps des grands débats sur la Constitution européenne et il n’a sûrement jamais compris   pourquoi le non l’avait emporté en 2005. Depuis, il y a eu le Brexit qu’il n’a pas avalé non plus ; et il y a l’opposition forcenée du groupe de Višegrad à tout approfondissement : loin de tendre la main à ces vieux pays, amis historiques de la France, il les insulte et se les met à dos.   La classe politique allemande, paralysée, s’arc-boute pour empêcher la montée de l’AFD, parti eurocritique. Les Italiens viennent de montrer qu’ils ne veulent pas de l’Europe de Bruxelles : Macron les rappelle à l’ordre avec arrogance, ignorant visiblement   combien les Italiens détestent les leçons de morale venues de France -   surtout après avoir été contraints d’accueillir seuls près de 800 000 réfugiés.  Irrité de voir que les choses ne vont pas comme il le souhaiterait, il ressort la vieille rengaine que l’Europe n’aurait pas dû être élargie, et va même jusqu’à qualifier de « lèpre » le « populisme » de ceux qui résistent    au projet européen. Demain des « vipères lubriques » ? On le dit ouvert mais il refuse le pluralisme , moderne mais il refuse l’histoire. 

 L’évolution de l’opinion publique n’est pas le seul signe de l’usure du projet européen : pour maintenir l’euro à flot, la Banque centrale européenne poursuit sa fuite en avant inflationniste (c’est le sens du quantitative easing) : jusqu’où ? Le vaisseau Europe fait eau de toute part ; Macron seul ne semble pas s’en apercevoir : est-ce le fait d’un homme intelligent ? Dans la défunte Union soviétique nul doute que Macron aurait été plutôt du côté de Brejnev (ou de Souslov[2] !)  que de Gorbatchev.

Le projet européen de Macron pourrait intéresser l’Allemagne sous un seul angle : la récupération de notre industrie de défense. Après le démantèlement d’Alstom dont il porte largement la responsabilité et au motif de faire l’Europe de la défense, le GIAT (le char Leclerc), la DCN (le Charles de Gaulle) sont en train de passer subrepticement sous pavillon allemand. Aveuglement ou volonté délibérée de laminer  la singularité française ? Beaucoup  se le demandent. 

 

Macron sur les rails

 

Même oubli de l’intérêt national au bénéfice de l’idéologie dans les rapports avec la Russie :  si le front ukrainien semble un peu calmé - grâce à Trump plus qu’à Macron  - ,  les sanctions à l’encontre de la Russie que Fillon voulait lever ne sont pas près   de l’être et lèsent toujours autant  les intérêts de la France. Si les Russes avaient apprécié l’invitation surprise du nouveau président à  célébrer la visite du tsar Pierre le Grand à Versailles, par-delà les ronds de jambe,  rien n’a changé quant au fond dans la relation franco-russe : les Russes s’en sont certainement aperçus.

De tous temps, les changements à la tête de l’Etat ont servi    à corriger la ligne politique d’un pays    quand elle était mal engagée, sans que le nouveau président ait à se désavouer.  Or elle l’avait été rarement  aussi mal  qu’en  Syrie sous Sarkozy et Hollande : la rupture totale des relations diplomatiques,  le soutien constant aux milices djihadistes, les  mêmes qui se félicitaient bruyamment des  attentats en France (  quand elles  ne les avaient  pas organisés) , la  diabolisation  hystérique et – infantile quand on sait comment se manipule aujourd’hui l’opinion internationale, - du gouvernement syrien,  tout en constituant une trahison des chrétiens d’Orient,  nous  ont aliéné inutilement  un pays , ancien mandat français, qui avait été au cours des deux  dernières décennies un partenaire précieux. Or Bachar a aujourd’hui pratiquement gagné la guerre, les augures du Quai d’Orsay (la « secte » néoconservatrice) qui prédisaient en 2011 sa chute en huit jours   en sont pour leurs frais.  Visiblement Macron reste sur la même ligne que ses prédécesseurs ; au lieu de s’adapter à la nouvelle donne, il laisse son ministre des affaires étrangères, le médiocre Le Drian, accuser toujours aussi   stupidement Assad de massacrer son peuple. Des forces spéciales françaises, armées d’hélicoptères [3],  sont présentes dans le nord de la Syrie, on se demande pour quoi y faire : même Sarkozy et Hollande n’étaient pas allés jusque là. Alors que Trump retire ses forces du pays, Macron y augmente  les siennes ; prétendant de manière ridicule avoir convaincu Trump de rester, il s’attire un démenti cinglant.  Tout aurait pu changer sur ce front et rien ne change [4]. Loin de déplacer les lignes, comme Trump a su le faire à sa manière avec la Corée du Nord, Macron reste sur le même rail.

 

Des réformes sans imagination

 

Dans les affaires intérieures, beaucoup louent le  dynamisme du nouveau président, ses multiples efforts pour faire « bouger la France ». Il   donne le vertige par la multiplication des projets de réforme.

Mais    quelles réformes ?  La vérité est que loin d’être originaux, les projets Macron étaient tous dans les cartons des ministères et ne sont que le prolongement des réformes effectuées au cours des quinze ou vingt dernières années, lesquelles ont si bien réussi à la France comme on sait !

 Au titre de la réforme de la fonction publique, il annonce la rémunération   au mérite de fonctionnaires ; sait-il qu’elle a été instaurée dès 2001 par une loi bien connue appelée « Lolf », mise en œuvre par Sarkozy et dont on connait déjà les   effets pervers ?   Faute de critères de rendement fiables, la porte a été ouverte à l’arbitraire, parfois à la   promotion (ou prime) canapé, l’ambiance s’ en est trouvée détériorée et le zèle découragé. Les  deux piliers de l’Etat  que sont le ministère des finances et  la représentation locale de l’Etat ont  été gravement désorganisées.  Macron veut aller encore plus loin…

Les Ordonnances  travail, auxquelles certains trouvent cependant  quelques aspects positifs, sont-elles autre chose qu’une   mise aux normes européenne ?  Comme l’est l’adhésion au Ceta, laquelle intervient      au moment   où un Jacques de la Rosière, ancien patron du FMI, remet en cause une partie des dogmes libre-échangistes.

La réforme de la SNCF est la transposition mécanique d’un règlement de Bruxelles.   Déjà affaiblie par la séparation, économiquement absurde mais imposée par le dogmatisme de la commission, des réseaux et de l’exploitation, la SNCF le sera plus encore.

En décembre dernier, le gouvernement s’est réuni au grand complet à Cahors pour marquer son intérêt ou la « France périphérique ». Il n’en est pas sorti une seule idée. Est annoncée, au contraire, la fermeture de milliers d’écoles   rurales pour renforcer les ZEP et sans doute celle de nombreuses petites lignes de chemin de fer. L’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km à l’heure, va d’abord toucher ces zones.

La réforme annoncée du bac est dans les cartons du ministère depuis des années. Elle s’inscrit dans la progressive déconstruction du système éducatif : course à la facilité, dilution de la notion de discipline scientifique, notes de gueule. 

Il est vrai que, par exception,  l’enseignement primaire semble géré par le ministre Blanquer plus intelligemment que par ses prédécesseurs :  il faudrait voir dans ce retour au bon sens l’influence de Brigitte Macron. Dommage qu’on   ne la voie pas ailleurs !

 

La communication d’abord

 

De cette réformite sans imagination, deux lectures.  Celle de l’oligarchie économique, médiatique, technocratique, des think tanks libéraux qui tous font chorus : la France a besoin d’être réformée ; tout le monde sait quelles réformes il faut faire.  Si on ne les a pas encore faites, c’est que les gouvernements successifs ont manqué de « courage ».

L’autre lecture se réfère à   Guy Debord : la société du spectacle (disons de communication) dans laquelle nous sommes entrés a besoin de s’étourdir de réformes, lesquelles, au point où nous en sommes, ne sauraient faire aller les choses que de mal en pis : « Le société du spectacle dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière »[5] . Dans cette optique, la réforme est d’abord un produit de communication (de « spectacle »).

Les réformes de type technocratique   ne font que suivre les logiques de celles qui les ont précédées et qui sont précisément les causes des problèmes. Avec Macron, nous les voyons  à l’œuvre de manière caricaturale. Comment espérer trouver les remèdes aux maux de l’Education nationale dans les cartons d’un ministère   qui est le responsable de ces maux ? La   technocratie française   élabore des   projets de réforme   qui, chacune dans son domaine, suit un schéma simple, voire simpliste, ignorant la  complexité des choses, en général le même depuis quarante ans : regrouper   les communes, fusionner   les services, étendre le mode de gestion privé, flexibiliser l’emploi, mettre aux   normes européennes ou internationales (celles de l’OCDE pour le bac). Face aux résistances, jamais, au grand jamais, leurs initiateurs se demanderont si dans ces résistances, il n’y aurait pas quelque chose de légitime.  On se contente d’y voir l’effet   de l’archaïsme, de la routine, d’un   conservatisme « bien français ». Nul   n’imagine que ce pourrait être à la technocratie de s’adapter.  Penser qu’il pourrait y avoir  de bonnes et de mauvaises   réformes comme il y a de bons et de  mauvais remèdes, est une question hors du champ  épistémologique de ceux qui nous dirigent, comme dirait Foucault. Réformer est devenu intransitif comme communiquer ou changer. Face à ces blocages, « enfin Macron vint »[6] , selon une expression dont on peut penser qu’elle était ironique.  Cette fois, ça passe où ça casse.

Macron, c’est jusqu’à  la caricature l’incapacité à critiquer à partir d’une connaissance du terrain  (qu’il n’a pas) ou  d’idées neuves (qu’il n’a pas non plus) les projets des administrations  que  la plupart du temps, le gouvernement  avalise. Loin d’apporter la touche du vrai chef (« l’œil du maitre ») comme le faisait par exemple un Pompidou, homme supérieurement intelligent, lui, et critique lucide des logiques technocratiques, Macron ne doute pas que les services aient, sur tous les sujets, raison. Comme en politique étrangère, il est sur les rails et il y reste. 

Tragique malentendu : les Français étaient las d’une classe politique usée, et en réalité d’une technocratie dont les projets étaient avalisés passivement par les politiques. Voulant du nouveau, ils élisent  quelqu’un qui ne   propose   rien d’autre que de donner un coup d’accélérateur aux réformes qu’inspire  la dite    technocratie.

Or la France d’aujourd’hui   rencontre des problèmes graves qui, comme jamais jusqu’ici, conditionnent son avenir. Ces problèmes :  démographie, désindustrialisation, dépenses publiques excessives, justice et insécurité, déliquescence de l’éducation nationale   Il y a là de quoi être inquiet :   Macron, prisonnier des logiques du passé, ne semble armé intellectuellement pour se saisir sérieusement d ’aucun de ces problèmes. Bien au contraire, la plupart de ses projets font craindre leur aggravation.

Comment s’étonner qu’au bout d’un an, s’installe le doute   sur la    capacité de Macron à vraiment réformer la France . Les Français ne vont pas tarder  à comprendre, avant lui sans doute,  qu’il se situe aux antipodes de ce qu’ils attendent. 

 

Le bon élève de Sciences po

 

Il  y a, disaient les Romains, pour chacun, un sommet, une acmé, un moment de la vie où il atteint sa pleine réussite.   Pour le jeune Macron, ce fut ses années Sciences po-ENA-Inspection des finances, sous l’égide    d’un Richard Descoings à l’heure de sa gloire.  La plupart des thèmes évoqués plus haut, de l’Europe supranationale à la privatisation des services publics et à la philosophie libérale–libertaire, connaissaient alors leur plus grande faveur, ils étaient si évidents que bien peu osaient les remettre en cause surtout s’ils voulaient sortir dans les premiers  de l’ENA, temple du politiquement correct. Typique de cette école, la rhétorique balancée du « en même temps ». Le mépris ostensible de la francophonie qui pousse Macron à faire ses discours en anglais avait déjà entrainé la multiplication des cours en anglais à la rue Saint-Guillaume, sans que la cote de l’école y ait d’ailleurs gagné. Dans le milieu fermé  qu’il  fréquentait  alors, la criminalisation de la France  coloniale, familière aux   universités américaines,  ce n’était pas une  provocation, c’était une évidence.

Macron est comme un animal  parfaitement adapté à un certain   milieu mais inadaptable ailleurs. Dans ce milieu, il peut certes faire preuve de brio. Mais il détone dès que l’environnement  change tant soit peu. Le nouveau président est aussi déphasé aujourd’hui  que l’était Mitterrand en 1981 avec son lourd  programme de nationalisations. Mais Mitterrand, vieil animal politique, avait su s’adapter. On ne voit pas à ce jour, le moindre indice que Macron en soit capable.

Comprendra-t-il que ce qu’il a appris à l’Institut d’études politiques de Paris il y a vingt ans est complétement à côté de la plaque dans une planète dominée par Poutine, Trump, Xi et qui voit partout la révolte des peuples contre les logiques technocratiques et le retour des stratégies nationales ?    On peut craindre que non.  

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

[1]Olivier  Piacentini , OPA sur l’Elysée, Editions de Paris, juin 2018

[2] Idéologue marxiste qui représentait dans les années soixante-dix  le conservatisme le plus étriqué au Bureau politique du parti communiste soviétique.

[3] Forces modestes au demeurant, de l’ordre de la centaine.

[4] Hors la nomination récente d’un ambassadeur spécial, qui n’implique pas la reprise des relations diplomatiques.

[5] Guy Debord, La société du spectacle, 1966

[6] Commentaire, n°158, été 2017

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9 novembre 2021 2 09 /11 /novembre /2021 19:11

12/04/2021

 

Questions à Roland Hureaux sur le projet de loi contre le communautarisme   

Paru dans Monde et Vie

  1. Emmanuel Macron avait parlé de séparatisme à propos des citoyens les plus religieux – musulmans mais pas seulement - qui se mettraient à vivre à côté des lois de la République. Quel sens à la nouvelle dénomination du projet de loi « pour conforter les principes de la république » S’agit-il de conforter ou de modifier la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat (1905), dont l’histoire, déjà longue, est semée d’évolutions.

Le mot de séparatisme, dont il n’est plus question aujourd’hui, était trompeur, sans doute volontairement. Il désigne habituellement la volonté de certaines parties d’un Etat de se séparer pour faire un autre Etat : Corse, Catalogne, Ecosse. Evidemment, les musulmans de France ne veulent pas faire un Etat indépendant ; certains ne cachent pas que leur objectif à terme est que la France, toute la France et pas une partie, devienne un Etat musulman. C’est un projet à moyen terme mais dans l’immédiat, ils comptent, quoique minoritaires, imposer leur loi à certains quartiers ou à certains secteurs de la vie publique : l’école, en interdisant par exemple les théories de Darwin, les cantines en y bannissant le porc, pour tous, pas seulement pour eux, la rue en y imposant le voile. Historiquement l’islam ne s’est jamais répandu en faisant de l’apostolat de terrain mais par le haut : en prenant le pouvoir pour ensuite subjuguer le reste de population.

On parle maintenant   d’une loi pour « conforter les principes de République », Pourquoi pas les « réconforter » comme on le dit pour un malade ? C’est l’aveu que ces principes ne sont pas solides et donc déjà une victoire de la partie   adversaire. Comme toujours dans la politique gouvernementale à l’égard de l’islam, nous   sommes dans les grands principes et l’imprécision, là où il faudrait être précis : la « Charte des principes de l’islam de France », qui complète la loi en reste aussi aux généralités,  et , comme elle contient des absurdités  telle que « l’égalité-femme homme est un principe fondamental attesté par le Coran », sa crédibilité est faible.  

L’islam n’est pas fait de principes fondamentaux mais de codes tâtillons réglant la vie publique et la vie privée en détail. Plutôt que d’emphatiques proclamations de principe, il aurait mieux valu à mon sens une prise de positon claire et précise d’Etat pour dire aux musulmans ce qui est compatible avec les lois de la république et ce qui ne l’est pas. On le fait un peu avec l’interdiction faite aux médecins de délivrer des certificats de virginité : c’est bien le moins ! Sur la polygamie, la loi reste ambiguë : elle permet certes de refuser ou retirer un titre de séjour aux polygames (mais le fera-t-on ?), elle réserve la pension de réversion à la première épouse mais reconnait aux autres la qualité de « conjointes » ; et tout cela « sous réserve des engagements internationaux de la France », donc de la jurisprudence des Cours européennes qui est ce que l’on sait.  Théoriquement, la loi permet d’interdire le voile aux mères de famille accompagnantes « collaboratrices du service public » mais c’est flou et, comme on sait, Macron l’a déjà concédé. Quand je dis qu’il faudrait moins de principes et plus de précisions, je pense que l’Etat pourrait dire par exemple « la viande de porc ne sera pas imposée aux enfants musulmans dans les cantines, mais hors de question de leur réserver une vaisselle qui n’aurait pas été utilisée par les mécréants » comme le dit la Loi islamique. Ou encore : le hijab est interdit dans les lycées mais permis dans les universités. D’accord pour ne pas laisser entrer les caricatures de Mahomet à l’école, par respect des consciences, mais cependant la théorie de l’évolution, qui est scientifique, sera enseignée etc. Or nous n’avons rien de tout cela : on n’a même pas osé par exemple interdire par exemple de voiler les fillettes dans la rue, ce que nous trouvons choquant.

 

  1. « Bien d’avantage qu’une simple modalité d’organisation des pouvoirs, la République représente un projet » nous explique le législateur pour présenter l’exposé des motifs de son projet de loi. De quel projet s’agit-il ?

Renan disait que « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours »., donc une approbation, sinon un projet. Mais il a dit aussi que ses membres « sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. »  Je n’accorde pas pour ma part, je vous l’ai dit, et les musulmans non plus d’ailleurs, beaucoup d’intérêt à ces formules sans contenu précis. Projet commun, pourquoi pas ? A condition qu’il laisse sa place au jeu démocratique, et laisse un large espace aux choix individuels.

 

 

  1. On emploie beaucoup le mot de « neutralisation ». Au nom du principe de la neutralité de l’Etat, ne risque-t-on pas de voir se créer un mouvement de neutralisation de la société, en transformant en délit toutes coutumes ou toute liberté chrétienne (les crèches, les fêtes publiques, Jeanne à Orléans, les messes durant les férias dans le sud) ? Le but du législateur n’apparaît-il pas comme la promotion d’un athéisme social ?

Oui, je le crains. La religion était à l’origine, chez le Romains par exemple, le lien social, la « religio ». Après la Réforme, elle est devenue au contraire un motif de divisions, c’est à dire tout le contraire. La laïcité voulait au départ neutraliser l’espace public pour y maintenir la paix. Mais ce qui valait entre catholiques et protestants, n’est pas forcément adapté aux problèmes que pose l’islam.  Il n’y a pas d’un côté le christianisme, de l’autre l’islam et entre les deux le terrain neutre de la laïcité. En fait les musulmans sont bien plus horreur de la laïcité pure et dure qu’on veut leur imposer que du christianisme. Les laïques qui croient obtenir la paix religieuse en enlevant les crèches de Noël, choquent les  chrétiens mais exaspèrent  aussi les  musulmans pour qui la naissance d’Issa (Jésus) a de la signification. La stratégie actuelle qui consiste à combattre l’islamisme en enfonçant violemment le clou de la laïcité est totalement contreproductive. Et, de fait, elle sert d’alibi à certains pour liquider ce qui reste de symboles  chrétien, qui sont précisément  la seule chose que les musulmans respectent encore chez nous.  C’est absurde.

Il reste que certaines dispositions de la loi, si elles sont appliquées, peuvent avoir leur utilité : meilleur contrôle des associations  musulmanes recevant des subventions publiques pour qu’elles ne les utilisent pas à faire de  l’agitation islamiste, empêchement des   mariages forcés ou encore possibilité de fermer les lieux de culte subversifs - mais pour deux mois seulement, ce qui est bien peu.

 

  1. On n’a pas prononcé le mot « islam » dans ce projet de loi. N’est-ce pas pour éviter de régler certains problèmes particuliers que pose une religion de plus en plus puissante en France. On observe par exemple que la question du voile des des petites filles et du voile dans les universités est soigneusement laissée de côté. Quelle est la signification de cet évitement ?

Le mot islamiste figure dans le préambule en termes assez vigoureux :

« Un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. Il est la manifestation d’un projet politique conscient, théorisé, politico‑religieux, dont l’ambition est de faire prévaloir des normes religieuses sur la loi commune que nous nous sommes librement donnés. Il enclenche une dynamique séparatiste qui vise à la division. » 

Mais comme la loi ne peut pas viser une religion et pas les autres, le dispositif de la loi s’applique à toutes, y compris celles qui ne posent pas de problèmes comme la religion catholique.   Et c’est là que   sous prétexte de prévenir des dérives islamistes, certaines dispositions  portent gravement atteinte à la liberté des catholiques : la plus grave, c’est la quasi-interdiction aux parents de faire l’école à domicile. Il y avait déjà eu une discussion à ce sujet en 1905 et sur une intervention énergique de Clémenceau, la liberté des familles avait été préservée. Mais, vous comprenez, Clémenceau, c’était un autre niveau que   Darmanin ! En théorie il s’agit d’empêcher que les musulmans n’envoient pas leur fille à l’école ou n’apprennent que le Coran à leurs fils, en réalité, il a là un acte de persécution des parents, généralement catholiques, qui font très bien leur travail d’enseignants mais qu’on suppose ne pas être dans la ligne de la doxa néo-libérale. Encore une attente inadmissible aux libertés.

Même chose pour le contrôle d’internet. Il est renforcé pour empêcher « les discours dits de haine ». Comme c’est le cas depuis plusieurs années, au nom de la lutte contre l’islamisme, on ne prend que de mesures sans effet contre lui mais on bride un peu plus les catholiques. La première fois qu’on a brandi l’étendard de laïcité, je crois que c’était lors de l’affaire des élèves voilées de Creil, le principal effet des mesures prises fut d’enlever quelques crucifix qui restaient encore dans des écoles publiques du Jura.  Ridicule ! Je note par ailleurs une crispation sur la laïcité qui ne fait absolument pas avancer le problème : ainsi   les préfets s’abstiennent de plus en plus d’aller à la messe alors qu’il y a trente ans, ceux qui le voulaient le faisaient sans complexes. Or ce n’est pas du tout le problème.

 

  1. Cette loi ne se caractérise-t-elle pas avant tout par un contrôle laïc des finances des associations cultuelles, au risque d’introduire une dialectique entre l’Etat de plus en plus officiellement athée et les religions ?

Non, je pense que le plus grave, c‘est, je vous l’ai dit, l’interdiction de l’école à domicile, atteinte grave à une liberté précisément républicaine, qui avait été reconnue par toutes les républiques.

Il est vrai que la loi instaure aussi un contrôle tatillon des finances et des activités cultuelles qui va peser lourd sur toutes les associations religieuses, mais surtout sur celles qui sont le plus soucieuses de respecter la loi, comme celles qui dépendent de l’Eglise catholique – on le voit avec le COVID. Encore une disposition qui vise en principe les musulmans, qui ne les atteindra guère et atteindra en revanche les catholiques. C’est toujours comme cela depuis quarante ans.

 

  1. Le volet éducation du document paraît particulièrement dangereux, en particulier l’article 24 de la loi qui donne une sorte de monopole des programmes à l’Education nationale…

L’Etat a toujours eu en France le monopole des programmes. Encore faut-il qu’on n’empêche pas les maîtres du privé de les compléter, par un enseignement moral par exemple, disparu de l’enseignement public depuis 1968. Encore faut-il que ces programmes ne soient pas trop précis laissant libre cours à la personnalité de chaque enseignant.

Or je note que, si on lit la loi en son état actuel, les établissements sous contrat qui participent au service public de l’éducation nationale, seront tenus à la  neutralité, ce qui est contraire à la jurisprudence établie autour de la loi Debré depuis 1959 préservant le caractère propre de chaque établissement.  

 

7. Le cardinal Parolin, secrétaire d’Etat du pape François a rendu public son scepticisme à l’égard de cette loi. « Cette loi écrit-il risque de mettre à mal les équilibres qui se sont créés depuis 1905 ». Que vise le chef de la diplomatie catholique à travers ce communiqué ?

La loi réécrit largement l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 et c’est très dangereux : elle complique, alourdit et menace à terme la liberté de culte en introduisant un contrôle tatillon des associations.  Pourquoi ?  Y avait-il un problème ? Non. On sent derrière les dispositions les ronds-de-cuir tatillons et méfiants qui veulent tout contrôler (ou les loges maçonniques qui veulent en finir avec l’Eglise catholique , ce que je ne peux pas écrire ) . Darmanin en est le digne porte-parole.

C’est précisément ce que la IIIe république avait su éviter pour apaiser les esprits. Mais pas le gouvernement d’Emmanuel Macron qui, sous des mines benoîtes, est le plus antichrétien que la France ait connu – même entre 1900 et 1905 : on le voit avec le projet de loi bioéthique. Il avait pourtant bénéficié et bénéficie encore de la confiance de beaucoup de catholiques, bien naïfs. Il serait temps qu’ils comprennent.

« Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » disait Montesquieu, spécialement, aux lois emblématiques comme la loi de 1905.  Aujourd’hui on en change un article ; bientôt cinq, dix ? Or, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, la loi de séparation d’Eglise et de l’Etat constitue désormais une institution fondamentale de la France. Conçue conte l’Eglise, aujourd’hui elle la protège. En la modifiant, on fragilise  la laïcité et donc les  principes de la République que la loi se proposait pourtant de conforter. C’est sans doute le sens de la sage parole du cardinal Parolin : ne touchez pas à ce qui va bien.
Mais rassurez-vous : c’est en tous domaines aujourd’hui, et pas seulement celui-là, que les lois ont les effets contraires aux buts poursuivis, qu’elles aggravent au lieu  d’améliorer. Comme dit le théoricien marxiste Guy Debord, très proche paradoxalement du catholique Philippe Muray : « la société du spectacle ne peut se réformer qu’en pire ».  

  1. Comment le catholique que vous êtes verrait-il une loi sur l’islam en France ?  

Ce n’est pas en tant que catholique que je me prononce sur ces sujets-là, mais en tant que Français. Je vous l’ai dit : l’Etat doit dire de manière précise et détaillée - et unilatéralement, ce que comme porte-parole de la culture française, il accepte, et ce qu’il n’accepte pas. En évitant la surenchère et l’irréalisme : par exemple interdire le hijab à l’Université peut sembler souhaitable, mais pour tous ceux qui connaissent l’ambiance des amphis, serait inapplicable ; interdire le niqab ou la burqa dans l ‘espace public est nécessaire mais pas le hijab.   Et naturellement, il ne faut pas se mêler de ce qui se passe dans l’espace privé sauf si des femmes y étaient battues…

Mais là n’est pas le problème majeur : l’essentiel, c’est la démographie. L’islam ne pose pas les mêmes problèmes, quel que soit le cadre législatif, s’il représente 3 % de la population ou 30 % (nous sommes quelque part entre les deux). Il faut un équilibre entre les cultures qui marque clairement celle qui est normative, et cela dépend de beaucoup de choses plus importantes que les discours sur l’islam et la République : la natalité des uns et des autres, le rythme de l’immigration et le dynamisme relatif des religions. Par exemple tous ceux qui, dans l’Eglise de France, s’évertuent à freiner   les demandes, nombreuses, de conversion de musulmans sont des criminels : ils préparent la guerre civile. La France ne doit pas devenir le Liban, elle doit rester la France

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9 novembre 2021 2 09 /11 /novembre /2021 18:42

LE SALAIRE DE LA SERVILITE

 

La décision de l’Australie de rompre, sous la pression des Etats-Unis, un contrat de fourniture de douze sous-marins à propulsion classique  de 40 milliards d’euros, événement aux conséquences économiques considérables pour la France et camouflet diplomatique pour Macron, ne saurait surprendre ceux qui connaissent les manières habituelles de procéder des Américains avec leurs alliés, même européens. Les exemples de mépris foisonnent. L’excellent livre d’Éric Branca, L’ami américain (Perrin, 2017) les rappelle. Angela Merkel dont le téléphone personnel avait été mis sur écoute en sait quelque chose.  N’est-ce pas d’ailleurs la manière normale dont procèdent à toute époque  tous les alliés, ce que seule la naïveté française, qui confond alliés et amis, empêche de voir ?

La décision ne saurait surprendre non plus ceux qui savent combien la France pèse peu dans la sphère internationale après quatre ans de présidence Macron. Les flonflons, les rencontres multilatérales de toutes sortes où le président français sait si bien faire  le beau ne sauraient nous illusionner sur le peu d’autorité qu’il y a.   Macron paye là le prix de son insigne servilité, aux Etats-Unis et à l’OTAN. Sans doute le parti-pris l’avait-il amené à battre froid Trump, qui n’en avait cure, et comptait-il sur une lune de miel avec Biden  qu’il a  soutenu hors de toute réserve diplomatique !  Il a vu le résultat. Servilité en Syrie, où Macron a collé à la politique américaine aussi longtemps que se sont prolongées les hostilités et encore aujourd’hui où le feu couve toujours sous la cendre. Servilité quand   il s’est fait, avec une arrogance qu’on ne se serait même pas permis au temps des colonies, le commis voyageur de forces internationales hostiles auprès d’un Liban, ami historique de la France, frappé par le malheur. Servilité vis-à-vis de la Russie au point d’envoyer des forces françaises dans les pays baltes pour les protéger - appoint ridicule à un dispositif qui ne l’est pas moins. Si Macron a fait croire un moment qu’il pourrait jouer un jeu personnel avec les Russes, ceux-ci ont vite compris qu’il n’y avait rien derrière : ce ne fut qu’une courte valse dans une soirée de Saint-Pétersbourg concédée par un partenaire au carnet de bal déjà plein. Servilité quand Macron envoie (au nom de l’Europe !) un bâtiment français patrouiller en Mer de Chine, sans doute pour faire l’important. Servilité au moment de la tension, aujourd’hui réglée sans nous, entre Washington et Berlin au sujet du gazoduc Nord Stream 2 : Macron, traitre de comédie, a soutenu discrètement Washington quand   tout justifiait au contraire, pour une fois, une claire  solidarité européenne. Pour rien, sinon, peut-être, pour faire oublier des années d’assujettissement aux diktats économiques de Berlin.

Hélas, dans l’arène féroce des relations internationales, la servilité ne paye pas.  Il est toujours plus facile de piétiner celui qui est déjà couché que celui qui reste debout. Même si de puissants intérêts étaient en jeu, gageons que les Anglo-Saxons y auraient regardé à deux fois avant de faire un pied de nez pareil à Macron s’ils en avaient craint les moindres représailles. Représailles ? Suspension de notre participation à telle ou telle instance de l’OTAN, rappel de notre contingent en Lituanie, levée de telle ou telle sanction vis-à-vis de la Russie, renoncement à  toute  patrouille en Mer de Chine (acte symbolique dont les retombées diplomatiques auraient été considérables).  Mais nos « amis » en savent assez sur Macron pour deviner qu’ils n’ont rien à craindre de la sorte.

De toute les façons, qui ignore que dans l’espace anglo-saxon – et de plus en plus mondialiste -, les Français se sont que les cousins de province que l’on fait mine de ménager quand nul intérêt essentiel n’est en jeu ?  

Camouflet pour la France, l’affaire des sous-marins d’Australie est aussi le signe que ceux qui décident à Washington se moquent comme d’une guigne de savoir si Macron sera ou non réélu.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 18:30

L’ECHEC DE LA STRATEGIE DU CHAOS

5/11/2021

De la fin de la Seconde guerre mondiale aux années quatre-vingt-dix, les Etats -Unis et leurs alliés régionaux comme Israël, malgré plusieurs guerres, ne remettaient pas en cause le cadre étatique au Proche-Orient. En dépit de l’exception que constitue le  Liban – et sur un autre registre  la Palestine -, amis ou ennemis, démocratiques ou autoritaires, les Etats n’étaient pas remis en cause en tant que tels.

L’idée folle que la paix ou l’approfondissement de démocratie  passe  par la destruction des Etats ,  voire la remise en cause des frontières, au besoin par la force , a émergé  dans les cercles dits « néo-conservateurs »   aux Etats-Unis, en Europe occidentale et en Israël entre 1990 et 2000.

Contrairement aux idées reçues, ils transcendent outre Atlantique les frontières républicains/ démocrates , ayant inspiré aussi bien Clinton et Obama que Bush,   et ils sont tout sauf conservateurs puisqu’ils s’attachent au contraire à détruire ce qui existe, à commencer par la clef de voute  étatique.

Cette thèse est été élaborée  au sein du Project for a new américain century,  fondé en 1977 pour répandre les idées prétendues libérales.  Les expéditions d’Irak et l’Afghanistan (2001, 2003) s’inspirent de cette idéologie.  Condolezza Rice s’en fait l’écho quand elle appelle en 2006 à un « nouveau Moyen Orient. »

L’opinion mondiale, dument manipulée,  a cru que ce nouveau Moyen Orient émergeait de lui même au travers des « printemps arabes » de 2011. Or, loin  d’être spontanés comme on l’a fait croire,  les révoltes arabes étaient excitées par des agents de l’extérieur. La preuve  : les monarchies du golfe, proches des Etats-Unis et encore moins démocratiques  que les autres pays, furent épargnées.  

Le résultat est que plusieurs Etats  furent plongés  dans le chaos ; certains tels l’Afghanistan,  Libye ou le Yémen s’y trouvent encore. D’autres sont très affaiblis : Egypte, Tunisie, Jordanie. D’autres enfin s’en remettent difficilement :  Irak, Syrie.

« Diviser pour régner » est une vieille idée mais elle n’avait jamais été mise en œuvre de  manière aussi systématique. L’idée que la sécurité du  monde occidental, singulièrement celle des Etats-Unis et d’Israël,  serait mieux garantie dans un environnement composé de tribus ou micro-états confessionnels   en lutte les uns contre les autres a fait de grands ravages . L’Afghanistan, la Libye, le Yémen et , de plus en plus,  le Liban sont éclatés.    L’Occident a permis à Daech émerger dans le nord de l’Irak et en Syrie : certains se sont plaints que, comme Frankenstein,  la créature ait échappé à son créateur : ils l’ont pourtant bien cherché.

Ce projet destructeur a une dimension plus large. Par-delà l’impérialisme américain classique, l’idéologie mondialiste qui s’est développée autour du néo-conservatisme,  vise l’extinction des Etats sur toute la planète, ayant en perspective un gouvernement mondial régnant sur un monde  parcellisé. Le soutien à l’islamisme sunnite est un des moyens d’arriver à ce but  au Proche et Moyen Orient, comme le narcotrafic l’est en  Amérique latine et, peut-être la bureaucratie à  Bruxelles , laquelle  s’attache elle aussi à affaiblir les Etats en Europe. Des « révolutions orange », analogues aux printemps arabes, financées par des forces mondialistes , telle la Fondation pour une société ouverte,  ont ébranlé plusieurs pays de l’Est de l’Europe : Ukraine, Géorgie, Arménie. Ces forces détruiraient  même  la Russie de Poutine si elles le pouvaient.

Si la stratégie du chaos est dangereuse pour la paix du monde, elle l’est aussi pour les pays qui sont à son origine. Ces guerres où des puissances tentent de favoriser le chaos permettent le développement de milices   qui  se trouvent particulièrement entrainées et , par là,   dangereuses   pour  ceux-là même  qui les ont suscitées. Ces milices ne sont pas étrangères au développement du terrorisme dans des pays européens, pays  qui, dans le cadre de l’OTAN, les avaient appuyées en Syrie.  Le chaos favorise l’émergence de milices plus fortes que les autres . C’est la struggle for life.  Elles  représentent dès lors une menace accrue pour  les Etats. Au lieu de soutenir l’Etat libanais, Israël y a , pendant des années, nourri l’anarchie. Il se trouve, bien malgré lui,  confronté au Hezbollah, aujourd’hui beaucoup plus fort militairement que ne l’avait jamais été  l’armée libanaise. A qui la faute ? 

On peut dire qu’aujourd’hui cette stratégie est en échec. La guerre de Syrie fut à cet égard une épreuve test : l’alliance de l’OTAN et des réseaux islamistes (y compris Al Qaeda, responsable des attentats du 11 septembre) , a échoué à ébranler l’Etat syrien. L’appui apporté par les alliés de la Syrie a été à cet égard déterminant : le général Suleymani symbolisait à lui tout seul cet appui à la  résistance  à une entreprise démoniaque de destruction de l’Etat syrien. Comment s’étonner qu’il  ait été ciblé par les forces sombres qui  tentent  de dominer le monde ?

La mise en échec de la stratégie du chaos, à laquelle des hommes comme le général Suleymani ont sacrifié leur vie, est un pas en avant non seulement pour   la paix au Proche-Orient  mais pour la paix du monde.

Roland HUREAUX

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 18:28

EN TERMINER AVEC LES ANNEES TRENTE

 

Paru dans le Blog de Front populaire, repris par Médiapart

03/11/2021

Depuis près d’un siècle, la politique occidentale est structurée par les clivages des années vingt et trente. Il faut que nous prenions enfin conscience de la mutation qui a marqué le monde depuis lors et que nous en tirions les conséquences.

Dans le contexte de l’entre-deux guerres, marqué par la menace de deux totalitarismes, le bolchevik d’un côté, le national-socialiste et accessoirement le fascisme[1] italien de l’autre, la raison, la modération, la liberté, la démocratie, elles, étaient au centre, compris assez largement, des vrais conservateurs aux socialistes non communistes.

De fait c’est la coalition des deux totalitarismes, formalisée par le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 qui déclencha la seconde guerre mondiale, même si Hitler l’aurait de toutes les façons fait. Les extrêmes représentaient alors une menace de guerre, ils étaient ouvertement ennemis de la démocratie, des libertés, de l’ordre international, indifférents à la morale, partisans du recours à a force.

Tenons provisoirement les quarante-cinq ans de guerre froide pour une parenthèse.

 

Dix guerres depuis 1990

 

Considérons à présent ce qui s’est passé au Proche-Orient depuis 1990, à partir de la première guerre du Golfe.  Au total une dizaine de guerres, en élargissant le théâtre des conflits aux Balkans et à l’Ukraine, en incluant les deux guerres du golfe, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, le Yémen, les intervenions d’Israël à Gaza et au Liban. Dans tous ces cas, on cherche en vain où la main des Etats-Unis et de l’OTAN, désormais compétent sur terre entière, n’apparaisse pas pour susciter, encourager et armer les bellicistes.

On peut voir aussi la main de l’Occident dans d’autres confits très meurtriers, comme l’affrontement Iran-Irak des années quatre-vingt et celui du Rwanda, entièrement imputable aux Etats-Unis selon Boutros-Ghali, alors secrétaire général des Nations-unies, ou les confits du Soudan. L’actuelle guerre du Sahel est la retombée la guerre de Libye qu’Obama et Sarkozy ont déclenchée.

Il est certes difficile de tenir Bush fils (ou son « vice » [2], Dick Cheney) pour des modérés centristes ; ils prétendaient cependant défendre la démocratie contre des dictatures. Dans chacun des conflits qu’eux et les autres présidents américains (Bush père, Clinton, Obama) ont déclenchés, ce sont, en Europe occidentale, les modérés   centristes allant, en France d’une partie des républicains aux socialistes et aux écologistes qui applaudissent et souvent engagent nos troupes, au moins à titre d’auxiliaires. Ce sont au contraire les partis dits extrêmes qui critiquent ces engagements : Rassemblement national, gaullistes, communistes et autres forces d’extrême gauche.

Sans vouloir en faire la promotion, on ajoutera que ces partis ne présentent aucun des caractères des partis totalitaires des années trente : pas de refus de principe de la démocratie élective – bien au contraire, ils ne semblent exister que dans les semaines que précèdent les échéances électorales – pas de défilés dans les rues en uniforme, pas d’assassinats politiques.

Ils n’en font pas moins l’objet, en particulier ceux qui se positionnent à droite, sans que les autres en soient exempts, d’accusations récurrentes qui les assimilent aux partis bellicistes des années trente. Dès qu’ils ouvrent le la bouche pour contester le courant dominant, la réductio ad hitlerum surgit.

 

Le péril centriste

 

En tous les cas, ce n’est pas eux, mais les soi-disant modérés qui représentent aujourd’hui un risque pour la démocratie. Nous venons de le voir sur le plan des relations internationales. Tous  soutiennent   les institutions européennes  qui ont prétendu se fonder sur le  rejet des  nationalismes bellicistes  d’autrefois , mais qui n’en sont pas moins responsables ( ou co-responsables) aujourd’hui  des guerres des Balkans et de l’Ukraine,   qui ont encouragé les conflits  du  Proche-Orient  déclenchés par les  Etats-Unis    et  qui continuent d’y jouer un rôle criminel en prolongeant au-delà de toute raison les sanctions  qui frappent  les  populations  syriennes et yéménites  qui font mourir chaque jour de faim ou de maladie nombre   d’adultes et d‘enfants. Si elle n’est pas en pointe pour combattre, l’Europe institutionnelle l’est pour imposer des sanctions meurtrières.

Sur le front de l’Est, si tant est qu’il y ait un front, les Européens, au moins ceux de Bruxelles et de Strasbourg, font une surenchère démentielle contre la Russie. Les technocrates européens qui ignorent tout de l’histoire, identifient Poutine à Hitler, selon le schéma simpliste que nous avons évoqué.  Ce sont les « souverainistes » qui sont au contraire, partisans de la détente vis à vis de la Russie laquelle ne remet d’aucune manière le statu quo en cause[3].

Observons en parallèle l’évolution de la démocratie dite libérale aux Etats-Unis et en Europe de Ouest. Tous les pays ont, de manière étonnamment coordonnée, profité de la crise du Covid pour restreindre les libertés fondamentales, en théorie de manière provisoire   mais, au gré de beaucoup de scientifiques, très au-delà de ce qui était nécessaire.

Les politiques internationales (OMS, OCDE) et européennes prévalent de plus en plus sur les vœux des représentations nationales et la volonté de peuples[4].

 

Le virus de l’idéologie détruit le libéralisme  

 

Un des fondements de la démocratie est le pluralisme de la presse : or depuis quelques années s’est abattu sur le monde occidental   la chape de plomb de l’uniformité, d’une pensée unique qui relègue aux marges toutes les idées dissidentes. Parmi les nouveaux oligarques, beaucoup voudraient verrouiller l’internet où se sont réfugiées celles-ci.

Sur tous les plans, le libéralisme recule dans les pays qui prétendent en être les porte-drapeaux.   Certes nos rues   ne sont pas encore remplies de cohortes de gens en uniforme marchant au pas.  Mais les tribunaux poursuivent sans ménagement tout propos s’éloignant de la pensée unique. Pas de camps de travail mais le risque de la marginalisation professionnelle ou même de l’hôpital psychiatrique pour les dissidents[5].  Les Gafams, organismes multinationaux purement privés et jouissant chacun dans sa sphère d’un monopole, se permettent de censurer sur la terre entière les particuliers et même des chefs d’Etat qui ne sont pas en conformité avec leur idéologie.

Seul le suffrage universel, malgré une  presse monocolore, semblait laisser  une chance aux pensées hors normes  ; le système qui n’avait pu empêcher le Brexit se blinde : quel qu’en soit le résultat final,  inconnu à ce jour,  la dernière  élection présidentielle américaine  a montré   l’ampleur de la fraude à laquelle  n’ont pas hésité à recourir les tenants de la  pensée dominante, le parti démocrate en l’occurrence, le parti de Roosevelt, de Kennedy, de Carter et de tant d’autres défenseurs de la démocratie, aujourd’hui bien mise à mal.

Il s’est donc produit depuis les années trente, une véritable mutation, au sens génétique du terme : les ennemis de la paix et de la démocratie ne sont plus aux marges mais au centre de l’éventail politique, ils se disent libéraux mais ils ne le sont plus depuis longtemps, ils se disent démocrates mais ils n’hésitent pas à manipuler le suffrage   pour garantir, contre les peuples, la victoire de leurs idées.

Inséparable de ce recul de la démocratie se trouve l’impossibilité du débat. Il est remplacé, sous l’impulsion des forces du centre, par la véhémence des anathèmes, la volonté de priver l’adversaire de tout moyen d’expression, la disqualification a priori de ses arguments, le remplacement des désaccords politiques à l’ancienne par une guerre à mort où le manichéisme hystérique s’est substitué à l’échange d’arguments. Nous ne sommes pas loin des « vipères lubriques ».

Il y aurait beaucoup   à dire sur la mutation interne qu’a connue la pensée libérale au cours des dernières années :  elle s’est simplifiée - « il y a les fascistes et nous » et est devenue messianique « il y a un mouvement irrésistible des sociétés avancées, tous ceux qui le refusent sont voués aux « poubelles de l’histoire ». Simplification manichéenne. C’est à une véritable idéologisation du libéralisme que nous assistons. Comme toutes les idéologies, elle conduit à une (absence de) pensée rigide et mécanisée. Vipères, poubelles, la pensée pseudo-libérale nous rapproche du vocabulaire stalinien.

 

Patriotisme contre nationalisme idéologique

 

Par derrière, un   grand malentendu   explique cette évolution : la confusion entre, d’un côté, le prétendu nationalisme idéologique, en réalité universaliste qui n’était en réalité pas national du tout : un homme comme Hitler pensait à lui et à l’humanité, qu’il prétendait regénérer, mais très peu à l’Allemagne, et, de l’autre, le patriotisme simple et sain, celui de tous les groupes humains depuis le commencement de l’histoire.   Les idéologues, pour se justifier, refont l’histoire. Pour les idéologues néo-libéraux, les idéologies totalitaires sont à l’origine de toutes les guerres et elles ne sont que le prolongement du nationalisme, qu’ils amalgament à   tout forme de défense du peuple, de son identité, de ses intérêts nationaux, voire à tout souci de maintenir contre le   mondialisme une forme d’indépendance nationale. Résister au mondialisme, ou à sa version régionale, l’européisme, c’est être nazi !

Or cette vision des choses est fausse. La vraie fracture se situe entre, d’un côté, les idéologues, communistes ou nazis hier, néo-libéraux impérialistes aujourd’hui, mus d’abord par un projet mondial et, de l’autre, ceux qui veulent mener une politique normale, hors de tout projet eschatologique, soucieux de défendre d’abord leur indépendance et les intérêts de leur peuple. De nombreux exemples montrent que ceux qui défendent seulement les intérêts forcément cantonnés de leur peuple particulier, que l’on confond à dessein    avec des idéologues   conquérants sont les plus sûrs   garants de la paix : De Gaulle que, à l’instigation de l’idéologue mondialiste Jean Monnet, Roosevelt tenait pour un dictateur en puissance, a terminé deux guerres sans en commencer   aucune ; désavoué par un référendum, il s’est retiré du pouvoir. Alors que d’autres ont fait voter par le Parlement un traité européen refusé par le peuple.   Nixon et Reagan tenus pour fascisants par certains, n’ont déclenché aucune guerre ; Trump, non plus. Voyons au contraire en face le tragique palmarès de ses prédécesseurs, soi-disant libéraux, comme Obama[6], responsable de quatre guerres et de près d’un million de morts.

 

Une mutation capitale

 

Les mutations sont fréquentes dans la sémantique politique : les tenants de l’écologie et des langues régionales étaient d’extrême droite au début du XXe siècle, ils sont à l’extrême gauche aujourd’hui. De même les défenseurs des homosexuels (voir Proust). Le retour à la terre de Vichy est passé à l’écologisme le plus radical. En Russie, les nomenklaturistes communistes de 1985 sont devenus de oligarques ultralibéraux en 1995. Les « patriotes », à l’extrême pointe de la Révolution française, passent à l’extrême droite en 1900, puis à nouveau à gauche en 1945, puis encore à droite.  Le Front national, sigle communiste en 1945, passe pour fasciste aujourd’hui. Il est urgent que ceux qui aspirent à une politique normale, non idéologique, effectuent, dans leur tête la révolution copernicienne qui s’impose et comprennent enfin que la vraie menace pour la paix et pour la démocratie, vient aujourd’hui des centristes, prétendus libéraux.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

[1] Hannah Arendt dénie au régime de Mussolini le caractère d’un vrai régime totalitaire, ce qui aurait bien déçu l’intéressé.

[2] Le film d’Adam Mac Kay (2018) sur le vice-président Dick Cheney, The Vice.

[3] L’annexion de la Crimée en 2014 répondait au coup d’Etat de Kiev tendant à faire rentrer l’Ukraine, y compris la base historique russe de Sébastopol, dans le giron de l’OTAN

[5] Un médecin français radié et une avocate allemande enfermée récemment.

[6] Obama n’en a pas moins reçu le Prix Nobel de la Paix.

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 18:26

MACRON N’EST PAS BCBG

12/10/2021

Le petit Darmanin n’a pas décidé lui-même de convoquer le président de la Conférence épiscopale de France pour lui demander de renoncer au secret de la confession. C’est Macron qui lui a ordonné de le faire

Deux jours avant, paraissait le sinistre rapport Sauvé qui se terminait par cette préconisation : que l’on nous dise qu’il n’y a pas eu manipulation !

Il reste que Macron n’a aucune excuse.  C’est une des règles les plus anciennement établies de l’Eglise catholique (et orthodoxe), une des marques fortes de sa singularité, qu’il remet en cause.

Ni Jules Ferry, ni le petit père Combes, ni aucun des anticléricaux de jadis n’avaient osé.

Ils avaient tous une forte culture chrétienne et savaient que cette disposition était sacro-sainte.

C’est elle qui permettait à l’Eglise de se dire le « refuge du pécheur » et un de ces faits de civilisation qui font que nous n’en vivons pas (encore) dans une société totalitaire.

Il est étonnant que Macron l’ait ignoré.

Il a certes fréquenté la Providence d’Amiens mais à une époque où le caractère propre des établissements privés sous contrat était bien décoloré.

L’importance du secret de confession s’apprenait aussi dans les familles, au moins elles de la bourgeoisie catholique, les bc bg, où on a voté en 2017 avec tant d’enthousiasme pour Macron ; il est clair , au vu de cette proposition (et de quelques autres signes) , qu’ il n’en fait pas partie.

Il avait pourtant bien caché son jeu avec son allure de premier communiant stylé qui plaisait tant aux gens de Versailles.

Cette proposition, qui n’a aucune chance d’aboutir   à moins d’un schisme, est même grossière : bas les pattes devant l’antique secret, est-on tenté de dire.

Il se peut que ce soit la faute de trop, celle qui ouvrira les yeux des milieux catholiques sur le genre de personnage dans lequel beaucoup ont mis leur confiance : un des plus hostiles à l’héritage chrétien qui n’ait jamais été. 

 

Roland HUREAUX

 

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