Publié dans Le Figaro du 14/11/2013
Les manifestations du 11 novembre hostiles au chef de l ’Etat aux Champs Elysées et à Oyonnax n’expriment pas seulement, parmi d’autres frondes, l’usure d’un homme, mais aussi celle d’une idéologie, la social-démocratie libérale libertaire, dont la « chute finale » pourrait s’apparenter à celle du communisme en 1990.
Tout ce que la République, même anticléricale, avait autrefois préservé : la famille, la nation, la morale, la justice, l’histoire, la différence sexuelle, l’instruction publique est aujourd’hui remis en cause avec rage. Même la laïcité est atteinte : la présence ostensible des plus hautes autorités de la République aux cérémonies de la fin du Ramadan, au mépris total de la loi de 1905, contraste avec le dédain officiel de l ’Eglise catholique, exacerbé par la loi Taubira, comme si l’épicentre du nouveau socialisme n’était plus la laïcité mais la haine de l’Eglise catholique.
L’attrition des grands symboles nationaux sous l’égide de François Hollande: le drapeau tricolore escamoté, la repentance tout azimut, la servilité de notre diplomatie, la réduction continue des crédits militaires, les sarcasmes d’une Aurélie Filippetti à l’égard des Français d’origine, tout cela blesse chaque fois une partie de la nation.
L’illusion du rapprochement gauche-droite
La Fondation Saint-Simon avait prévu dans les années quatre-vingt une convergence économique et sociale de la droite modérée et de la gauche raisonnable vers une sorte de fin de l’histoire à la française. Cette convergence a eu lieu. Mais, contrairement aux prévisions, les haines se sont exacerbées. Encore imprégnés de marxisme, ses promoteurs n’ont pas vu qu’une révolution culturelle et anthropologique telle que la mène le gouvernement actuel va bien plus loin que la nationalisation des grandes entreprises. Ils ont aussi sous-estimé le degré de radicalisation du nouveau parti socialiste, qui l’amène à une révolution encore plus totale que celle que l’on craignait, à tort, au temps du programme commun.
Une révolution à contretemps ; comme les nationalisations de 1981 venaient au début du grand retour du libéralisme, les réformes promues par la gauche libertaire de 2012, heurtent de front le reflux de la vague libertaire issue de 1968.
Les deux volets de l’idéologie dominante, le libéral et le libertaire ne sont pas indépendants : les Etats-Unis d’Obama poussent autant au mariage homosexuel qu’à un traité de libre-échange généralisé. Bruxelles est aussi ardente à effacer les traces des racines chrétiennes de l’Europe qu’à réduire les quotas des pécheurs français.
Pourtant la sociologie disparate des différentes protestations a pu un moment rassurer le pouvoir. L’épicentre de la Manif pour tous n’était –il pas la bourgeoisie pro-européenne de l ’Ouest parisien, une France qui a plutôt profité de la mondialisation ? Les couches les plus touchées par celle-ci, au contraire, reléguées dans le petites villes et les villages, dont Jean Lassalle dans sa marche, a pu constater l’hostilité violente à l’Europe, sont restées indifférentes aux enjeux sociétaux.
Longtemps résignées, elles viennent de se réveiller, à partir de la Bretagne, sous la forme d’un collectif associant paysans, pécheurs, petits patrons et ouvriers, régionalistes.
Plus souterrain, mais non moins puissant, le réveil identitaire tend à exacerber l’hostilité à l’immigration et surtout à l’islam. Il justifie la dénonciation de l’extrême droite par le pouvoir, désormais aussi rituelle que celle de l’impérialisme par l’Union soviétique.
Vers une convergence des protestations ?
Voilà pourtant que s’esquisse une convergence entre les différents mécontentements. Significativement, le mouvement social est parti d’une gauche postchrétienne typique de l’Ouest aux attentes d’autant plus naïves par rapport au pouvoir socialiste qu’elle s’y est ralliée tard. Convergence aussi des méthodes : les comités d’accueil des bonnets rouges ressemblent à ceux du Printemps français. Pour blâmables qu’elles soient, les manifestions d’hostilité au président du 11 novembre ont rapproché, sinon mêlé les extrémistes deux camps.
Si elle se confirmait, cette convergence verrait le gouvernement entrer dans une zone de turbulences majeure. Il fallait l’impopularité extrême de Nicolas Sarkozy pour ramener au pouvoir un parti socialiste déjà en décalage profond par rapport aux attentes des Français. Hollande n’a pas vu ce décalage. Il y a de fortes chances que le prochain président ne soit pas socialiste ; il est même envisageable qu’il n’y ait plus de président socialiste après Hollande.
Roland HUREAUX