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Roland HUREAUX

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23 septembre 2014 2 23 /09 /septembre /2014 21:04

Paru dans Figaro Vox


       Quels mots employer  pour exprimer  l'horreur qu' inspirent les événements du Nord de l'Irak: d'abord  cette irruption d'un pseudo-khalifat dont la barbarie semble nous ramener au premier millénaire mais qui est en réalité bien pire ? Les premiers khalifes se contentaient de taxer  les minorités juives et chrétiennes, ils  ne les massacraient qu'exceptionnellement : dhimmi, après tout , signifie protégé ,  

Ensuite le  sort des chrétiens d'Irak  (et d'autres minorités ) massacrés (combien l'ont été ? On ne sait), en fuite ou en péril. Il devrait émouvoir d'autant plus les  Français qu'en droit  international,  les chrétiens de  l'Empire ottoman avaient le statut non point d'étrangers, mais de protégés français : par quelle aberration, le gouvernement français est-il dès lors le moins accueillant des gouvernements  européens  ?

Mais le plus extravagant  est que les armes dont se servent les soldats de ce nouveau djihad, du soi-disant  Etat islamique en Irak et au  Levant  sont les mêmes que nous leur avons vendues au cours des derniers mois, que nos services spéciaux leur ont  appris à utiliser . Et ce sont les armes de l'arsenal de Khadafi  que nous avons permis aux islamistes de tout poil , à commencer par  ceux du  Mali,  de se partager. Ces trafics ne nous ont jamais dissuadés de considérer les principaux payeurs, Arabie saoudite, Qatar , comme des amis.

Aussi stupéfiant:  ce qui se produit au Nord de l'Irak n'est nullement  une surprise puisque cela serait arrivé un peu plus tôt en Syrie si le projet d'aider directement  au renversement du  président Assad  avait abouti.

Nous avions déjà l'expérience de l'Afghanistan, du Mali et d'autres pour voir que les  djihadistes , loin de nous savoir gré de notre soutien, se précipitent, dès qu'ils en ont l'occasion,  pour brandir leurs armes contre l'Occident. Témoin la décapitation de deux journalistes américains et d'un humanitaire anglais   par l'EIIL.

Même  le roi d'Arabie doit trouver amer que ses ex-protégés   revendiquent  le khalifat  dont il considérait être , de facto, l'héritier.   

Or,  après de telles déconvenues,  c'est apparemment  sans le moindre trouble de conscience  que le département d'Etat qui avait mis sur pied une coalition occidentale  contre les talibans en Afghanistan et  contre Saddam Hussein en Irak,  puis tenté d'en monter une autre contre Assad en Syrie, s'évertue d' en mettre  en place une nouvelle    aujourd'hui  contre les islamistes qu'ils avaient jusque là aidés. Une coalition qui pourrait même comprendre l' Iran ,  archi-diabolisé jusqu'ici.   

Confondu par tant d'inconséquence, on en cherche la cause.

La première qui vient à l'esprit est l'incompétence. On en a déjà eu de nombreuses  preuves dans cette région. Qui pouvait douter que , la "démocratie " rétablie en Irak, les chiites, évidemment alliés de l' Iran,  prendraient  immédiatement  le pouvoir par la force du nombre   ? Qui pouvait douter que le licenciement  de l'armée de Saddam, avec ses  armes  et sans solde , conjugué avec la mise à l'écart systématique des cadres baasistes, n'entretienne un long   désordre dans  ce pays ?   Qui pouvait imaginer que le rétablissement  de la démocratie en Egypte  amènerait au pouvoir quelqu'un d'autre que les Frères musulmans

Mais l'incompétence est largement partagée: c'est ainsi que Helmut Schmidt met gravement en cause celle de la commission européenne    qui a , selon lui,   "une part de responsabilité dans l'aggravation de la crise ukrainienne" et   il   s'emporte  contre les   bureaucrates   qui "comprennent trop peu la politique étrangère". Bruxelles, dit-il,  "se mêle trop de politique étrangère, alors que la plupart des commissaires européens la comprennent à peine". L'ncien chancelier va  jusqu'à  évoquer le risque d' une   troisième Guerre mondiale.

Comment ne pas être frappé de la distance entre l'immense capacité technique des grandes puissances, singulièrement les Etats-Unis, et leur incapacité à se fixer des buts de guerre  cohérents, pire,  à percevoir leurs vrais intérêts.

Mais peut-être  ces buts de guerre étaient-ils plus subtils que ce que l'on dit ?  Au grés de certains aurait été appliquée au   Proche-Orient :la  théorie du chaos:  la suprématie américaine et la sécurité d'Israël  seraient  mieux assurés si tous les Etats de la région , spécialement eux où il avait encore une charpente   comme les dictatures nationalistes , sombraient  dans des rivalités tribales .

S'il est vrai que l'histoire de la région au cours des dernières années n'exclut pas,  bien que nous ne  soyons  sûrs de rien,   qu'une telle  entreprise ait été poursuivie,    nous  voyons  aujourd'hui avec l'EIIL  le monstre qu'elle a  fabriqué.: Fankenstein ou le golem, au choix.

Au moment où une écrasante supériorité technique des  Etats-Unis et d' Israël leur permet de mener  ( sauf en Afghanistan)    une guerre presse-boutons  ( n'est-ce pas ainsi que  s'est effectué le bombardement de Gaza?) , permettre à certaines factions de leur périphérie de se livrer  à une guerre permanente , une vraie guerre de terrain pour le coup , c' est courir le risque de trouver un jour face à soi ces factions surentrainées.    

C'est ce qui s'est passé au Liban: nous ne savons  pas qui a alimenté  la  longue guerre civile qui a divisé  ce pays, mais il en est émergé au bot du compte ,  par une sorte de sélection naturelle, le Hezbollah dont la force ne tient pas seulement au soutien de l'Iran mais aussi à son  surentrainement . Tsahal en a fait l'expérience. L'armée d'Assad n'était pas flambante avant la présente guerre civile;   Si elle la gagne ,elle en sortira singulièrement   sortira renforcée. Et naturellement l'Etat islamique   en Irak et au Levant n'est autre que   la conjugaison de ces forces  surentrainées sur différents  champs de bataille que nous avons aidées au cours des dernières années .

Il   faut bien sûr   une intervention musclée pour détruire cette entité barbare.  Et il faut aussi que la France, n'oubliant pas  son rôle traditionnel de protection des chrétiens d'Orient , y occupe une place de premier plan.

Il n'y a certes pas  là les prémisses d'un embrasement mondial . Nous   ne sommes plus au VIIe siècle: l'exaltation religieuse ne tiendra pas longtemps devant  la supériorité technique .

Mais il faut aussi que certains  stratèges en chambre , aussi cyniques qu'ignorants du passé cessent d'imaginer qu'on peut  impunément semer le vent sans récolter la tempête.

 

                                                           Roland HUREAUX

 

 

 

Entretien - Bild 16 mai 2014 

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