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Roland HUREAUX

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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 11:26

  

    Paru dans Atlantico 

 

C’est déjà « plié » : voilà ce que tout le monde dit aujourd’hui    de l’examen en cours  de la loi Taubira « ouvrant le mariage aux couples de personnes du même sexe » par le Conseil constitutionnel;  le Conseil ne prendra pas le risque de censurer une loi de société de cette importance, ne serait-ce que par  peur de paraître « ringard ». Au maximum émettra-t-il quelque   réserve sur l’adoption.

Certains voient même la décision tomber juste avant le 17 mai,  journée mondiale de lutte contre l’homophobie

 

Le droit constitutionnel face à un paradigme nouveau

 

Pourtant les arguments  pour faire droit aux  recours déposés par  les députés et  les sénateurs ne manquent pas.

Le premier est sans doute le plus fort :   le fait que le mariage unit  un  homme et une femme  fait partie,  au même titre que les droits fondamentaux de l’homme,  de ces principes généraux de la République, reconnu par de nombreux textes,  qu’il était aventureux  de prétendre changer par une loi  ordinaire. Certes il ne figure pas dans la Constitution, mais tout simplement parce que l’idée allait tellement  de soi quand celle-ci  a été rédigée  (et quand furent  rédigés  la douzaine de textes  constitutionnels  français  antérieurs ! ) que personne n’a pensé  qu’il fallait l’y  inscrire noir sur blanc. La constitution ne dit  pas non plus que deux et deux  font quatre !  Que  l’article 34 de la  Constitution   précise  que  « la loi fixe les règles  concernant   les droits civils   et les  garanties  fondamentales accordées aux citoyen pour l’exercice des  libertés publiques », ou encore « les régimes  matrimoniaux » ne veut pas dire que, dans  l’intention des  constituants, ces formules comprenaient  le  droit de rendre officielle la théorie du genre et d’abolir dans tous les   codes français, Code civil en tête, toute mention de l’homme et de la  femme, du père et de la mère etc.

Une perspective plus immédiate qu’on ne  pense,  puisque  sont déjà sous presse de nouveaux  livrets de famille d’où  les mots père et mère auront disparu !

Le   gouvernement  a, si l’on peut dire,  aggravé  son cas en faisant voter la loi à main levée au Sénat, comme une loi de routine,   alors que,  dans toute  une série de cas, parfois moins graves,  la constitution exige une loi organique où le vote se fait par scrutin nominal.   Ainsi, le Parlement,  qui ne peut pas changer la procédure budgétaire sans  un vote par scrutin nominal, en forme solennelle,  pourrait  opérer ce que Mme Taubira elle-même appelle un « changement de civilisation »  à main levée et  à la sauvette !  

Si la loi Taubira sort à l’évidence du périmètre de l’article 34, définissant le domaine de la loi ordinaire, tel que l’avait conçu  les auteurs de la Constitution, à quoi se rattache-t-elle ? C’est là que le Conseil constitutionnel peut être embarrassé car il se heurte  un problème radicalement nouveau, post-moderne si l’on peut dire.  Tout autant qu’à la loi ordinaire il est en effet   difficile de rattacher cette loi au domaine constitutionnel au sens étroit.  La racine de cet embarras est le  changement profond de paradigme que nous vivons.  Nous sortons d’une époque « normale » où il y avait accord sur disons  90% des fondements de la société , notamment le sens des mots   et  une certain nombre de données anthropologiques de base  comme la nature du mariage,  où la constitution se  contentait de préciser l’organisation des pouvoirs publics et quelques détails ( drapeau, langue ), les lois ordinaires faisant le reste. Aujourd’hui, nous entrons dans une époque « orwellienne », on pourrait dire aussi bien folle,  où c’est ce socle de 90 % des fondements de la société  qui est remis en cause et que les idéologues prétendent changer par la loi ; après  la loi Taubira, rien en effet  ne sera plus à l’abri d’une telle  remise  en cause ;  ce socle  n’est certes pas, au sens  strict, d’ordre constitutionnel,  mais  il est clair qu’ il  constitue   quelque chose de plus fondamental  encore  que l’organisation des pouvoirs publics.

C’est un peu dans cette perspective que certains invoquent, pour plaider la censure,   le fait que  « la langue de  la République  est le français »  (article 2 de la Constitution)  et que selon  tant  l’Académie française que  l’ensemble des dictionnaires aujourd’hui en usage , le mariage  désigne en français  l’union d’un homme et d’une femme et rien d’autre.  Le  Parlement  peut-il changer le sens des mots à main levée ? On dira que l’article 2 est destiné à  nous protéger de quelque langue étrangère intrusive mais pas de la novlangue !   

Autre argument,  concernant celui-là la seule  filiation : l’article 4  de la Déclaration des droits  de l’homme et du citoyen, qui fait aujourd’hui partie du « bloc constitutionnel »    dispose que  « la liberté  consiste à faire ce qui ne nuit pas à autrui. » Or la liberté pour un couple homosexuel d’adopter un enfant   risque de nuire à cet enfant. On n’en est pas sûr ? Certes,  mais  le principe de précaution a été inséré  en février 2005  dans la Constitution. 

La loi Taubira ne confère pas  en l’état aux  couples du même sexe, le droit à la procréation médicalement assistée, ni a fortiori au recours à la gestation pour autrui ; mais l’application mécanique du principe   de non-discrimination  selon l’orientation sexuelle    tel qu’il est   interprété tant par la Cour de justice de l’Union européenne (Luxembourg) que par la   Cour européenne des droits de l’homme (Strasbourg)    devrait y conduire sans intervention nouvelle du législateur.

Enfin le Conseil pourrait  encore  censurer, comme  il l’a déjà  fait, le  recours aux ordonnances prévu  pour compléter le texte dans la mesure où,  même si la constitution ne  le dit  pas explicitement, cette procédure exceptionnelle , issue des décrets lois  des  IIIe et IVe Républiques est ordinairement réservée à des mesures  d’urgence dans le domaine économique et social. 

 

Le contexte politique : la donne européenne

 

Même  si le Conseil constitutionnel ne se prononce, bien entendu,  que sur des  arguments juridiques, l’inclination politique de ses membres  n’est pas  entièrement  neutre. A cet égard, le conseil est loin  d’être  composé de gens aux ordres du gouvernement socialiste : sur les 9  membres ordinaires, 7  ont été désignés par la droite et 2  par la gauche,  au moins   9  (en comptant les 3 anciens présidents de la République) peuvent  considérés comme étant de droite.

La rumeur   d’une approbation déjà acquise n’est cependant pas sans fondement. Le président Jean-Louis Debré est hostile à toute censure. Il est issu   de l’aile ultra-laïque du chiraquisme  (même si les quatre  grands-parents de Jacques Chirac, instituteurs laïques  eussent été sans doute horrifiés par la   loi  Taubira !).  Il  dit à juste titre qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de se substituer au législateur pour régler  les lois de société. Certes, mais quel législateur et selon quelle procédure ?

Au moins sept ou huit membres du Conseil, à notre connaissance,  se déclarent catholiques. Mais la plupart   sont  aussi de  fervents  partisans de  l’intégration européenne. Pour quelqu’un comme  Guy Canivet, le rapporteur désigné , la référence ultime  ne semble pas être  la Constitution  française, encore moins la loi de Moïse ,  mais les traités et la jurisprudence  européens, lesquels  semblent ( sous réserve d’un examen plus technique) aller dans le sens de la loi Taubira.  Dans cet aréopage plutôt bien-pensant, l’opposant  le plus déterminé à la loi Taubira pourrait être, paradoxalement,   Michel Charasse, esprit indépendant issu  de la gauche laïque,   ostensiblement irréligieux ! Il  sait mieux que d’autres  combien l’idée d’un droit  naturel, aujourd’hui récusée par les idéologues de tout poil, était au cœur de la philosophie des Lumières et sans doute aussi que rien  n’est plus nécessaire à la République que le bons sens.

Si le conseil est divisé,  les anciens présidents de la République  pourraient-ils  faire  la différence ?    Leur participation  à la délibération  est  problématique. Auraient-ils  déjà  intégré le caractère illégitime que certains voient à leur présence dans le conseil, présence qu’  il est question    d’abroger !  Ils auraient  tort. Nous pensons au contraire que cette présence , bien plus que celle de juristes pointus et souvent doctrinaires,  est  tout à fait  conforme à l’idée primitive de l’institution :  celle d’un  conseil des sages destiné à assurer  la continuité  de la République  dans la lignée du Sénat romain  qui était, comme on sait,  composé des anciens magistrats. Leur expérience sans égale des affaires de la France et du monde,  leur recul par rapport à l’action immédiate et à l’histoire  vaut largement une agrégation de droit.  

On comprend que Jacques Chirac soit  empêché par des raisons de santé. Mais si Nicolas Sarkozy se  faisait lui aussi, comme il en est question,  porter pâle,  il n’est pas certain que les millions d’opposants  la loi Taubira le comprendraient,  surtout s’il envisage de revenir un jour à la politique  active.  Quant à Valéry Giscard d’Estaing,  il demeure  à son habitude, drapé dans son mystère.

Compte tenu de la division profonde de l’opinion sur ce sujet, que l’entrée en vigueur  de la loi n’est pas du tout  susceptible d’apaiser, au contraire, une  censure  éventuelle  ne  serait pas forcément un mauvais service rendu à François  Hollande.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

      

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commentaires

A
<br /> M.Hureaux,<br /> <br /> <br /> Vous n'avez pas pour habitude d'écrire pour ne rien dire. Aussi je m'étonne un peu du cas que vous faites encore de ce conseil constitutionnel dont le budget (conséquent) est<br /> aujourd'hui inversément proportionnel à son utilité. Il n'y a plus d'Etat national puisque plus de "politique intérieure nationale" ,comme l'a récemment rappelé Mme Reding devant une<br /> commission de parlementaires qui ne l'avaient peut-être pas encore compris.<br /> <br /> <br /> Le C.C. est obsolète, non seulement parce que la Constitution de la France (y compris les principes fondamentaux du droit) est aujourd'hui quasi(?) entièrement dans les traités européens,<br /> mais parce que cela s'est fait avec la bénédiction dudit Conseil - ce qui fait que ses membres sont au moins incompétents(c-à-d "n'ayant pas compétence"), au pire des laquais. Et ce n'est pas un<br /> mince paradoxe, que son Président actuel se nomme...Debré!!!!!<br />
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R
<br /> <br /> Vous avez sans doute raison.<br /> <br /> <br /> Nous verrons bien.<br /> <br /> <br /> RH<br /> <br /> <br /> <br />