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Roland HUREAUX

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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 14:13

Rien n’illustre mieux les impasses de la réforme de l’Etat telle  qu’elle est conduite en France depuis une quinzaine d’années  (disons depuis le rapport Picq) que les mésaventures du Pôle emploi, issu de la fusion  de  l’ANPE et des ASSEDIC. Additionnés, ces deux services comprenaient  39 000 emplois ; fusionnés dans le Pôle emploi, ils en comptent 10 000  de plus. Le  personnel bénéficie à la fois de la stabilité de celui de l’ANPE et des meilleures rémunérations de celui des ASSEDIC qui avait un statut privé.  Pour une  efficacité accrue ? Que non. La plus grande confusion  y  règne .

La fusion de directions ou d’organismes aux missions apparemment voisines (mais en réalité très différentes) est une des lignes directrices majeures de la réforme de l’Etat.  Sans le dire, elle  s’inspire du secteur privé : on fait des « fusions-acquisitions » avec l’arrière-pensée qu’on fera des  économies d’échelle. 

Or il est une grande loi, trop souvent méconnue,  de l’économie publique : la dimension n’y entraîne pas   des gains de productivité, au contraire.

Augmentation du coût global, désordre et souvent démotivation des agents : tel est, la plupart du temps, le résultat de la politique de fusion

Ainsi la fusion des  services des impôts et ceux du trésor : déjà très favorisés par rapport aux autres fonctionnaires, leurs agents le seront encore davantage. La vérité est que, ne voulant pas se déjuger face aux résistances, l’Etat a « acheté » le consentement des services en les arrosant de primes. La Cour des comptes a relevé que ces augmentations  dépassaient les économies escomptées de l’opération.

Police et gendarmerie, si elles n’ont pas  encore fusionné, ont été  rapprochées. Il faut s’attendre à ce que leurs avantages, qui sont différents d’un corps à l’autre, soient alignés sur le « mieux-disant ». C’est déjà commencé avec la multiplication des emplois supérieurs dans la police en tenue et la réduction des horaires dans la gendarmerie.  

A plus petite échelle, au 1er janvier 2010, la Cité des Sciences et le Palais de la découverte, qui ont des missions analogues,  ont fusionné. Les avantages du personnel de la Cité    étant sensiblement supérieurs à celui du Palais, le statut du personnel du second a été aligné sur celui  de la première : le coût de cet alignement dépasse très largement celui  des deux ou trois emplois de direction qu’on aura ainsi  économisés.

Non seulement ces fusions coûtent cher mais elles démobilisent les personnels.  Voyant leur spécificité et leur culture propre déniées, ils perdent en motivation, d’autant que, la logique de l’opération conduit à substituer  à la fierté  de corps, jugée à tort archaïque, selon la méthode anglo-saxonne, l’attrait de la prime, à partir de résultats chiffrés aussi manipulables que  fallacieux.

Dans certains cas on ajoute un échelon fédératif coûteux aux administrations existantes : ainsi les agences régionales de santé.

Et ne parlons pas de la volonté sournoise de fusionner nos 36 671   communes qui anime la plupart des lois votées depuis vingt ans  et qui est supposée, dans son principe, faire des économies: elle a abouti, tout au contraire, au   recrutement de plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires supplémentaires !

Il  se peut que les dégâts les plus importants aient été commis  dans les préfectures et autres services locaux de l’Etat.   Au nom de l’idée fausse qu’un  préfet devait, comme un chef d’entreprise , se reposer sur une équipe de 5 ou 6 grands directeurs (au lieu de la vingtaine existant jusque-là) , les services les plus hétérogènes ont été amalgamés pour le meilleur et la plupart du temps pour le pire : ainsi   un inspecteur de la  jeunesse et des sports se trouve sous  les ordres  d’un directeur des affaires sanitaires et sociales ( pôle social), un inspecteur du travail sous ceux  d’un conseiller du commerce extérieur (pole économie) etc. Le découragement devant ces réformes, généralement  confiées à de jeunes consultants sans expérience,  est profond.

Chacun de ces services a une réglementation très spécifique à  appliquer  et il n’a pas à recevoir des ordres du préfet tous les matins pour le faire.  Le rôle du préfet n’a rien à voir avec celui d’un chef d’entreprise.

Réglementation : voilà le maître mot.  Une réforme intelligente ne saurait être que patiente et analytique. Ce jeu  sur les organigrammes est  superficiel et  presque toujours contre-productif.  Regarder une à une les réglementations et les procédures que les fonctionnaires appliquent pour savoir qui fait quoi et essayer de les simplifier pour permettre ultérieurement une réduction des effectifs : voilà ce qu’il fallait faire. Si, au terme de cet examen, un service se trouve vidé de contenu : c’est alors qu’on  le supprime, pas avant.

En singeant les méthodes du secteur privé,  la réforme de l’Etat a abouti presque toujours à l’effet inverse de celui qui était recherché. Non point des économies mais des coûts supplémentaires. Il se peut qu’elle ait été,  paradoxalement, un des principaux facteurs de l’augmentation des charges publiques au cours des dernières années.    

 

Roland HUREAUX *

 

Auteur de La grande démolition, La France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, janvier 2012, 355 pages, 21 €.

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