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Roland HUREAUX

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10 novembre 2014 1 10 /11 /novembre /2014 13:15

 

Que dira le pape François aux assemblées européennes  à Strasbourg le 25 novembre prochain ?

Une question que beaucoup se posent,  d'autant  que le pape François n'a encore rien dit   sur le sujet , et cela à un moment où  l'Europe se trouve  en pleine crise, voire au bord de la guerre.

Beaucoup de chrétiens  attendent  ( ou  craignent ) que le  Saint Père  suive la doxa qui fut si longtemps celle des  bourgeoisies  catholiques  de l' Europe occidentale, voire de  son épiscopat  :  qu'il encense la  construction européenne,  grand projet chrétien   de l'après-guerre auquel il importerait seulement de donner un supplément d'âme.  Une doxa largement reprise par la Conférence des évêques européens et les conférence nationales,  notamment par celle de France.

Ses prédécesseurs  n'ont pas été totalement exempts de ce genre de rhétorique, à l'exception de Jean Paul II  qui , tout en saluant les efforts de rapprochement  des peuples d'Europe,  a toujours pris garde de préciser que le Saint-Siège n'avait pas vocation à se prononcer  sur la forme institutionnelle que devait prendre   ce rapprochement.

Que cette doxa soit réductrice , une connaissance fine de l'histoire nous le confirme. Aux  premiers pas de la construction européenne , ont contribué certes des démocrates-chrétiens comme le célèbre trio : Schuman, Adenauer , De Gasperi  -  mais ces trois hommes étaient  unis par d'autres liens  que leur catholicisme ; les trois étaient nés , avant 1914,  en terre germanique :  outre Adenauer en Rhénanie, Schumann en Lorraine, alors annexée au Reich de Bismarck, De Gasperi dans le  Haut-Adige, alors  autrichien.  Rien ne dit qu'ils approuveraient la tournure qu'a prise depuis lors la construction européenne, en particulier Adenauer qui établit  au soir de sa vie  un partenariat  privilégié avec  Charles de   Gaulle, catholique et européen lui aussi, mais qui avait une toute autre conception du projet :  tous deux mirent au point, malgré l'opposition de Jean Monnet  et des Américains, l'admirable traité de réconciliation franco-allemand du 23 janvier  1963.  

Surtout cette Europe là n'est pas seulement un projet chrétien mais aussi une fille des  Lumières. Elle  fut portée  tout autant, si ce n'est plus,  par des hommes de gauche, francs-maçons et généralement socialistes, éloignés des    références chrétiennes:  Guy Mollet, Christian  Pineau, Pietro Nenni, Paul Henri Spaak  et naturellement  Jean Monnet. Le contexte de la guerre froide obligea les uns et les autres   à s'allier contre le communisme sous la houlette des Etats-Unis. Tant que dura la guerre froide,  les forces issues du  protestantisme et des Lumières firent les yeux doux à l'Eglise catholique qu'elles  ne portaient pas nécessairement dans  leur cœur . Depuis   la fin de la menace soviétique en 1990, elles sont  généralement revenues à leur ornière antiromaine, tout en exerçant plus que dans le passé  leur hégémonie sur les institutions européennes .

Il y a peu de risques cependant que le pape François se laisse aller à  reprendre telle quelle la doxa de "l'Europe grand projet chrétien". Comme Jean Paul II, il a une profonde fibre populaire. Il n'ignore pas à quel point cette Europe de Bruxelles suscite aujourd'hui  le rejet des peuples. Relais de la mondialisation libérale,   elle apparait comme  l'arme des puissants de ce monde  contre les petits .  Le cardinal Bergoglio a sans doute déjà compris que les  hommes qui poussent le projet européen, en particulier en France , souvent catholiques, sont de la même race ( voire  les mêmes ! )  qu'il a vus à l'œuvre à Buenos Aires au titre  du FMI. La propension des épiscopats d'Europe occidentale  à  encenser le projet  européen , que le Vatican a , jusqu'ici , évité soigneusement d'endosser,  ne procède pas seulement de l'amour du bien mais aussi de la tentation qui fut toujours celle des Eglises  de  prendre, par conformisme,  le  parti des puissants. Une tentation qui n'est sûrement pas celle du pape  François.

 

Une entreprise légitime à remettre en selle ?

 

Peut-être se contentera-t-il de proclamer  que le projet européen, animé au départ des  meilleures  intentions , a  mal  tourné , notamment    en  oubliant  les  racines chrétiennes  de l' Europe ou en n'étant pas assez social  , mais qu'avec  un peu de bonne volonté,  l'entreprise peut être remise sur le droit chemin  parce qu' elle demeure  fondamentalement juste ?

Disons le : il  n'est pas sûr qu' une telle approche soit à la hauteur des graves problèmes que pose l'Europe d'aujourd'hui. De ces problèmes, nous en retiendrons  trois:  son hostilité à la loi naturelle, son caractère antisocial, et, plus récemment  apparu, son comportement belligène.

L'hostilité à la loi naturelle est la suite logique du refus obstiné des instances  européennes de reconnaître les racines chrétiennes de l'Europe qui sont pourtant une évidence historique. Aussi bien la commission que  le Parlement , de  pair avec les instances juridictionnelles de Luxembourg et de Strasbourg  font pression de multiples manières pour que tous  les pays adoptent le mariage  homosexuel. La  Pologne et l'Irlande  font l'objet d'un harcèlement pour ne pas faciliter assez l'avortement. L'Italie aurait été  condamnée  à retirer les crucifix de ses  écoles sans  l'intervention  de la Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, laquelle, on le sait,  ne  dépend pas de l'Union européenne  mais du Conseil  de l'Europe, tout en étant   animée du même état d'esprit . La France se voit imposer par la même  Cour  la reconnaissance de l'adoption par des homosexuels d'enfants nés sous PMA à l'étranger, pratique encore interdite en  France.  Le refus brutal du Parlement européen de recevoir  en 2004,  parmi les commissaires,  l'homme politique italien  Rocco Buttiglione, ami du pape,    sans autre motif que son adhésion ouverte   à l'éthique chrétienne,  a mis en relief ce qu'est aujourd'hui  l'orientation  profonde  des  institutions  de Bruxelles.

Sur le plan économique, la monnaie unique européenne,   l'euro ,  se fonde sur  une théorie économique aussi fausse que l'est la théorie du genre,  l'une et l'autre étant basées sur la négation des différances naturelles  ou culturelles . Elle   aboutit à une crise qui  accroît considérablement le nombre des  chômeurs  dans la plupart des pays, paupérise et désindustrialise peu à peu l'Europe. Les efforts imposés aux peuples pour maintenir coûte que coûte l'euro ont été récemment qualifiés par  Paul Stiglitz ,  Prix Nobel d'économie,  de "criminels" [1]. La rigueur imposée à l'Europe au nom de grands idéaux  entraine aujourd'hui le monde  entier dans la récession. Il faut une grande dose d'inconscience , ou d'ignorance  des mécanismes économiques , pour exhorter, comme le font certaines autorités ecclésiastiques, à la charité envers les exclus et  les sans-abris tout en qualifiant de "merveilleuse idée" une Europe institutionnelle   dont la politique tend à  les multiplier [2]!

Sur le plan international, il a été longtemps dit que l'Union européenne était un  facteur de paix et le  Prix Nobel de la paix lui a même été attribué en 2012. Pourtant deux guerres,   impliquant toutes  les  deux  l'Europe  institutionnelle,    ont éclaté  au cours des   quinze  dernières années   sur le territoire européen: l'attaque de  la Yougoslavie par l'OTAN en  1999 , en violation totale du  droit international  et qui a fait 20 000 victimes , toutes civiles,   et   la présente guerre civile en  Ukraine.  On peut regretter au passage que le pape Jean Paul II , désinformé par ses services, eux-mêmes victimes des manipulations  américaines , n'ait pas condamné avec plus de  vigueur l'attaque de la Yougoslavie:  un grand pas aurait été fait dans le rapprochement de Rome avec les Eglises orientales pour qui le Vatican est encore identifié à "l'Occident".

Un personnage aussi pondéré que l'ancien chancelier allemand, Helmut Schmidt,  n'hésite pas à souligner la responsabilité   des instances bruxelloises dans la montée de la tension en Ukraine[3], voire leur inconscience vis à vis du risque de guerre mondiale. Une responsabilité qui découle     de leur ambition de  faire rentrer coûte que coûte ce pays  dans l'Union européenne et dans l'OTAN, sans tenir compte des inquiétudes russes . Mais on peut aussi mettre en cause   les fondations américaines et allemandes  à l'œuvre en Ukraine, les mêmes, soit dit en passant,  qui patronnent les scandaleuses femens qui multiplient les actes  sacrilèges dans les églises d'Europe occidentale.  L'agitation de la Pologne  au sujet de l'Ukraine qui  eut été sans doute tenue en bride  du vivant  de Jean Paul II,  ne contribue pas  non plus à apaiser la tension. Même si les deux guerres, celle de Yougoslavie et celle d'Ukraine,   ont été  sans doute planifiées à Washington , elles n'auraient pas été possibles sans l'aval de l'Union européenne. Les deux aboutissent , selon le schéma  de Samuel Huntington, promoteur du concept inacceptable  de  "guerre des civilisations",  à opposer  un bloc catholique (au moins en principe) , protestant et laïciste  à l'Ouest,  et  un bloc  orthodoxe à l'Est . Universalisme ou haine de soi ? Dans les affaires de la Bosnie et du Kosovo, les "chrétiens" de l'Ouest ont pris parti pour les Musulmans contre les chrétiens orthodoxes[4].  Cette opposition  est d'autant plus artificielle  que,  malgré la propagande médiatique, les peuples européens  ne s'y associent guère. Elle  a pour effet d'éloigner les perspectives si prometteuses , à la fois pour l'Europe et pour la chrétienté,  de rapprochement entre les Eglises sœurs que sont la catholique et l'orthodoxe.  Peut-être est-ce d'ailleurs le but recherché ?    

Ces trois dérives  de l'Europe institutionnelle , auxquelles ont pourrait ajouter la dérive antidémocratique, ou encore l'indifférence à l'effondrement  démographique,  apparaissent  si  graves qu'on peut douter qu'il   s'agisse seulement  d'accidents passagers affectant une entreprise qui demeurerait, en son principe,   fondamentalement  saine .  On dit certes que corruptio optimi pessima. Mais on peut aussi se demander si  l'Europe institutionnelle,  au point où  elle en est arrivée : niant  l'héritage chrétien, favorisant  la   pauvreté de masse et menaçant la paix,  était bien  à l'origine une entreprise juste.

Fondée sur l'idée , discutable,  que seules  les rivalités nationales  sont à l'origine des grandes  catastrophes du XXe siècle, alors qu' on peut aussi bien penser que ce sont d'abord  les idéologies qui    sont en cause , non pas les nations mais "la négation des droits des nations" (Jean Paul II) [5], l'entreprise européenne ne serait-elle pas viciée à la base et , n'hésitons pas  à  employer ce terme,   "intrinsèquement perverse" ?

La volonté sous-jacente de dépasser  les réalités nationales  conduit en même temps  à vouloir dépasser tout ce qui se rapporte au passé, à  nier  l'histoire  européenne  qui n'est plus considérée que comme une longue série de crimes et d'horreurs (de l'Inquisition à la shoah ! ),  y compris et même surtout  dans sa dimension chrétienne. De même que pour Marx, tout ce qui précéderait la Révolution prolétarienne ne serait que la "préhistoire de l'humanité", tend à s'imposer dans les mentalités  de l'Europe de l'Ouest que tout ce qui précède l'entreprise d'unification , racines chrétiennes comprises, appartient à la préhistoire, cela sur un fond de culpabilité et de haine de soi qui constitue sans doute le centre  du problème spirituel de l'Europe.

 

La tour de Babel ?

 

Si l'on considère que la seconde guerre mondiale fut  pour l'Europe le déluge, la construction européenne qui a suivi, en réaction , ne serait-elle  pas  la tour de Babel ?

Pour employer le langage moderne , la construction européenne n'a-t- elle pas, à l'instar du communisme ou d'autres régimes catastrophiques , un caractère  idéologique ?

L'idéologie se reconnaît à différents caractères : des  idées trop  simples,  en l'occurrence que l'absorption de nations dans une entité continentale sera un facteur de paix et de prospérité  (comme pour Marx, la simple abolition de la propriété ferait le bonheur des hommes) ; la prétention universaliste:  l'Europe se comporte aujourd'hui comme le propagatrice d'une idéologie universelle , fondée sur une certaine conception , fort réductrice,  des droits de  l'homme ;  une idée du progrès passant par le dépassement irréversible  des nations,  mais  aussi de la culture, de la morale et des religions traditionnelles ;   le libre-échange et la libre circulation des capitaux sans limites.

D'autres caractères de la démarche idéologique se retrouvent dans l'entreprise européenne comme des effets pervers à peu près généralisés. Lénine avait promis au peuple russe "la paix, le pain, la liberté" et apporta exactement le contraire;  on peut dire que l'Europe institutionnelle, non seulement ne tient pas ses promesses, mais fait exactement l'inverse de ce qu'elle avait  promis.

Autre caractère idéologique: l'intolérance haineuse à tout ce  qui pourrait entraver le  projet, ses opposants se voyant relégués dans les ténèbres du "politiquement incorrect"  et, par là, l'incapacité organique à  se mettre à l'écoute des peuples.

   L' idéologie européenne , libérale et  libertaire, apparait si formidable à  ses  propagateurs qu'elle justifie les entorses à la démocratie que constituent  le refus de prendre en compte les  référendums où le peuples ont exprimé clairement leurs réserves à l'égard du processus en cours  (en France, aux Pays-Bas)  et une large confiscation par la commission  de Bruxelles du pouvoir normatif des Etats . Cette Europe   foncièrement méfiante des peuples qui , selon elle, risquent de ne pas comprendre  son dessein prométhéen,  se trouve ainsi , dans son rapport à la démocratie, aux antipodes des attentes ,  non des idéologues comme Jean Monnet  qui l'ont voulue   ainsi, du moins  des hommes politiques   catholiques qui l'ont inspirée, comme Adenauer, De Gasperi , Schumann et aussi De Gaulle[6].

Le pape François ne pourra sans doute pas, diplomatie oblige,  dire tout cela à Strasbourg. Mais  l'Europe , la vraie,  celle des peuples , pourra-t-elle se sauver et éviter la guerre si des prophètes particulièrement inspirés ne lui disent pas haut et fort qu' elle fait fausse route ?  

 

                                                           Roland HUREAUX



[1]      Der Spiegel, 23 mai

[2]      Discours de clôture de l'Assemblée générale de l'épiscopat français,  Lourdes, 10 novembre 2013.

[3]      Entretien - Bild,  16 mai 2014

[4] On peut faire la même remarque au sujet des tensions entre la Turquie et la Grèce : quoique celle-ci soit dans l'Union européenne et pas celle-là, Bruxelles penche clairement  du côté d'Ankara.

[5] Discours à la 50ème assemblée générale de l'ONU, New York, 5 octobre 1995.

 

[6] L'Union européenne est d'abord issue du traité de Rome (1957). Ce traité serait resté lettre morte si le général de Gaulle n'avait  accepté et même forcé  ses partenaires de  l'appliquer.  L'archiduc Otto de Habsbourg le tenait pour le  premier des Pères de l'Europe.

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