Je n’ai jamais rencontré Nelson Mandela, seulement son bras droit Oliver Tambo.
J’eus en effet en 1985 le privilège d’être le premier diplomate français à visiter un camp de l’ANC en exil (Africain National Congress, mouvement de résistance des noirs d’Afrique du Sud présidé par Mandela alors en prison). La France qui avait longtemps coopéré avec le régime de l’apartheid dirigé par les blancs venait de prendre un train de sanctions à son encontre qui avait grandement amélioré nos relations avec les résistants. Mais à ce moment-là, seul le numéro 2 de l’ambassade de France en Tanzanie que j’étais, pouvait se permettre cette démarche, l’ambassadeur étant tenu à une certaine réserve. Le camp était composé d’un centre d’entrainement à la guérilla et d’une école. On ne me laissa voir que l’école.
Il est habituel de représenter l’extraordinaire épopée de Nelson Mandela comme la lutte du bien contre le mal. Je ne crois pas que lui-même l’ait jamais vue ainsi. Moins que l’ange de la liberté, il se considéra d’abord comme un patriote, voie un nationaliste. Les noirs qui constituaient la grande majorité de la population de l’Afrique du Sud étaient exclus du pouvoir. Il s’attacha à ce qu’ils se gouvernassent enfin eux-mêmes, ce qui était une revendication bien naturelle.
Il se heurta à la minorité blanche qui n’était pas pour autant composée de « salauds ». Ceux qui la dirigeaient étaient aussi des nationalistes : la communauté qu’ils constituaient, surtout depuis la guerre effroyable que les Anglais leur avaient faite au début du XXe siècle, voulait aussi se gouverner elle-même. Mais compte tenu de l’imbrication des populations, ce n’était possible qu’en excluant les noirs, une solution qui n’était pas viable à long terme.
Loin de les considérer comme des vaincus, Mandela, dès sa venue au pouvoir en 1992 s’attacha à les réintégrer dans la communauté nationale réunifiée, à leur montrer que la nouvelle Afrique du Sud était aussi la leur. Il utilisa notamment, pour ce faire, le rugby. Ce sport avait été était jusque-là réservé aux blancs; il montra aux uns et aux autres qu’une victoire des Springboks était aussi une victoire de toute la nation. C’est ce que relate l’admirable film Invictus.
Ce qui distingue par-dessus tout Mandela est la manière dont il conduisit son combat. Tout en n’acceptant jamais, en principe, de renoncer à la lutte armée, il s’attacha à la limiter au strict minimum. De même, devenu président, il limita autant qu’il le put les représailles, se contentant, au lieu de procès politiques et d’actes de barbarie, de repentances publiques devant les fameuses commissions « Vérité et réconciliation ».
Aristocrate né, issu d’une grande famille de chefs de la tribu des Xhosas, il sut faire preuve de cette éminente qualité qu’est la magnanimité. Tout cela le place à des années-lumière au-dessus des dirigeants d’autres mouvements dits de libération, tels ceux qui accédèrent au pouvoir en Algérie ou en Indochine, lesquels multiplièrent un peu partout les représailles les plus cruelles et les exactions les plus sanglantes, au point de plonger leurs pays respectifs dans un cycle de violence de plusieurs dizaines d’années.
En cela, Mandela fut vraiment un très grand homme.
Roland HUREAUX