Nul doute que la pape Benoît XVI soit le chef d’Etat le plus cultivé: ce n’est pas très difficile. Mais il est sans doute aussi un des hommes les plus instruits de la planète, non seulement dans les sciences théologiques mais encore la philosophie, les arts et même les sciences. Cet homme qui dialogue avec Habermas, joue Mozart et aime la latin ne manque en tous cas pas de ressources. Il est vrai qu’élu à près de quatre-vingt ans, il avait eu le temps d’en apprendre des choses !
L’épisode le plus original de son voyage en France fut une conférence au tout nouveau centre culturel des Bernardins, initiative de Jean-Marie Lustiger destinée à rapprocher la foi et la culture. Y ont accouru , non seulement l’Institut de France, dont il est membre associé, , mais aussi la fine fleur de la culture, de l’édition, des arts et des lettres. Les intellectuels catholiques de la nouvelle génération, comme Rémi Brague ou Jean-Luc Marion mais aussi Regis Debray, Frederic Mitterrand et bien d’autres. De cette conférence, beaucoup, telle Julia Kristeva sont sortis enthousiastes. Insistant sur la nécessité d’interpréter les textes, inscrite au cœur de la tradition juive aussi bien juive que chrétienne, le pape a longuement montré comment il y a là la source d’une science du langage fondatrice de la culture européenne et l’antidote à tous les fondamentalismes.
Une religion d’intellectuels ?
Ce succès intellectuel de l’Eglise catholique forme un contraste cruel avec la chute de son influence mise en relief par tous les sondages. Si 75 % de Français se déclarent encore catholiques, 50 % seulement croient en Dieu, 25 %à une vie dans l’au-delà et à peine plus de 5 % pratiquent.
Le critère le plus significatif de la crise est le nombre d’ordination de nouveaux prêtres. Un parcours qui se résume un brutal décrochage en 1975 d’environ 800 à 100 par an. A partir de là un palier qui dure encore aujourd’hui. Un flux d’entrée qui correspond à celui des énarques ! Encore de quoi avoir quelque influence d’autant que les nouveaux prêtres, eux, sont cultivés. Les spécialistes du calcul intégral montreront toutefois comment ce décrochage très situé dans le temps entraîne pendant quarante ans le sentiment déprimant d’une diminution continue des effectifs du clergé. Un nouveau décrochage est-il intervenu vers 2005 ? Cela reste à confirmer.
Les autres critères d’influence sont à l’avenant : diminution du nombre d’ enfants baptisés puis catéchisés, des mariages religieux. Seul indicateur au vert positif : le nombre des baptêmes d’adultes, dont l’augmentation ne compense cependant pas celle des enfants.
Cette crise touche l’Eglise catholique dans toute l’Europe. Elle y touche aussi les Eglises protestantes établies. Le reste du monde, Etats-Unis et Russie compris, vit, par rapport au fait religieux, à un autre rythme.
Il semble don qu’il ne serve à rien à l’Eglise catholique d’avoir un pape instruit et subtil. Les seules religions qui progressent semblent celles qui véhiculent un message simple, voire simpliste . Pour les islamistes, le Koran et rien que le Koran. Pour les évangélistes américains , la Bible et rien que la Bible y compris quand elle contredit la théorie de l’évolution ( acceptée par le papes) , y compris quand elle permet d’assimiler la lutte des Etats-Unis et d’Israël contre le reste du monde à la bataille finale du bien et du mal , la fameuse bataille d’Armageddon décrite dans l’Apocalypse.
L’Eglise catholique va-t-elle, au moins en Europe, mourir de sa subtilité ? Sans doute celle-ci n’est-elle pas nouvelle. Ses dogmes fondamentaux : la trinité, la double nature du Christ ne sont pas choses simples. Pas davantage la distinction du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, fondement historique d’une laïcité dans laquelle Nicolas Sarkozy se prend les pieds avec ses gros sabots, Sans doute le catholicisme a-t-il d’autres ressources : à côté de ceux qui raffinent les concepts, il y a aussi ceux qui brûlent les cierges à Lourdes ; quelquefois ce sont les mêmes ! Masi tout se passe comme si, confrontée au choc de la modernité, les religions ne résistaient que dans ce qu’elles ont de brutal et de simpliste. Il semble , en ce début du IIIe millénaire, plus facile à l’Eglise catholique de susciter le respect des intellectuels que de reconquérir des masses !
Roland HUREAUX