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Roland HUREAUX

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28 avril 2008 1 28 /04 /avril /2008 20:50

Quelle mouche a donc piqué Rachida Dati, qui semble  pourtant une fine guêpe, pour qu’elle engage tout son crédit dans la réforme de la carte judiciaire, carte qui n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, le principal grief des Français à l’égard de leur justice ? 

Il est douteux que le garde des Sceaux (elle préfère le genre masculin et nous lui en donnons acte)  se soit engagé seul dans une entreprise politiquement aussi risquée A-t-elle eu l’aval de Nicolas Sarkozy ?  Sans doute,  mais ce n’est pas faire injure au président que de dire qu’il  connaît mal les problèmes d’administration territoriale. Claude Guéant lui, les connaît. Au moins en principe.

Il est en tous les cas dommage qu’une personnalité aussi originale et aussi prometteuse s’use à grande vitesse sur un aussi mauvais dossier.

 

Un coût politique lourd

 

A supposer que cette réforme soit bonne, était-elle politiquement opportune ? Résolument non.

Les principales  tentatives de refonte des cartes administratives  de ces dernières années ont tourné court. 

Le ministère de l’intérieur  a voulu réduire le nombre des sous-préfectures en ne nommant pas de titulaire dans les plus petites. Il  est revenu en arrière.

La suppression des plus  petites brigades de gendarmerie a été abandonné : après beaucoup de remue-ménage,  celles qui ont disparu se comptent sur les doigts de la main ; cette tentative fut une des raisons pour lesquelles les gendarmes ont défilé en uniforme sur les Champs Elysées en décembre 2002.

Le dessein de réduire sournoisement nos 36 000 communes à 3 ou 4 000, s’est traduit par la création d’échelons supplémentaires,  pompeusement  appelés communautés de communes,  qui ont démultiplié les coûts de structure.

Il faut remonter à la Révolution pour voir une refonte totale de la carte administrative de la France. Mais l’esprit  révolutionnaire  qui veut faire « table rase »  du passé  est-il   aujourd’hui une référence ? Comme le rappela en son temps Mirabeau, l’administration territoriale n’a pas à être « au carré ». Elle intègre  tout un héritage historique, comportant des dissymétries, des inégalités,   qui mérite respect et dont  la sagesse commande de s’accommoder.

Au demeurant, en créant les départements et les arrondissements, au ressort plus restreint que l’ancienne « généralité », l’Assemblée constituante avait rapproché l’administration des citoyens et non l’inverse comme on veut  le faire aujourd’hui.

En   1926 Poincaré réussit  certes à mener à bien  une vraie simplification de   la carte administrative,  supprimant d’un coup le tiers des sous-préfectures. Mais il ne s’agissait de rien moins que de payer les arriérés de la Grande guerre.  Au demeurant les villes touchées sont pour la plupart devenues des bourgades : faut-il sen féliciter ?

En tous les cas, si une réforme de ce genre  réussit, ce sera  avec un  coût politique important : les parlementaires  candidats aux municipales s’en rendent comptent. Il est probable qu’ en mars prochain le gouvernement paiera cher cette réforme.

 

Une réforme inutile

 

Mais même si cette réforme ne posait pas de problème politique, peut-on dire qu’elle est  une bonne réforme ?

Là aussi il faut répondre résolument non.

D’abord elle ne fera faire que des économies de bout de chandelle – si son bilan financier ne s’avère pas finalement négatif :   les frais de déménagement, les mois de désordre qui s’ensuivront, la mise à l’encan de   tribunaux flambant neufs, l’agrandissement de ceux   où se concentreront les affaires  coûteront en effet très cher.

C’est une erreur hélas trop répandue de croire qu’en matière administrative , on fait , comme quand on fabrique des voitures, des « économies d’échelle » : c’est généralement  le contraire.

Surtout  les petits  tribunaux voués à la disparition donnaient l’exemple d’une justice de proximité, celle là même à laquelle tout le monde aspire. Les affaires y étaient plus vite expédiées, les décisions défiant le bon sens plus rares.

Qui imagine une seconde qu’en opérant un regroupement au forceps dans de grandes unités – à moyens inchangés, puisque c’est là le but de la réforme – les délais seront raccourcis ou la justice plus sereine ?

Une fois de plus se trouve à l’oeuvre  le mécanisme pervers  de la réforme « idéologique » : on s’en prend à ce qui  marche et  on laisse en l’état   ce qui ne marche pas.

Cette réforme fait enfin fi du souci, il est vrai bien oublié,  de l’aménagement du territoire. Les victimes en sont les petites villes des régions à dominante rurale. D’autant qu’après les tribunaux, on s’attend à ce qu’y  soient  supprimés  les  hôpitaux de proximité, voire les sous-préfectures.  Ceux qui aiment la France profonde savent qu’un de ses charmes est son réseau de petites et moyenne villes. Le tissu administratif contribue à  les soutenir. Leur disparition amènerait une sorte d’américanisation du territoire : une géographie réduite à de grandes métropoles séparées par de vastes étendues semi désertiques, aux antipodes du génie européen.  

La culture très parisienne de la fusion et du regroupement, au bénéfice de grandes entités généralement inefficaces tend à laminer cette France moyenne  où l’intégration se fait plus facilement, où les valeurs démocratiques sont mieux préservées. Elle est la marque d’esprits superficiels  qui sacrifient à des préjugés sommaires tant l’héritage de l’histoire  que le pragmatisme administratif.

La crise judiciaire, le malaise qui éloignent les Français et leur justice sont bien réels. Qui ne voit que,  pour en venir à bout, il y avait des chantiers bien plus urgents que   cette refonte stupidement technocratique de l’implantation des tribunaux ?

 

 

Roland HUREAUX  

 

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