LA DROITE NE DOIT PAS REFAIRE L'ERREUR DE 2003
Xavier Bertrand et Christian Estrosi ont paru heureux de leur élection à la tête de deux grandes régions françaises. C'est bien normal, d'autant que leurs chances apparaissaient fort compromises quelques semaines plus tôt.
Ils ont remercié les électeurs de gauche qui , en suivant les consigne du parti socialiste demandant à "faire barrage au Front national", leur ont permis ce succès.
Ils ont eu tort.
Ils n'avaient à remercier personne sinon leurs électeurs en général. Si des électeurs de gauche ont voté pour eux , c'était leur affaire . Ils avaient leurs raisons : choisir ce qu'ils tenaient pour un moindre mal . Ces raisons les regardaient. L'ingratitude est parfois une vertu politique.
Bertrand et Estrosi font la même erreur qu'avait commise Jacques Chirac.
Que Chirac ait bénéficié en 1995 et en 2002 d'un coup de pouce de certains réseaux de gauche est indubitable. Cela lui a permis de battre au second tour puis d'éliminer dès le premier tour un Jospin qu'une partie de la gauche n'aimait pas : passant pour honnête, il ne paraissait pas un candidat "normal".
Mais c'est au second tour de 2002 que Chirac a bénéficié d'un apport massif de voix de gauche soucieux de battre le père Le Pen dont la présence au second tour , le fameux 21 avril, avait créé un immense choc. Chirac avait été ainsi élu avec le chiffre record de 80 % des voix, sans précédent sous la Ve République.
Il déclara alors que, se sentant une dette envers ces électeurs, il devait tenir compte aussi de leurs aspirations et mener une poltique modérée, tirant vers le centre gauche.
Ce fut une grave erreur. Chirac était pompidolien. Après le raz de marée de l'UDR en juin 1968, Pompidou avait dit en conseil des ministres : "N'abusons pas de notre victoire". De Gaulle lui avait répliqué sèchement "Une victoire, ça s'exploite".
Une occasion manquée
Avec plus de 4 suffrages exprimés sur 5 , Chirac avait en 2002 ce qu'il n'avait pas eu en 1995 : une légitimité assez forte pour lancer une politique de réforme hardies. Or cette occasion , il ne l'a pas saisie.
Au lieu de cela, il confia à Jean-Pierre Raffarin la charge de constituer un gouvenrment dont le principal projet, la décentralisation, ne heurtait personne mais se trouvait en décalage complet par rapport aux vrais problèmes des Français.
Les réformes qu'il aurait dû faire sont bien connues puisque elles sont encore à l'ordre du jour: restauration des fondamentaux de l'école, refonte de la justice de mineurs, contrôle de l'immigration, révision d'un système social aussi dispendieux qu'injuste. Au moment où, en Allemagne, Gerhard Schröder se lançait dans une politique de dévaluation interne , par une réduction drastique des dépenses publiques et donc des coûts, il aurait été nécessaire de faire la même chose chez nous pour que la zone euro ne se trouvât pas durablement et irréversiblement déséquilibrée. Hors une modeste réforme des retraites, rien de tout cela ne fut fait. La réforme de l'éducation nationale opérée dans la discrétion par Gilles de Robien en fin de mandat devait être abrogée par Sarkozy. Croyant ménager le peuple de gauche en s'abstenant, Chirac ne ménageait que les options idéologiques de ses états-majors
Or c'est bien de cela que pâtit la France depuis plus de quarante ans, de l'absence de réformes dont la plupart peuvent être qualifiées sans honte de droite.
Il fut un temps, disons de 1930 à 1980, où une grande partie des réformes nécessaires pouvaient être qualifiées de gauche : elles visaient la réduction de inégalités, l'amélioration de la protection des travailleurs, l' égalité de chances à école. Un Guy Mollet y excella. La droite aurait alors eu tort de remettre en cause ces réformes et elle ne s'y risqua pas . Ce temps est révolu non seulement parce que beaucoup a été était qui n'est plus à faire, mais aussi parce que la gauche, désormais plus préoccupée du sociétal que de social et acquise au capitalisme mondialisé, ne s'y intéresse plus. Ce qui intéresse le vrai peuple, loin de le rechercher, elle le rejette avec mépris comme "populiste". Cette gauche est idéologique; ce ne sont pas des progrès concrets de la condition populaire qu'elle poursuit mais l'application de schémas idéologiques a prion , tous plus destructeurs les uns que les autres. Combien d'hommes de gauche reconnaissent que c'est la gauche ( ou plutôt les idées de gauche quelquefois appliquées par des hommes de droite comme René Haby, ministre de Giscard ) qui a détruit l 'école républicaine. L'hypertrophie des budgets publics et les transferts sociaux abusifs, combinés avec l'asservissement à la politique monétaire de Berlin sont une des causes du chômage , une justice idéologique où le déterminisme entraine la négation de la responsabilité encourage la délinquance etc.
Pour faire les réformes nécessaires, qui sont souvent - pas toujours - un retour au régime ancien, dans ces domaines sensibles où le politiquement correct s'exprime de manière terroriste, il ne faut pas avoir de complexes vis à vis de la pensée dominante, mais il faut aussi une forte assise politique, celle que Chirac avait après le 21 avril et dont il ne s'est pas servi.
Comme il est tout à fait possible que le prochain président soit élu selon le même schéma qu' Estrosi et Bertrand, fera-t-il la même erreur ? Ce serait encore cinq, voire dix ans de perdus ; la France y survivra-t-elle ?
Roland HUREAUX